ADRIEN M & CLAIRE B
LA LIBERTÉ
EN MOUVEMENT
ENTRETIEN Christine Fleuriau // PHOTO Vinciane Lebrun
C'EST À CREST, UNE VILLE DRÔMOISE ENSOLEILLÉE ET OUVERTE SUR L'HUMAIN, QUE JE RENCONTRE ADRIEN MONDOT ET CLAIRE BARDAINNE. LUI EST CHERCHEUR EN INFORMATIQUE DE FORMATION ET JONGLEUR. ELLE, EST ARTISTE PLASTICIENNE, DESIGNER GRAPHIQUE ET SCÉNOGRAPHE. ENSEMBLE, SE PARTAGEANT LA DIRECTION ARTISTIQUE DE LA COMPAGNIE DEPUIS 2010, ILS INVENTENT UN LANGAGE POÉTIQUE DU VIVANT, TOUJOURS EN MOUVEMENT, LIBRE ET LUMINEUX.
Claire et Adrien avez-vous des inspirations artistiques pour la danse, le cinéma, le graphisme... ?
A : J’ai l’impression que nos inspirations proviennent finalement de champs qui sont éloignés des nôtres. On a peur d’avoir des inspirations fortes qui nous mangent. Par exemple, en ce moment on lit beaucoup de bande-dessinée, on regarde beaucoup de dessins-animés de Miyazaki avec notre fils. Le rapport à la nature qu’entretient la culture japonaise est important.
C : Oui, ce rapport chez Miyazaki, son lien entre la nature, l’humain et la technique est très particulier. Il repense vraiment la question du vivant et d’être ensemble en revisitant le lien et la hiérarchie des espaces tel qu’on le vit, nous, en Occident. Pour nous, c’est un vrai souffle de ressentir cela. Pour la question de la danse et du mouvement, on va être inspiré par un mouvement observé dans la nature, dans la façon dont vont bouger certains végétaux qui rencontrent le vent ou l’eau, et c’est ça qui va nous donner envie de faire bouger un corps d’une certaine manière, de lui donner cette direction sur scène. Pas de hiérarchie, on met les espaces un peu sur le même plan d’égalité. Et l’inspiration ne nous vient pas forcément d’une grand danseuse ou dun grand chorégraphe même s’il y en a que l’on aime beaucoup.
Adrien, en tant qu’informaticien de formation, quelle est l’utilisation de l’informatique dans vos projets ?
A : La question est de savoir de quels outils on se dote pour travailler. On a trouvé que c’était un champ excitant de se dire que l’on pouvait modifier les logiciels que l’on utilise pour composer, écrire, fabriquer nos images. Il faut créer les outils qui permettent l’écriture de l’émotion. Je développe un logiciel depuis 2006 (eMotion) dédié au départ à mettre en mouvement des formes graphiques et qui est au coeur de notre rencontre avec Claire en 2010. Ce logiciel évolue à chaque projet. Si on prend une métaphore architecturale, c’est comme un édifice qui évolue, qui ressemblerait actuellement au palais du Facteur Cheval, car irrationnellement pensé, fait par sédimentation d’idées. On est plutôt à un cycle de fin de vie de ce projet de logiciel. On se pose donc des questions : est-ce que l’on rase tout ? est-que l’on reconstruit des murs ? C’est une question centrale dans notre travail car c’est l’outil qui nous permet d’écrire
C : Il façonne notre création. La métaphore architecturale est intéressante car une maison façonne notre façon de vivre l’espace. Petite ou grande ? Quelle organisation des choses ? Lumière ou pas ? Un logiciel est pareil. Donc, pour nous, les outils technologiques utilisés façonnent l’écriture de l’objet et on doit se les approprier pour qu’ils portent notre propre intention.
Claire, vous avez inauguré le 18 février une de vos expositions Mirages et Miracles au centre Phi de Montréal dans laquelle on trouve l’installation intitulée Le Silence des Pierres : ce rapport au vivant est animiste, non ?
C : Tout être et toute chose mérite attention. On est dans le jeu du marionnettiste. Tout d’un coup on va créer des émotions et des sensations, qui peuvent être fortes, faire pleurer le public même si on sait que les marionnettes n’ont pas d’âme. Par contre le moment où on vit ensemble ce temps dans lequel il y a une mise en vie, une mise en mouvement, créé un espace vivant. La vision animiste est de se dire qu’il n’y a pas de hiérarchie entre tout être vivant. On ne cherche pas à convaincre que les pierres ont une âme, on veut juste proposer une gymnastique d’attention et d’observation.
A : C’est une fiction qui rend la vie plus belle et plus amusante à regarder aussi, qui réenchante un peu les choses. C’est ce plaisir de se raconter des histoires avec des objets.
C : En particulier avec des objets dérisoires. Ce n’est pas pour rien que l’on a choisi la pierre. Ce sont en plus des cailloux très simples. Ce geste que vous faîtes de ramasser un caillou, de le regarder, de le prendre, de le poser chez vous, c’est précieux. Ca a de la valeur.
A : Je crois que l’on aime bien avoir une telle sensation qui sorte du quotidien le plus trivial. C’est ça qui nous montre à quel point des choses magiques peuvent survenir à tout moment.
Pour finir, qu’en est-il de l’édition du livre pop-up Acqua Alta - la traversée du miroir ?
A : Les 5oo premiers exemplaires sont tout d’abord pour ceux qui l’ont pré-acheté. D’autres seront vendus sur notre site. Il faut à peu près trois mois pour fabriquer une telle quantité.
C : Le Lux est associé à cette aventure. C’est un financement participatif avec une aide du SCAN (fonds de soutien à la création artistique numérique) de la région Rhône-Alpes Auvergne. Avec sa tablette numérique personnelle on téléchargera une application.
A : On avait envie de voir comment un espace imaginaire pouvait naître sur du volume. Ce dernier est important parce-que si des choses peuvent passer devant et derrière, cela signifie que c’est vraiment entremêlé avec le réel.
C : C’est ça qui est magique. C’est quand le personnage monte vraiment sur le volume, qu’il redescend et que quand il passe derrière, on ne le voit plus.
A : Et quand il rentre dans la maison, il y est caché. Mais si on regarde par la fenêtre, on peut quand même le voir. Le papier est le moyen le plus simple et le plus minimaliste pour faire naître un volume.
C : On peut transporter le spectacle en valise, dans un petit livre et le déployer.
A : Et on trouvait qu’il y avait une sorte d’adéquation entre l’économie de moyens et l’humilité du média par rapport au désir de faire surgir cette magie.
C : La rencontre de l’eau et du papier est intéressante. Et la musique d’Olivier Mellano s’intensifie lorsque l’on s’approche du livre.