This Will Destroy Your Ears // Funland
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This Will Destroy Your Ears aime les gens et leur prouve en stéréo bien sursaturée. Depuis 2018, le trio landais défend une vision brute, amplis dans le rouge et esprit DIY vissé au cœur, entre noise abrasif, dark wave à l’anglaise et psychédélisme en clair-obscur. Après deux albums salués des deux côtés de la Manche, ils reviennent avec Funland, un disque aussi intense qu’immersif, nourri par leurs virées en Angleterre — et plus précisément à Blackpool, station balnéaire décrépie devenue un terrain de jeu sonore et visuel parfait.
Enregistré dans leur propre studio, Recording United, niché dans le tiers-lieu Kontainer dans les Landes, et produit par Ben Hampson (DITZ, Lambrini Girls), Funland déploie une esthétique où la mélodie flirte avec le chaos, où la tendresse existe aussi dans le vacarme. Le disque sortira le 10 octobre 2025 chez À Tant Rêver Du Roi, Luik Music, Cowboy À La Mode et Conicle Records (en cassette, évidemment). Avant que les décibels ne reprennent le dessus, on a posé quelques questions à Pierre-Johann Suc, guitariste et chanteur de TWDYE.
Dans votre bio vous dites que vous aimez beaucoup parlez aux gens, mais trop fort. C’est quoi le message que vous avez le plus envie de hurler aujourd’hui aux oreilles du monde ?
Ah… c’est toujours un peu compliqué d’aborder cette question sur la "parole des artistes".
Serions-nous seulement assez audibles ? Et si oui, à quel titre, et sous quel prétexte ?
Mais bon, si on pouvait déjà tous commencer par faire un peu plus attention à celles et ceux qui nous entourent, partager plus équitablement ce que l’on a, et trouver un moyen efficace de se faire entendre en tant que citoyen, ce serait déjà pas mal.
On essaie bien de le hurler parfois, mais pas sûr que ce soit très efficace.
Alors, à défaut de solution miracle : « UN PEU DE TENDRESSE, BORDEL DE MERDE ! »
FUNLAND a été entièrement enregistré dans votre studio Recording United, que vous avez construit vous-mêmes dans les Landes. Qu’est-ce que ça change, artistiquement et humainement, de créer votre "chez vous" ?
C’est un vrai changement, surtout dans la manière d’écrire.
Ça permet d’explorer ou de préciser des idées dès le tout début d’un morceau avec beaucoup plus de finesse.
Parce que même si on adore jouer les chansons très fort, très tôt — pour les éprouver — le fait d’avoir des micros branchés en permanence, comme en live session, nous donne une lecture plus précise des petits détails que l’on met parfois des mois à repérer.
On entend tout de suite ce qui mérite d’être creusé, ce qui fonctionne ou pas. Du coup, on teste plus, on affine et on perd moins de temps.
Sur FUNLAND, on a même un morceau qui a été enregistré en quasi temps réel. C’était un exercice super fun.
Et puis, oui, c’est aussi presque notre maison. On l’a construit de nos mains, donc jouer dedans, c’est comme si vous étiez dans votre "salon de travail". C’est le luxe ultime.
Vous puisez votre son dans le dark wave / noise / psyché. C’est quoi, pour vous, le son parfait : quelque chose qui cogne ou qui trouble ?
C’est l’image d’un public qui danse en se bouchant les oreilles — c’est d’ailleurs de là que vient le nom du groupe.
On cherche cette énergie brute, ce son organique et puissant, mais au service de chansons pop. Se tenir à un endroit un peu inconfortable, qui gratte, qui grince — mais sans être désagréable voire même plutôt plaisant.
Ce que Sonic Youth, The Cure ou Sloy ont réussi de manière magistrale, c’est ça : créer du trouble sans perdre l’intensité mélodique.
Vous dites que Blackpool vous a inspiré FUNLAND, qu’est-ce que vous avez trouvé là-bas, que vous n'aviez pas dans les Landes de Nouvelle-Aquitaine ?
Déjà, c’est une ville complètement fascinante.
