Arthur Satan // A Journey That Never Was
- PERSONA
- 15 juin
- 8 min de lecture

Avec A Journey That Never Was, Arthur Satan signe une odyssée pop foisonnante et profondément personnelle. Ce double album, paru chez Born Bad, explore un imaginaire où cohabitent influences 60’s, rêverie héroïque et érudition musicale. Multi-instrumentiste, compositeur, mixeur et graphiste, l’artiste bordelais façonne ici un univers total, baroque et cosmique. Chaque morceau devient un monde démiurgique, chaque arrangement une mémoire en spirale : chœurs stratosphériques, guitares saignantes et mélodies ciselées forment un kaléidoscope sonore habité par les fantômes de Lennon, Wilson ou Bolan. La pochette, fresque monumentale entre Bosch et Druillet, prolonge cette vision intérieure, comme si un enfant laissé seul dans un studio avait réinventé l’histoire de la pop à sa façon. Déité imaginaire en constante extension et visiblement sans limite. Un opus hypnotique, ludique et malin, où le passé devient un terrain de jeu et la solitude un royaume.
Ce deuxième album solo est décrit comme une fresque mentale heroic-fantasy ultra référencée. Quelle a été la première image, idée ou émotion qui t’a lancé dans la création de cet univers ?
En fait, ça faisait un moment que j'avais dans l'idée de me remettre à dessiner des illustrations un peu plus chargées et qui ne soient destinées qu'au dessin pur. Pas pour les tatouages. J'avais en tête cette énorme bataille qu'on voit sur la pochette, plus ou moins sous cette forme. Entre temps, j'ai commencé à écrire un paquet de morceaux et l'idée du disque s'est imposée quand j'ai vu que j'avais une quarantaine de chansons potentielles. Je me suis dit qu'il serait intéressant de frapper un grand coup en faisant de l'album un bel objet. J'ai donc passé presque 200 heures sur cette pochette. C'est vraiment une conjugaison de mes deux passions dans un seul objet. C'était très naturel et pas tellement réfléchi. Le côté fresque mentale est un peu exagéré. Disons que le disque n'est pas spécialement centré sur la fantasy. Mais j'aime bien que la pochette brouille les pistes. La fantasy est surtout un prétexte pour aborder des sujets plus intimes tout en restant très pudique.
Tu joues de tous les instruments, tu mixes, tu dessines la pochette… Est-ce que cette approche totalement autonome est un besoin vital de contrôle ou une manière de préserver l’intimité de ton monde intérieur ?
C'est simplement que j'écris très vite, et qu'il est beaucoup plus simple de traduire toutes mes idées moi-même sachant que j'ai parfois la texture des sons, les arrangements, le groove et même la façon de jouer en tête pendant que j'imagine le morceau. Pareil pour la pochette. Et étant donné que je produis aussi le disque, je sais déjà comment traduire ces idées techniquement. Je trouverais un peu absurde d'essayer de décrire à quelqu'un ce qu'il devrait faire pour qu'il traduise ce que je sais déjà faire… En fait, je vois le disque comme mon laboratoire personnel dans lequel j'échantillonne, je teste… Je peux tout me permettre sans aucune pression extérieure.
Ensuite, le live est là pour tout casser. Les autres du groupe réinterprètent comme ils sentent les morceaux, on réécrit ou même invente de nouvelles parties ensemble. Ce n'est pas un backing band. C'est un vrai groupe qui se réapproprie des morceaux existants. Et il faut préciser que sur le disque, je ne joue que les instruments que je sais vraiment jouer. Romain joue les batteries, Vincent une bonne partie des pianos, etc. Je vous invite à lire les crédits du disque, car tous les gens qui ont participé ont, ou jouent, dans des groupes excellents.
A Journey That Never Was est un disque intense et déroutant. Comment as-tu géré l'équilibre entre foisonnement créatif et cohérence musicale ?
