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Mark Goodall // Bright Young Things

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  • il y a 1 jour
  • 9 min de lecture

Highway To él


Par Mathieu David Blackbird


"A pop world beyond leather jackets and jeans." Mike Alway


él records est probablement ce qui nous est parvenu de plus réjouissant d’Albion depuis Paul McCartney, les Chelsea Boots et Jude Bellingham. Label extraordinaire dans tous les sens du terme qui – dans sa forme originelle – ne rayonna que 5 petites années, il fait enfin aujourd’hui l’objet d’un livre régulièrement passionnant. Outre Mike Alway – l’homme derrière él records et excentrique notoire - l’auteur Mark Goodall a interrogé la majeure partie des acteurs, de Nicholas Currie alias Momus à Bid du Monochrome Set en passant par l’ingénieur du son Richard Preston, Simon Turner et bien évidemment l’immense Philippe Auclair - alias Louis Philippe - qui était en cuisine du début à la fin et a donc vécu la folle aventure de l’intérieur, que ce soit en concoctant ses propres disques ou en écrivant, arrangeant ou produisant une partie non négligeable de cet épatant catalogue.


La première fois – à notre connaissance – que Louis Philippe a évoqué les années él records pour la presse française, c’était avec Christophe Conte pour le numéro de décembre 1992 de la revue Les Inrockuptibles. " Nous sommes arrivés au milieu des années Thatcher, dans une période complètement sombre pour l’Angleterre. Les labels et la musique de l’époque étaient le reflet de ce cauchemar. Nous, nous débarquions en proclamant ‘ Vive la couleur, vive l’exotisme et vive Sophia Loren ! ’ Il y a eu, en raison de ce décalage, un vrai malentendu avec les gens. Tout le monde pensait que nous étions des snobs, que nous baignions dans l’opulence en sirotant du Sauternes au bord d’une piscine privée (rires)… Pourtant, c’était vraiment l’inverse. Cette image lisse était un simulacre car nous étions en réalité des artisans sans moyens qui bricolaient deux bouts de ficelle pour faire des disques."

Louis Philippe ©Nick Wesolowski
Louis Philippe ©Nick Wesolowski

Plutôt que de nous entretenir avec l’auteur de Bright Young Things, nous avons donc trouvé plus pertinent de prendre le relais et d’interroger Louis Philippe à propos de ce label à nul autre pareil – et qui emprunta son nom à un film de Luis Buñuel. Musicien et arrangeur Normand de haut vol – ainsi que journaliste sportif de renom - exilé à Londres depuis 1987, Louis Philippe a d’abord publié un e.p. en 1984 sous le nom de Border Boys pour l’excellent label Belge Les Disques du Crépuscule puis un album signé The Arcadians pour la même maison Bruxelloise avant que ne débutent ses aventures chez él records. Sont ensuite parus de nombreux disques dont l’excellence reste la norme - nous reviendrons d’ailleurs dans notre numéro d’automne sur The Road To The Sea, dernière merveille en date du natif d’Yvetot.


" J’ai rencontré Mike Alway lorsqu’il était directeur artistique de Blanco Y Negro – un label financé par WEA pour la création duquel s’étaient associés Cherry Red, Rough Trade et Les Disques du Crépuscule. Mike était entré en contact avec moi car parmi les gens de l’écurie des Disques du Crépuscule, j’étais l’un de ceux – et peut être le seul d’ailleurs – qui correspondait au projet qu’il avait en tête et j’étais allé le voir chez lui à Barnes dans le Sud-Ouest de Londres – ça devait être en 1984 au tout début de l’aventure. On ne se connaissait donc absolument pas mais nous avons très vite sympathisé – en particulier autour d’une passion commune pour Orson Welles. A partir de là, je suis tombé sous le charme de la personne mais surtout sous le charme de son projet. Nous sommes restés en contact depuis même si le lien s’est un peu distendu avec le temps en raison de son déménagement en Suède et parce qu’il est un peu dans sa bulle et pas nécessairement désireux de renouer avec les gens qui ont participé à l’aventure avec lui. En plus de ça, je crois qu’il pense que la plupart des artistes qui étaient sur él records n’ont pas vraiment compris sa démarche et lui en veulent pour ce qui s’est passé – ce qui dans mon cas est complètement faux. Je n’ai bien évidemment jamais considéré Mike comme un escroc ou quoi que ce soit de ce genre. J’ai toujours pensé qu’il avait du génie – et qu’il en a toujours, d’ailleurs. Il a réalisé quelque chose sans quoi je n’aurais pas existé comme j’existe maintenant. Je lui dois donc énormément et il n’y a absolument aucun problème de ce côté. Je compte d’ailleurs de nouveau entrer en contact avec lui dans les jours qui viennent. "


