The Mercurials //Fire Of Love
- PERSONA
- 12 avr.
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Dernière mise à jour : 12 avr.

Par Mathieu David Blackbird
LE SEXTET FRANCILIEN PUBLIE UN PREMIER ALBUM EPOUSTOUFLANT EN FORME DE VIBRANT HOMMAGE A TOUT UN PAN DE LA MUSIQUE JAMAÏCAINE. "WELL, IT’S 1979 OK ".
C’est l’éminent Pascal Blua – graphiste de renom responsable de l’artwork du disque qui nous occupe ici et co-fondateur du label Violette records - qui m’avait mis la puce à l’oreille : il y avait à Montreuil une épatante formation qui remettait avec talent le ska et le rocksteady à l’honneur. Je me précipitais donc sur We Are The Mercurials, le bien nommé premier e.p. du sextet emmené par Hugo Fabbri – chanteur, guitariste rythmique et pois sauteur, transfuge des survitaminés Fuzzy Vox et afficionado du Gun Club – et Martin Gilloire – tromboniste et arrangeur de haut vol – et c’est peu d’écrire que je ne fus pas déçu. Nulle impression de revivalisme vain et frelaté à l'écoute des admirables chansons de The Mercurials - qui persistent à enregistrer sur bande magnétique - même si ces jeunes gens très doués - dont certains ont une formation classique - évoquent plus souvent qu'à leur tour nos vénérés Specials – c’est flagrant sur 2021 ! - avec par moments un zeste de Dexy's Midnight Runners période Searching For The Young Soul Rebels. Le meilleur restait pourtant à venir avec ce Tend The Fire effectivement incandescent sorti sur le label Kwaidan records - que les amateurs de Suburbia, Pierre Daven - Keller et Nouvelle Vague connaissent bien – et qui confirme le talent et la classe de cet élégant orchestre de l’east-end parisien. Ces jeunes gens n’ont donc grandi ni à Brixton ni à Coventry – ils possèdent pourtant tous les codes et c’est assez bluffant. Il est vrai que le Sextet a un sacré background derrière lui et que chacun de ses membres jouent ou ont joué dans une multitude de formations.
The Mercurials ont choisi leur patronyme en référence aux tours jumelles situées à Bagnolet - et qui
depuis 1977 fascinent plus d’un parisien.
" On a beaucoup cherché et eu du mal à trouver un nom explique Martin Gilloire. On voulait quelque chose qui
renvoie à qui on est – donc un ancrage local. C’est Hugo qui y a pensé et à ce moment-là j’habitais juste au pied
des tours que je voyais depuis ma chambre – et c’est parti comme ça."
" On a tous vécu un peu dans le coin confirme Hugo Fabbri. Moi, j’habitais dans le vingtième et j’avais une petite
fascination pour ces tours - sachant qu’en plus elles sont désaffectées. Elles sont énormes et personne n’y vient
jamais. On a tourné un clip en bas et c’était totalement laissé à l’abandon. On trouvait que le nom fonctionnait
bien. Les gens qui ne sont pas du coin pensent que ça fait référence à Mercure – la référence mythologique. Ça
joue sur les deux tableaux."
" On jouait du Ska Jazz instrumental, avec Elaine Beaumont la bassiste et Joseph Kempf le batteur, dans une
formation qui s’appelait Le Band Magnétique reprend Martin et on se produisait dans la rue, dans les bars, dans
le métro. On a fait ça pendant 5 ou 6 ans et Elaine s’est retrouvée à travailler avec Hugo sur un projet qui n’a
jamais vu le jour."
" Un projet de Pop Baroque précise Hugo. J’adore The Left Banke, les Zombies, Divine Comedy. Elaine m’a dit
qu’elle avait un groupe qui cherchait un chanteur et notre dénominateur commun, c’était la soul parce que je ne
connaissais pas grand-chose au rocksteady et au reggae – j’aimais bien Toots and the Maytals et The Specials
mais je n’étais pas un connaisseur. Je viens vraiment du Garage."
" L’idée de départ n’était même pas de composer mais de jouer des reprises dans les bars – ‘on s’amuse et c’est
tout’ se remémore son compère – jusqu’au moment où Hugo a proposé l’une de ses compositions et ça a
dégénéré."
Hugo reprend : " Au départ, nos influences ne se mélangeaient pas aussi facilement parce qu’on ne se
connaissait pas mais avec le temps cela nous a emmené vers quelque chose de différent. Notre musique relève
un peu du hasard – ce n’était pas forcément prévu comme ça au départ. J’ai toujours rêvé d’avoir un groupe de
Northern Soul et Martin m’a dit : ‘Oui – c’est du Rhythm and Blues et le Ska c’est également du Rhythm and Blues.
A 100% ’. Moi, je voulais vraiment amener un truc Anglais alors que les autres étaient plus axés sur la Jamaïque –
le côté roots, le groove, pas du tout ce côté pop, chansons."
" On ne se pose pas de questions développe Martin. On essaye des choses qui ne sont pas forcément
compatibles sur le papier – nous ne sommes pas inhibés. Certains de nos morceaux, ce sont des Lego – un
assemblage de pleins de petits fragments disparates. J’espère d’ailleurs que le disque est cohérent et ne sonne
pas comme un fourre-tout. C’est ce que j’aime chez les Specials – ils balayaient très large. C’est vrai que dans
notre style, il n’y a pas beaucoup de gens qui arrivent avec des choses fondamentalement nouvelles. Je pense
que ce qui fait la richesse de notre musique, c’est la tension entre le groove, le songwriting et quelques
bizarreries ici et là. C’est cet équilibre entre l’efficacité et une certaine sophistication. Et nous tenons au format
court – il peut se passer beaucoup de choses en peu de temps."

