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Years of Denial // Suicide Disco

Dernière mise à jour : 19 mars 2023

par Pedro Peñas Y Robles

©LarryJ


Years of Denial est le projet du musicien français Jérôme Tcherneyan, ancien batteur du groupe culte britannique Piano Magic et producteur de musique depuis 1997, ainsi que de l'artiste tchèque Barkosina Hanusova, auteur-compositeur et poète. Actif depuis 2016, le duo s'est fait connaître à travers le monde pour ses performances live électrisantes, évoquant des atmosphères immersives menant des danseurs vigoureux des coins les plus sombres de la nuit jusqu'à l'aube du jour.


Trois ans se sont écoulés depuis votre dernier album Suicide Disco. Ce nouvel album est-il une suite du premier ?

YEARS OF DENIAL : Oui, c’est exact, quand nous avons inventé le terme Suicide Disco pour nommer notre premier LP, ça fonctionnait parfaitement, à la fois comme titre, mais aussi comme concept pour décrire notre forme sonore et artistique. Nous avons trouvé le nom très particulier et assez authentique, et indubitablement, nous voulions nous y tenir et continuer à travailler sous le même titre/concept. Nous espérons d’ailleurs que Suicide Disco devienne un genre/style musical à part entière. Nous visons définitivement la trilogie Suicide Disco, à minima.


Comme une majorité d’artistes, vous avez été fortement impactés par la période pandémique. Comment avez-vous géré cela ?

YEARS OF DENIAL : Quand la pandémie a frappé la planète, nous avons embarqué la moitié de notre studio d’enregistrement et nous sommes partis à la montagne, en France, reclus et vraiment loin de tout. C’était le seul endroit où nous pouvions nous permettre de rester. Nous avons réussi à rester créatifs et à faire une poignée de remixes et de morceaux pour des compilations, y compris quelques reprises pour les labels Oràculo et Unknown Pleasures Records. Barkosina, s’est particulièrement investie dans le concept de la pandémie, soulignant à quel point les arts et la culture ont été abandonnés car considérés comme non-essentiels par les gouvernements. Barkosina a commencé à jeûner pendant sept jours à chaque confinement, et elle a fait simultanément de l’art – photographie, de l’écriture, de la musique et de la poésie. Le résultat de tout cela fut ensuite publié sous le nom Fasting Culture (Modular Mind Records), dans un format beau livre à couverture rigide associé à un enregistrement solo sur cassette audio, une analogie entre la famine nutritive humaine et la famine culturelle, nous incitant à réévaluer ce que l’existence culturelle pouvait signifier pour nous.


Votre projet s’inscrit au départ dans une perspective club et festival le plus souvent « techno », on ne vous voit jamais dans la programmation de festivals plus rock, pop, métal ou autres. Est-ce votre choix ou êtes-vous ouvert à toutes sortes de propositions ?

YEARS OF DENIAL : Nous avons toujours été ouverts à davantage de concerts comme des lieux connexes, et avec notre nouvel album, il est encore plus clair que c’est certainement une bonne option. Nos productions musicales polyvalentes peuvent être présentées dans des clubs/raves, des salles gothiques/rock et des espaces cinématographiques ambiants.

En ce moment, nous travaillons sur deux performances live exclusives, l’une pour les heures tardives dans les clubs, et l’autre plus adaptée à des concerts et festivals pour des créneaux horaires flexibles. Notre projet convient à tous les types d’endroits, et nous avons déjà joué dans tant d’entre eux, ça peut aller de concerts dans des églises à des soirées plus fétichistes et sexuelles, des festivals de punk rock aux festivals de heavy-metal, et des salles de concert aux raves. Nous aimons tellement cette diversité.


Years of Denial LIVE - Chthonic day 3


Personnellement, j’adore ce que vous faites depuis la sortie de We Operate On Each Other le premier EP que vous avez fait ensemble en 2018 [NDR : Barkosina est arrivée dans le projet cette année-là, alors que le premier maxi de Years Of Denial date de 2016 mais avec une chanteuse différente]. Cependant c’est en partageant l’affiche avec vous, à la salle Connexion Live à Toulouse fin 2019, que j’ai vraiment compris la force et la profondeur de votre projet sur scène comme sur album. Votre expérience de vie avant de monter ce duo vous a-t-elle permis de faire la différence avec d’autres groupes techno-électro-dark beaucoup plus jeunes et récents ?