Mike Alway était une manière d’impresario à l’ancienne qui se définissait lui-même comme un architecte musical. Il avait d’abord quelque peu révolutionné le label Cherry Red en signant des formations comme Everything But The Girl – c’est lui qui avait présenté Ben Watt à Tracey Thorn – Felt ou encore The Monochrome Set. C’est également lui qui publia Pillows And Prayers, formidable compilation et modèle du genre que l’on écoute encore aujourd’hui avec un plaisir toujours renouvelé. Parti ensuite s’occuper de blanco Y Negro, il s’était vite lassé du conservatisme du milieu de la musique et s’était décidé à monter son propre label – lequel adopterait un mode de fonctionnement bien particulier. C’est Mike Alway qui décidait de la plupart des thèmes des chansons, choisissant les titres et l’artwork des pochettes, utilisant une équipe de musiciens, producteurs, arrangeurs et designers dédiés à son projet - à l’instar de certains labels du passé comme Motown par exemple.

Mike Alway ©Nick Wesolowski
Mike Alway ©Nick Wesolowski

" Mike Alway était directif en effet- il choisissait même parfois même le nom des groupes. A un moment, j’ai travaillé avec Martyn Bates d’Eyeless In Gaza. Nous avions le projet de faire du folk psychédélique en utilisant des murder ballads, des ballades traditionnelles anglaises ayant toutes pour thème des assassinats et des choses absolument épouvantables. On devait s’appeler Scalera. C’était un nom choisi par Mike pour la simple raison que c’était celui d’une des maisons de production d’Orson Welles – tu vois un peu ! Je m’épanouissais tout à fait dans ce cadre – je fais de toute façon partie des gens qui pensent que les limites sont nécessaires pour un artiste et qu’elles peuvent être un aimant ou un aiguillon. Je n’avais aucun problème avec ça – je contribuais d’ailleurs à certains titres même si c’est Mike qui avait le pouvoir et le désir d’imposer ses idées. C’était son label – c’est normal. "


Si ces quelques années passées au service de Mike Alway n’ont pas fondamentalement influé sur sa manière d’écrire des chansons, elle furent en revanche pour Louis Philippe une formidable école.


" Je ne suis pas certain que le label ait eu une énorme influence sur mon songwriting parce qu’en fait la plupart des chansons qui figurent sur Appointment With Venus, mon premier album, avaient été composées avant que je sois sur él records – j’étais encore sur Les Disques du Crépuscule - et c’est le disque qui est en fait le plus proche de ce que je fais maintenant. Si tu écoutes ce que j’avais fait avec The Arcadians, mon premier ‘groupe’, tu verras qu’il y a énormément de choses qui sont déjà en place. Ce que m’a donné él, c’est la possibilité de travailler sur ces chansons d’une autre façon puisqu’avant je n’étais évidemment pas arrangeur et je n’étais pas producteur. Dès que je suis arrivé sur le label, j’ai été mobilisé pour donner un coup de main à Simon Turner – The King Of Luxembourg – et à Richard Preston sur l’enregistrement de Royal Bastard puis pour écrire The Red Shoes pour Anthony Adverse et pas mal d’autres choses. Cela m’a donc permis de me former en quelque sorte – et donc d’apprendre le métier de producteur. Par contre, pour ce qui est de la façon dont je conçois les arrangements, ça c’est moi. Ça l’a toujours été et ça le sera toujours. De la même façon, lorsque tu écoutes Bad Dream Fançy Dress, la musique porte vraiment l’empreinte de Dean Broderick et de Simon Turner qui avaient écrit les chansons. Quant à considérer él records comme un champs d’expérimentation, oui et non dans la mesure où tu pouvais faire ce que tu voulais. On te donnait un budget, tu avais les lignes directrices, parfois des titres de chanson mais jamais Mike n’est intervenu durant une séance de mixage pour t’expliquer qu’il fallait que la basse soit un peu plus forte – ou moins forte dans son cas. Je crois que la seule séance à laquelle il participait était simplement la séance finale d’écoute – il détestait être dans les studios et il préférait garder ses distances avec ses artistes. De ce côté-là il y avait une liberté artistique absolument totale et ça a compté énormément je pense dans le développement de tous les artistes impliqués dans ce label.