Je crois que, justement, le fait de le faire en grande partie tout seul a aidé à créer cette cohérence. J'aime l'idée d'avoir un disque varié dans les styles, avec beaucoup de types d'arrangements différents, mais dont l'écriture est le liant. Je crois, en tout cas j'espère, que depuis le temps que j'écris de la musique, on commence à reconnaître ma patte. Une patte qui se crée notamment au fur et à mesure de mes expérimentations à la fois en termes d'enregistrement et de mix, que d'écriture pure. En ce qui concerne le foisonnement, par contre, dès que j'ai vu que ce serait un double album, j'ai accepté d'aller à fond dans le truc, quitte à écœurer. J'avais envie de revenir à mes disques d'enfance, ces albums 70's parfois très longs qu'on découvre toute sa vie. Je voulais un disque pérenne, qu'on écoute dans l'ordre qu'on veut et sur lequel on revient des années durant. Je n'ai aucun souci à ce que les gens ne l'écoutent pas d'une traite. Je préfère qu'ils usent une face qu'ils aiment pendant un moment, puis, des mois ou des années plus tard, qu'ils réalisent qu'une autre face les attire… Je ne veux pas faire un disque de consommation, je veux faire un disque qui marche comme ceux qui m'ont fait aimer la musique. Des disques qu'on aime simplement toute sa vie. Des disques qu'on n'arrête jamais de fouiller. C'est mon rêve.
L'influence 60’s est très présente… Qu’est-ce qui te fascine dans cette époque, et comment l’as-tu digérée pour qu’elle sonne de façon aussi authentique ?
Je ne sais pas si ça sonne aussi authentique en termes de production. Ce n'était pas mon objectif. Je voulais surtout avoir un mix de musicien, naturel, une sorte de LO FI chic qui mette en avant les arrangements. Par contre, en termes d'écriture, oui, je voulais retrouver l'audace des années 60, cette façon d'oser tout avec une ambition démesurée, mais jamais malsaine. Je voulais convoquer des évidences musicales dans chaque morceau, que chacun entende un peu son groupe préféré dedans, tout en évitant la pure redite. Je trouve dans la musique de ces années-là un sentiment hyper rassurant, de liberté, d'évidence. Écrire un excellent morceau avec une pure mélodie sans essayer de réinventer la roue n'est pas si évident. On peut avoir l'ambition d'écrire des morceaux dignes des plus grands, aussi petits qu'on soit. Il ne faut juste pas se brider au style qu'on croit pratiquer. C'est ce qu’il se passait dans les années 60. Je pense qu'aujourd'hui, il y a un paquet de Beatles et de Velvet… Le foisonnement et la sur accessibilité de la musique rendent juste un peu plus difficile de les remarquer. Un mal pour un bien, et vice versa.
Considères-tu ce disque comme une sorte de reconstitution fantasmée, presque iconographique, d'un âge d’or musical ?
Oui, tout à fait. C'est une sorte de compilation personnelle de tout ce qui m'a construit en musique. Chaque musicien en a une différente, et j'espère que celle-ci résonne auprès des auditeurs. La question n'est jamais d'imposer mes influences, mais de me demander où nos influences se retrouvent entre celui qui compose le disque et ceux qui l'écoutent. C'est à ça que servent ce genre de disques, à mon avis.
Comment fais-tu pour écrire tes chansons ? Est-ce que tu t’inventes des histoires pour canaliser ton imagination ou plutôt libérer ce qui te trotte dans la tête ?
Sincèrement, je ne sais pas vraiment. Les mélodies me sautent au visage parfois déjà arrangées, parfois quasiment finies. C'est incontrôlable. Ensuite, c'est toujours la mélodie qui guide le reste. Parfois elle m'inspire une histoire, une sensation, une image, et parfois elle me fait ressurgir quelque chose de personnel, de vécu, de précis. Mais la mélodie est le lead. J'ai une écriture purement musicale. Je ne fais jamais rentrer la musique sur le texte, c'est toujours le texte qui doit rentrer dans la musique.