JEROME : Le premier EP Boold Debts est effectivement sorti en 2016. À la base c’était simplement un projet d’enregistrement sans nulle autre intention que d’expérimenter en studio. J’avais une collection de titres instrumentaux inédits, et quelques morceaux vocaux avec la chanteuse d’opéra Maya Petrovna. J’avais transmis ces premiers tracks à Oliver Ho (Broken English Club) avec qui j’avais collaboré sur un autre projet The Eyes In the Heat (sur le label Kill The DJ), puis Oliver m’a alors proposé de sortir un EP sur son label Death & Leisure. Barkosina m’a ensuite rejoint en 2016, peu avant la sortie de Blood Debts. Nos premières collaborations ont eu lieu lors de ses propres performances artistiques en direct, pour lesquelles j’ai improvisé sur un synthé modulaire, répondant musicalement à sa poésie sombre et à sa puissante prestation. Et suite à ces expériences nous avons naturellement commencé à travailler ensemble. À partir de ce moment, nous avons commencé à écrire, sortir et jouer de la musique. En ce qui concerne les expériences de vie, vivre à Londres nous a certainement influencés. Nous avons des parcours artistiques, des compétences, des éducations différentes, et nous sommes tous les deux des mélomanes et apprécions diverses influences. Nous nous sommes rencontrés au club Kaos London, où nous étions tous les deux DJ et c’est ainsi que nous avons appris à mieux nous connaître. Cela a certainement contribué à créer ce monstre sonore que nous sommes aujourd’hui. En ce qui me concerne, je joue de la batterie dans des groupes de rock depuis des décennies (Piano Magic) et je produis aussi de l’électronique plus lourde et industrielle (NDR : un maxi récemment avec le rappeur Sensational sous le nom Supreme Low), et Barkosina a présenté des spectacles d’art, d’écriture et de performances. Lorsque nous faisons de la musique, nous n’essayons pas de sonner différemment ou d’être quelqu’un d’autre. Notre art s’inspire des expériences de la vie quotidienne faisant référence à la condition humaine, à l’intimité et à la complexité des sentiments et des émotions, et nous espérons que les gens perçoivent l’honnêteté et l’authenticité dans ce que nous faisons.


On retrouve souvent dans les milieux électroniques, mais aussi dans d’autres scènes, des duos composés d’un homme avec des machines et d’une femme chanteuse ou performeuse dans le genre de Miss Kittin & The Hacker, Kompromat, Kap Bambino, Sexy Sushi ou Adult. Mais peu de chanteuses ont cette aura charismatique et cette froideur naturelle que tu as. Cela vient-il du fait que tu es d’origine tchèque ?

BARKOSINA : Merci, c’est un beau compliment. Ce n’est pas si facile de raisonner un de mes traits caractéristiques. Le contexte culturel influence certainement qui nous sommes. J’ai grandi dans la ville d’Ostrava en Tchécoslovaquie, un lieu que je pourrais comparer à Manchester ou à Birmingham au Royaume-Uni, une ville industrielle entourée d’usines imposantes, de bâtiments municipaux et de gens de la classe ouvrière, mais avec une incroyable culture underground tchèque qui est née des pressions de la période communiste. La vie était modeste. Nous étions censés être des enfants, mais nous devions nous comporter comme des adultes. Mon éducation m’a laissé perplexe, à travers une enfance dans l’isolement intérieur, l’observation curieuse de mes congénères, les traumatismes fragmentés et la tristesse poétique. Se livrer à la littérature existentielle et à la poésie confessionnelle dès mon plus jeune âge a influencé la personne que je suis aujourd’hui. Peut-être hyper sensible et émotionnellement lucide, cela a ouvert en moi de nouvelles façons de voir et de ressentir. J’ai développé un intérêt pour la souffrance humaine et le nihilisme hédoniste. J’ai toujours été plus intéressée par les gens que par les machines, je suis fascinée par le comportement humain, les relations et le véritable crime de l’humanité. Quand j’ai enfin trouvé mon propre mode d’expression à travers la performance et la musique, tout a commencé à avoir un sens. L’obscurité, la froideur sont devenues une force plutôt qu’une faiblesse, et j’espère pouvoir traduire cela à travers la musique et faire en sorte que les gens se sentent moins seuls dans ce monde étrange.


La profondeur de vos compositions, l’énergie sombre, et la complicité qui se dégage de vos performances live me rappellent un autre duo, Kas Product, qui au début des années 80 a fait tomber les barrières de la New Wave pour faire éclore un sentiment d’urgence punk conjugué à une attitude sexy et rebelle personnifiée par Mona Soyoc. Font-ils partie de vos influences et justement, pouvez-vous nous dire quelles sont vos influences, musicales, littéraires, artistiques, etc ?