él records est le label avec lequel, de Philippe Auclair, je suis devenu Louis Philippe. Beaucoup d’amitiés se sont nouées – en particulier avec Richard Preston – et ne se sont jamais démenties. Il y a eu des collaborations à foison et curieusement, la plus intense ne fut pas avec Julia Gilbert – alias Anthony Adverse – pour The Red Shoes et les singles que nous avons fait ensemble alors que c’est moi qui avais écrit et arrangé toutes les chansons. C’est plus avec Simon Turner et l’album Royal Bastard. C’est vraiment l’album essentiel dans l’histoire de él records. Je ne parle pas nécessairement de ses qualités musicales – qui sont réelles. L’album n’a pas pris une ride. Royal Bastard, c’est le moment où l’équipe se met en place. Richard Preston aux manettes à la production, Simon qui en est l’interprète, le guitariste et auteur-compositeur, moi comme auteur-compositeur et arrangeur et Dean Brodrick également impliqué comme multi-instrumentiste. C’est un enregistrement absolument crucial dans notre histoire – c’est d’ailleurs l’un de ceux qui ont eu le plus de succès. Tout le monde venait dans le studio. Il y avait les gens des Go-Betweens, Julia, Colin Lloyd Tucker, Anthony Edwards pour notre party de Noël… Il y avait une telle joie autour de cet enregistrement ! Je pense que ça a donné des ailes à tout le monde. C’est un moment-clé dans l’histoire du label. Celui où, en quelque sorte, nous nous sommes définis nous-mêmes – mais en dehors de Mike. Il y a là quelque chose qui se créé, qui se noue, qui est plus important que ce que le projet de Mike avait été ! De manière générale, parmi les personnes qui m’ont le plus marqué sur ce label, il y a bien évidemment Richard Preston, qui demeure un ami très proche et qui a fait un boulot absolument insensé avec des moyens complètement ridicules. Il y a également Dean Brodrick, un virtuose capable de jouer des claviers, du basson, de l’accordéon et d’écrire des arrangements parfois assez extraordinaires et la preuve en est qu’après la fin de él records, c’est avec Dean que j’ai enregistré les deux albums qui ont suivi – Rainfall et Jean Renoir. Ça prouve à quel point j’étais devenu fan de Dean et lui de moi – c’était donc une relation bénéfique réciproquement. Mais encore une fois, c’est franchement la collaboration avec Simon Turner qui m’a le plus marqué parce que tout le monde était impliqué dans cette affaire – que ce soit Mike, Richard, Dean, Simon et les autres. C’était vraiment une période de profusion – on avait enregistré The Red Shoes, Royal Bastard et Ivory Tower en l’espace de quelques mois. Je ne quittais pas le studio – pas une seconde ! "


Louis Philippe, bien évidemment interviewé par l’auteur de Bright Young Things, se montre plutôt enthousiaste à propos de cet ouvrage.

Louis Philippe ©Nick Wesolowski
Louis Philippe ©Nick Wesolowski

" Evidemment, on aurait tous écrit une histoire différente mais je trouve le livre très impressionnant et très complet – l’auteur a interviewé toutes les personnes qui comptaient et le titre me plait beaucoup. Bright Young Things, ça me plait énormément. J’aurais raconté certaines choses différemment parce que l’auteur est venu à él par Nicholas Curry alias Momus qui était quand même quelqu’un d’assez… je ne dirais pas extérieur mais quelqu’un qui n’est pas resté très longtemps. Il y a eu son premier e.p. sur él Benelux, l’album Circus Maximus, Nicky et puis ensuite Nick est parti pour Creation – c’est-à-dire chez le diable. Il était un peu à part. Il avait une vision très personnelle. Je ne dirais pas égotiste mais très ambitieuse de sa propre carrière à venir que moi je n’avais absolument pas et que la plupart des autres n’avaient pas non plus. On était là pour prendre du plaisir à ce qu’on faisait – on le faisait autant par nécessité personnelle que par ambition mais certainement beaucoup plus par nécessité personnelle alors que Nick a toujours eu ce côté je veux devenir une pop star. C’est peut-être l’une des raisons pour lesquelles il était en porte-à-faux avec Mike puisque bien évidemment Mike souhaitait avoir une influence beaucoup plus importante sur sa musique."


Seul petit bémol sur la forme– mais un bémol quelque peu agaçant : même si cela ne nuit en rien à la bonne compréhension de l’ensemble, cette première édition Anglaise est truffée de coquilles. A l’instar de certaines maisons françaises qui se sont fait une spécialité des publications sur la musique et qui n’ont d’éditeur que le nom, les Allemands de Ventil Verlag n’ont pas jugé bon de relire – ou de faire relire – ce texte – et l’auteur non plus. C’était manifestement trop demander. Cet ouvrage est cependant une mine d’informations incontournable à propos d’un des labels les plus étranges et réjouissants des années 1980.


Adeste Fideles !



Merci à Marjorie Chaumet pour son aide précieuse !




Mark Goodall Bright Young Things: the art and philosophy of él records (Ventil Verlag, 2025)






 
 
 

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