Ses vieux théâtres délabrés qui rappellent l’âge d’or du music-hall, les montagnes russes en bois à Pleasure Beach, la Blackpool Tower — une sorte de Tour Eiffel construite en 1894 en plein centre-ville… et surtout, cette sensation permanente de chaos imprévisible.
À chaque coin de rue, quelque chose déraille : un marin qui titube bien trop tôt, un carrosse "princesse Disney" bien trop fake, un enterrement de vie de jeune fille bruyant comme une arrivée de hooligans… Tout est trop.
Trop criard, trop usé, trop kitsch, trop triste aussi.
Sauf que justement, ce "trop" est une esthétique en soi.
Et parfois, ce trop devient franchement génial, parce qu’il dépasse les limites du bon goût, de la retenue ou de la logique. Ça devient un véritable art de vivre. Et ça, franchement, c’est juste trop cool !

Depuis 2018, quelle est l'idée qui a le plus nourri votre envie de faire de la musique ?
Rencontrer des gens. Partout.
La tournée, quoi ! C’est le meilleur moyen d’aller vers des gens très différents, dans des lieux très différents.
Et puis, venant de l’art contemporain, l’idée de fabriquer une série d’œuvres très courtes, qui doivent transmettre une idée forte en un temps extrêmement réduit et assimilable quasiment instantanément, c’est super grisant.
Vous avez partagé la scène avec des grands groupes comme USA Nails, Black Midi ou METZ et bien d'autres encore. Quelles sont les rencontres qui vous ont le plus marqué humainement et artistiquement ?
Sans tomber dans le bisounoursisme, chaque rencontre était vraiment chouette !
La tournée crée un terrain particulier : personne n’est vraiment chez soi, donc les liens se font vite.
Et les musiciens sont souvent ouverts, généreux et curieux.
Alors bien sûr, il y a eu certains moments magiques avec METZ, LIFE ou USA NAILS, et des personnages d'une humanité bouleversante comme Blake Crompton.
Mais ce qu’on aime le plus, c’est simplement retrouver cette « famille flottante » sur la route : PENICHE, NAGUALS, JOHN, BOPS…
Des copains qu’on croise un peu partout, jamais dans les mêmes circonstances, mais avec qui on reprend la conversation comme si on s’était vus la veille.
Vous êtes profondément DIY, du studio au label. À quel moment ce choix devient une philosophie, et plus seulement une nécessité ?
Dès le départ, c’était dans l’ADN du groupe.
Mais je crois que chez nous, la nécessité et la philosophie se mélangent.
Par exemple, fabriquer nos propres pédales, c’est à la fois une façon d’économiser de l’argent, mais aussi une envie de comprendre comment les choses fonctionnent et comment on peut les adapter à sa propre vision du son.
C’est une logique qui dépasse la musique. Une sorte de réflexe.
Vous sortez votre album FUNLAND avec quatre labels différents, de trois pays différents : France, Belgique et UK. Est ce vous avez pensé dès le début de l'album qu'il puisse voyager, et s'enraciner le plus possible à l'international ?
Oui, clairement. Depuis le départ du groupe, on voulait sortir de notre zone de confort géographique.
La toute première tournée, en 2018, n’a d’ailleurs pas été dans les Landes, mais en Angleterre !
Ce n’étaient que quatre dates, mais ces quatre dates nous ont convaincus qu’on était sur la bonne voie.
C’est plus excitant de jouer devant des publics qui ne vous attendent pas, qui n’ont aucun a priori.
Ça oblige à rester humble, à s’adapter, à être sincère.
Les voyages forment la jeunesse — et vous font vieillir moins vite, à ce qu’il paraît...
Il y a toujours une tension entre brutalité et tendresse dans vos lives. Vous construisez ça comment ? C’est instinctif ou complètement prémédité ?
Je crois que c’est très instinctif.
On voit la musique comme un jeu de contrastes et de contrepoints.
Pour créer du chaos, il faut passer par la tendresse.
Sinon, ça devient juste un amas de fureur inaudible, ou une démonstration de testostérone vide de sens.
Donc ça se construit naturellement, en allant trop loin et en revenant sur nos pas. Jusqu’à trouver l’équilibre dans lequel on se sent bien.
Stéphane Perraux

Funland (octobre 2025)
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