JEROME : J’apprécie Kas Product et respecte leur héritage, mais je ne peux pas les nommer comme une influence. En général, j’ai du mal à répondre à cette question, car j’écoute et collectionne de la musique depuis plus de 35 ans. La musique est si puissante et pleine de toutes ces émotions que nous pouvons ressentir. La musique peut guérir les âmes. Les artistes qui m’ont le plus influencé m’ont donné une direction à explorer et non un modèle à suivre, ils ont tous une identité forte, un son caractéristique, et une approche reconnaissable qui les rend spéciaux. Je pourrais nommer Pete Kember, Kevin Martin, The Cure, Pan Sonic, Dopplereffekt, King Tubby, mais aussi des labels comme Disko B, Basic Channel, Mute et 4AD. Tu as mentionné The Hacker et Miss Kittin dans une de tes questions précédentes, et je me souviens quand ils ont sorti leur premier album. À l’époque, j’étais très souvent sur Barcelone et j’ai assisté à de nombreux showcases de leur label International Deejay Gigolo, le son et l’attitude étaient beaucoup plus rock’n’roll et sexy que la plupart des autres musiques de club, et ça m’a tout de suite parlé. Il en va de même pour Adult et I-F, ils avaient aussi quelque chose de différent à offrir, contribuant dans une certaine mesure à l’évolution de l'Electro et de l'EBM.

BARKOSINA : Autant j’apprécie les artistes masculins, principalement influencés par des gens comme Einstürzende Neubauten, Nick Cave, Cabaret Voltaire, Coil, Suicide, pour n’en nommer que quelques-uns, autant j’ai un truc spécial et un respect pour les femmes fatales, peut-être parce que je comprends ce que c’est que d’être une artiste féminine dans un environnement majoritairement dominé par les hommes ; c’est plus proche à ma connaissance de mon expérience.

Par conséquent, j’adore les femmes, ces forces de la nature et de la créativité qui possèdent une voix et une attitude fortes. J'admire ces femmes qui entrent en scène et la salle se tait, des femmes qui courent avec des loups défiant le monde et la culture, des femmes qui ont un impact et utilisent des mots comme des balles tirées dans toutes les directions, des femmes comme Lydia Lunch, Nico, Cossey Fanni Tutti, Grace Jones, Laurie Anderson, Nina Hagen, Patti Smith, Siouxsie Sioux, pour n’en nommer que quelques-unes. De plus, étant moi-même une artiste multidisciplinaire jamais limitée par une forme d’art particulière, mon amour pour l’art de la performance n’est pas un secret ; loin du divertissement, l’art de la performance (des années 60/70) était révolutionnaire et c’est l’une des formes d’art les plus radicales qui existent, et probablement mon influence majeure aux côtés de la littérature existentialiste, y compris des auteurs qui ont mis tout leur être dans leurs œuvres comme Fyodor Mikhailovich Dostoyevsky, Franz Kafka, Samuel Beckett et les philosophes Jean-Paul Sartre, Albert Camus et la poésie confessionnelle avec des auteurs comme Anne Sexton, Sylvia Plath, Allen Ginsberg et Adrienne Rich.


Years of Denial LIVE - Chthonic day 3


Évidemment, il y a encore des gens qui pensent que la musique électronique pour le dancefloor est moins noble que le rock expérimental, industriel ou indépendant en général. Qu’en pensez-vous ?

YEARS OF DENIAL : Il y a beaucoup de préjugés et d’idées fausses sur ce qu’est ou n’est pas la musique de danse. Les énormes festivals sponsorisés et les « DJ stars » sont assez dégoûtants, mais nous n’en sommes pas là. Toute musique est noble si elle est faite avec de bonnes intentions. Nous sommes des créatures de la nuit et aimons écouter de la musique à des volumes extrêmes entourés de belles âmes confuses. Sans oublier que nous nous sommes rencontrés sur une piste de danse et que nous avons toujours beaucoup apprécié la vie nocturne chaque fois que nous le pouvions. Cela peut parfois devenir assez profond, et derrière ce plaisir, il y a une forme d’introspection, quelque chose comme une expérience mystique.


Je remarque dans vos compositions une matière, une épaisseur, des textures et une richesse rythmique que l’on retrouve de moins en moins dans la Techno actuelle, trop simpliste, fonctionnelle et rapide. Je soupçonne que ce son spécifique qui fait la marque et la spécificité de votre projet vient du fait que vous utilisez beaucoup de machines analogiques, de synthés modulaires et divers instruments électriques comme une basse ou une vraie batterie. Quel est le secret du son de Years Of Denial ?