For The Kids en ouverture est une sorte de résumé de ce qui va suivre – cuivres, chœurs impeccables et excellence mélodique : Here Are The Mercurials ! C’est d’ailleurs avec cette chanson que le groupe accueille le public à ses concerts - à tout le moins ceux auxquels j’ai eu l’excellente idée d’assister. La chanson narre le quotidien d’un couple qui ne va pas bien et qui envisage de se séparer mais qui se dit que ce serait mieux de rester ensemble pour les enfants. Il y a de nombreux sommets sur ce disque et Send Some Flowers en fait partie avec cet impeccable son de batterie – une constante sur ce premier album - et la voix d’Hugo Fabbri noyée dans la réverbération. L’histoire d’un homme amoureux d’une femme qui attend trop avant de déclarer sa flamme et laisse finalement passer sa chance. L’intéressée l’invite néanmoins quelque temps plus tard à son mariage mais il se contente de lui envoyer des fleurs –la métaphore de cet amour contrarié.
Sweet Baby Boy, belle ode du frontman des Mercurials à son jeune garçon et In The Club – parsemé de
chœurs façon hooligans et qui narre la rencontre du désormais jeune papa avec la future maman –
prolongent le plaisir mais c’est certainement Fire In The House – sur lequel The Mercurials n’ont pas
oublié que Le rap est né en Jamaïque - et Lonely Boy qui sont les deux absolus killers du disque.
" Fire In The House, c’est un riddim que j’avais depuis longtemps et on a tourné autour pendant un petit moment.
Cela fait référence aux émeutes suite à la mort de Nahel il y a deux ans – des flics ont buté un gamin sans
aucune raison. Au départ nous n’avions que le titre et cette ambiance d’urgence et de panique. J’espère que ce
message sera compréhensible même pour les gens qui ne vivent pas en France – la police tue des innocents.
C’est un des paris du disque – il y a quelques chansons comme ça. On tenait à ce que cela fasse référence à la
France actuelle – on n’allait pas faire genre ‘On vient de Brixton.’ On voulait parler de Montreuil et du bordel à
Paris. Lonely Boy, c’est mon enfance à Saint-Maur Des Fossés au fin fond de l’île de France – presque la
campagne. Je n’étais pas très populaire, je n’avais pas beaucoup de potes – j’étais un peu solitaire. J’ai donc
commencé à jouer de la guitare et je n’ai plus fait que ça. C’est le morceau qui a donné la direction de l’album,
avec beaucoup de réverbération et de delay, de l’espace. Elle figurait déjà sur notre premier e.p. C’était une
collaboration avec Hugo Bracchi et on s’est dit qu’on allait retravailler avec lui et aller dans cette direction pour
l’album. Stuck In The Middle, c’est plus dans l’esprit Sham 69. Un petit côté slogan, supporter de football. Quant à
(I Don’t Wanna) Talk About Politics, c’est ma préférée – les paroles dont je suis le plus fier. C’est une chanson
pleine d’ironie qui fait référence à des manifestations récentes. Le Baron Haussmann avait fait construire
d’énormes axes pour que l’on ne puisse pas les bloquer et y construire des barricades et qu’en cas de
manifestation l’infanterie puisse circuler et tirer sur la foule ! Omnia Sunt Communia, c’est un slogan anarchiste
qui est à la base une encyclique du Pape qui dit ‘Tout est à tous – arrêtez avec la propriété privée " !
What Is Wrong With Me clôture la merveille de fort belle façon avec son introduction façon gospel. Il y a sur Tend The Fire un extraordinaire travail effectué sur le son et que l’on doit donc à Hugo Bracchi – le tout en analogique et dans les conditions du live pour la plupart des chansons – Fire In The House,
Omnia Sunt Communia et What’s Wrong With Me étant les exceptions.
" Nous voulions en effet produire ces chansons différemment mais en règle générale nous tenions à ce que l’on enregistre ensemble – c’est bien plus excitant. Le live, c’est la base – tu ne peux pas mentir. Nous avons d’ailleurs l’intuition que ce qui sauvera la musique – à une époque où le studio permet tout – ce sont les erreurs, les imperfections – l’humain. Cela va redevenir une plus-value – cela apporte de la chaleur. Tend The Fire a plusieurs sens : notre énergie sur scène mais aussi le fait de passer le relais – être des passeurs. On entretient la flamme et on la relaie en allant digger des riddims qu’on aime bien, en allant fouiner et on essaie humblement de faire notre sauce avec des éléments d’aujourd’hui. Il y a des chansons d’amour et d’autres plus politiques. On a beaucoup hésité quant au choix des chansons et la flamme était un dénominateur commun qui nous semblait marcher sur les deux tableaux – amour
et colère. On a une chance infinie d’être sur Kwaidan – c’est un honneur de travailler avec eux. On avait fait un concert à Pigalle et Marc Collin – qui adore le Ska – était dans le public. On s’est parlé et il nous a dit qu’il avait toujours rêvé de produire un groupe de Ska. Il nous a d’abord embauché pour jouer sur quelques morceaux de Nouvelle Vague.
On nous a ensuite présenté Pascal Blua avec qui ça s’est super bien passé et qui s’est occupé de l’artwork.
La grande classe du début à la fin – Allumez le feu !

The Mercurials Tend The Fire ( Kwaidan records / Distribution Kuroneko et Idol) 2025
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