Graphiquement, tu développes aussi ton esthétique, illustrée, dans un univers très BD, heroïc-fantasy, sorte de mélange de Simon Bisley, de Loisel et de Moebius. D'où te vient cet amour pour le dessin, l'illustration ?
Je dessine depuis que je suis capable de tenir un crayon, ma mère était prof d'arts plastiques et mon frère dessinait lui aussi, et à côté j'ai commencé la guitare vers 5 ou 6 ans. J'imagine que le truc était relativement emballé. J'ai fait des études d'arts que j'ai quittées pour ensuite faire de la musique. Ce qui a été une bonne chose, vu que je peux conjuguer les deux aujourd'hui. Je suis devenu un collectionneur compulsif de livres d'art, d'illustration, de carnets de croquis ; ma chambre est une grotte remplie de livres, de disques et de matériel de musique. C'était un peu comme ça chez moi quand j'étais plus jeune, entouré de livres et de disques. J'ai reproduit le schéma. C'est une chance que je n'oublie jamais d'avoir eue, en tout cas.
Les clips sont aussi développés avec une narration graphique remarquable. Mis bout à bout, nous avons presque l'impression de regarder un court métrage animé ?
Ah, mais heureusement, c'est exactement le cas. C'est un triptyque d'animation basé sur trois morceaux du disque et qui forme un petit court métrage. Ça a été une chance inouïe de rencontrer les gens de Biscuit production à Clermont-Ferrand, qui connaissaient mon amour pour l'animation. Ils m'ont proposé le projet et on a bossé ensemble pour établir les choses. Ensuite, ils ont réalisé ça comme des chefs avec vraiment pas tant de moyens. Je leur en suis éternellement reconnaissant. Malheureusement, on n'est pas des flèches en termes de matraquage commercial. Je pense que les gens ont un peu raté l'ampleur des trois clips ensemble. Il faut aller les voir !
Je me teste d'ailleurs moi-même à l'animation, c'est un truc que j'adore. Vous pouvez voir sur YouTube les petites boucles d'animations que j'ai réalisées pour chaque morceau du disque.
Tu viens d’un background garage très frontal avec JC Satan. Ce projet solo est plus orchestral, plus produit. Est-ce que tu t’y sens plus libre ?
Non, pas vraiment, c'est juste que je ne suis capable de réaliser que ce que j'ai en tête sur le moment. Je ne change pas de projet par principe, seulement par besoin. Si je ne fais pas comme ça, je me sens bridé et je souffre. Ce qui est nul, convenons-en. Si ça revient, je réécrirai volontiers un prochain J.C.Satàn. Tout comme, depuis un moment, j'ai des envies de revenir à des choses très violentes… On verra bien. J'ai besoin que ce soit naturel, c'est tout.
Je viens de lire une interview de Bill Plympton (un animateur indépendant génial) qui explique qu'il rêvait jadis de bosser pour Disney… Un jour, un avocat de Disney vient le voir en lui proposant un million de dollars pour bosser avec eux sur Aladdin. Bill demande s'il pourra continuer à faire ses petits films dans son coin à côté, et le type lui dit que oui, mais que tout appartiendra à Disney.
Il a décliné l'offre, qui était son plus grand rêve, pour être sûr de continuer à faire ce qu'il aime comme il l'aime pour rester heureux. Je me sens un peu comme ça. Et je n'aurai donc sans doute jamais beaucoup de succès, hahaha.
Si chaque morceau est une "famille musicale", comme tu le dis, est-ce que tu pourrais nous raconter celle à laquelle tu es le plus attaché ?
Absolument aucune. Je me fous un peu du style que j'aborde et même d'en avoir conscience. J'aime les mélodies et les intentions. Je cherche juste toujours la meilleure façon de les mettre en avant. Si un jour c'est de la musique concrète, qu'il en soit ainsi. Si un jour c'est du garage dégueulasse, parfait. Comme j'ai dit plus haut, c'est la mélodie qui me guide, et les intentions. Plus ou moins violentes, plus cryptiques, plus baroques… qu'importe tant que c'est beau.
Stéphane Perraux

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