YEARS OF DENIAL : Une grande partie provient des techniques de mixage dub, de la multicouche du même son avec différents processus, de l’utilisation de filtres analogiques, de réverbérations à ressort, de flanger/phaser/chorus, et d’échos qui deviennent assez sales et plus texturés, nous les utilisons ensuite pour contraster quelques effets numériques plus propres si nécessaire. Même approche avec les sources de sons, un mélange nostalgique de synthés analogiques vintage superposés à d’autres types de synthèse disponibles de nos jours, nous n’allons pas parler ici comme des geeks, mais nos rythmes sont principalement faits avec notre bien-aimé EMU SP1200, et sa résolution de 12 bits, c’est notre coup de poing dans la face. La table de mixage externe joue un grand rôle dans notre façon de travailler, car nous mixons tout en direct, l’ordinateur étant principalement utilisé pour séquencer et enregistrer. Nous travaillons mieux avec du matériel hardware et nous ne comptons donc pas beaucoup sur des logiciels ou des plugins. Aussi, nous essayons d’utiliser la première prise vocale autant que possible pour garder la performance intacte et capturer cette urgence de l’instant. Lorsque cela est approprié, nous utilisons aussi une basse électrique et des éléments de batterie joués live, comme sur nos reprises de Death In June, The Sisters of Mercy, Bauhaus et Christian Death sur tes compilations Honoris.


Votre dernier album en tant qu’objet physique est sublime. Pouvez-vous présenter le plasticien qui a réalisé la sculpture de l’enfant sur la couverture.

YEARS OF DENIAL : Lorsque nous cherchions des idées pour l’artwork de Suicide Disco Vol.2, nous voulions travailler avec le photographe officiel de Veyl Records, Tomaso Lisca, qui était également responsable de l’artwork de notre premier album (celui avec les hyènes dans la savane). Nous avons trouvé une photo de Tomaso, une image frappante d’un garçon au visage triste. Incontestablement, nous savions que ce devait être ça. L’expression du garçon est incroyablement puissante, et il va de soi que cette pochette convient parfaitement à cet album. Plus tard, nous avons découvert qu’il s’agissait d’une photo de sculpture réalisée par Gehard Demetz, un fantastique artiste sculpteur traditionnel sur bois dont le travail est unique dans le domaine de la sculpture contemporaine. Ses sculptures d’enfants sont aussi attirantes qu’inquiétantes, sa particularité technique est la construction de petits blocs de bois juxtaposant des parties finement polies à des surfaces très rugueuses et sommaires. Gehard Demetz a exposé internationalement et produit des sculptures monumentales pour des collectionneurs du monde entier. Il est basé à Selva di Val Gardena.


Vous ne sortez jamais vos albums au format CD, ce qui selon mon opinion vous coupe d’une partie importante du public dark. Pourquoi ce choix ?

YEARS OF DENIAL : Depuis nos débuts nous avons publié nos productions sur des labels de musique électronique et nous sommes associés à la culture DJ et club, toutes deux traditionnellement fortement liées au format vinyle. Nous collectionnons personnellement des disques anciens et nouveaux depuis des décennies, mais ce n’est pas du fétichisme, c’est juste notre façon naturelle de consommer et de jouer de la musique. Le format est également très approprié aux albums, il y a plus d’espace pour l’artwork, les gens ont tendance à jouer toute une face et pas seulement sauter des pistes, puis nous apprécions aussi la façon dont ça sonne. Nous sommes d’accord sur le fait que notre musique n’est certainement pas exclusive aux DJ, tu pourrais donc avoir raison dans le sens où nous n’atteignons pas autant de personnes que nous le pourrions, mais c’est comme ça jusqu’à présent. Nous venons aussi d'achever une reprise pour le Tribute à Christian Death qui sortira en mai sur Unknown Pleasures Records, et un remix pour le canadien Rhys Fulber (F.L.A. Delerium, Fear Factory) qui sera annoncé prochainement (NDR : et que j’ai eu le plaisir d’écouter en avant-première et m’écriant « putain ça sonne comme du Front Line Assembly époque Hardwired » !!!)

Et pour finir, nous attendons avec impatience la sortie de Suicide Disco vol.2 fin mars et ce qui va suivre.



Suicide Disco Vol.2 out on Veyl Records 31st of March



Single release & Bonus track out now






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