PERIO // HISTOIRES D’OS
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Dernière mise à jour : 22h

RÉJOUISSONS-NOUS : LE PERIO NOUVEAU EST ARRIVÉ ET IL EST FAMEUX. THE SHARP BONES OF MY SLEEP AJOUTE, UN SEPTENNAT APRÈS LE DÉLICIEUX BLACK CONDENSED, UNE NOUVELLE PIERRE PRÉCIEUSE À L'ÉDIFICE – UNE DISCOGRAPHIE EN TOUT POINT ESSENTIELLE QUI COMMENCE SÉRIEUSEMENT À RESSEMBLER À UNE ŒUVRE.
" C’est bien simple – en gros, c’est un nouvel album tous les sept ans. Disons que si je pouvais être musicien à temps complet, intermittent du spectacle, les choses iraient plus vite – bien que je ne pense pas que le fait de faire de la musique tous les jours accélère véritablement le processus de création des chansons. Je vois beaucoup d’artistes qui de nos jours ont tendance à publier un album tous les ans. Je ne sais pas si c’est la pression du streaming et de la nouveauté – parce que maintenant tout va très vite – mais je pense qu’il faut du temps. Eloge de la lenteur – des choses mûrement réfléchies. Cela dit, le prochain album est presque prêt. C’est aussi le fait de retourner jouer aux Etats-Unis – cela a été un déclencheur. La langue, les gens, l’espace, les images - cela m’a inspiré pour écrire quelques chansons en plus. Il y aura d’ailleurs peut-être un ep en 2026 qui pourrait être un support pour une petite tournée ou quelques dates isolées."
A l’instar de The Apartments, Perio appartient au club très fermé des formations qui, non contentes de n’avoir jamais publié de mauvais disques, n’en produisent que d’excellents. Cela fait 31 ans que ça dure et The Sharp Bones Of My Sleep, sixième et splendide étape d’un voyage entamé avec Icy Morning In Paris en 1994, rappelle s’il en était besoin le talent d’Éric Deleporte pour écrire des chansons régulièrement admirables entre pop iconoclaste et folk dadaïste matinées cette fois-ci de cuivres comme sur ce Graffiti Palace qui ouvre l’album d’élégante manière et lui confère tout du long une couleur et une densité relativement nouvelles chez Perio.
" La seule fois où il y a eu des cuivres auparavant c’était sur Medium Crash – et il y avait des cordes aussi. Cela donne effectivement une autre dimension à l’ensemble. Medium Crash développait des idées initiées sur Icy Morning In Paris qui était un disque à la production plus fragile – plus frêle – une touche très minimale. J’avais 27 ou 28 ans à l’époque. On l’avait enregistré en 8 pistes avec les moyens du bord. C’était la politique économique du label Lithium à ce moment-là. La Fossette de Dominique A en 1992 avait été réalisé sur un 4 pistes – tout comme le premier album de Diabologum. L’aspect financier était important – il fallait faire attention. Medium Crash était un ton au-dessus parce que cette fois on avait eu la possibilité d’aller dans un vrai studio à New York - le Rare Book Room à Brooklyn - de prendre le temps, de travailler avec des musiciens Américains à l’écoute et c’est là où j’ai compris ce que signifiait produire un disque. Avoir des cuivres et des cordes était complètement hallucinant pour moi. A la même période, Nicolas Vernhes enregistrait American Water de Silver Jews – ce qui m’avait permis d’échanger quelques mots avec David Berman. Une belle expérience avec les musiciens ainsi qu’avec David Mecionis qui avait superbement arrangé Billboard parce qu’au départ c’était une chanson acoustique très simple. Il m’avait dit qu’elle était super et qu’il y avait un truc à faire – nous avons donc gardé les deux versions sur le disque."
The Great Divide conclura la trilogie - et marquera la fin d’une époque puisque de duo, Perio avancera désormais en solo avec le départ de Sarah Froning.
"A partir du moment où Sarah a entamé son doctorat et sa thèse en archéologie nos routes se sont séparées – même si elle fait quelques voix sur The Great Divide. C’est un disque plus aérien que les deux précédents et qui développe autre chose. Je l’aime beaucoup et il m’a permis de tourner un peu avec Stéphane Milochevitch à la batterie et Olivier Popincourt qui tenait la basse sur une quinzaine de dates. L’album était sorti sur Minimum – un petit label qui a malheureusement fermé boutique entre-temps. C’était une époque où il devenait très compliqué de trouver un tourneur. J’avais un peu le moral à zéro – je me disais que c’était la fin d’un cycle et qu’il fallait que j’écrive de nouvelles chansons pour passer à autre chose. J’ai commencé à envoyer des démos - et notamment à Rémy Poncet que j’avais rencontré précédemment lors d’un concert et qui lançait un label. Il s’est montré très intéressé. Je voulais juste publier un ep car je ne me sentais pas prêt pour un album mais il tenait à son concept de 30 Minutes With… comme il l’avait fait avec son projet Chevalrex. Ça m’a motivé pour écrire à nouveau. Cela a été fait avec les moyens du bord parce que je n’avais plus d’argent. La sortie de The Great Divide m’avait couté cher et c’était l’époque où le CD se vendait de moins en moins. La discographie de Perio n’existait que dans ce format. Toujours est-il que ce projet m’a remotivé et 30 Minutes with Perio a vu le jour en 2015 puis Black Condensed en 2018. J’adore cet album – le premier à sortir en vinyle - et c’est bien dommage que je n’aie pas eu à cette époque un attaché de presse comme aujourd’hui. Tout s’est fait un peu à l’arrache. Objet Disque n’avait pas de distributeur et l’album est passé un peu à la trappe mais il y a eu de chouettes concerts. Objet Disque a ressorti les deux premiers albums avec quantité de bonus – surtout pour Medium Crash. C’était important car il y avait quand même des chansons valables et cela a permis aux gens de pouvoir découvrir ce qui avait été mis de côté. Vincent Chauvier de Lithium avait été très indécis dans le choix des chansons à retenir – je pense qu’il avait dû passer quelques nuits blanches à tenter de composer le puzzle. Je vais d’ailleurs le contacter – je serais curieux de savoir ce qu’il pense du nouvel album."
The Sharp Bones Of My Sleep fait référence à cette étrange sensation entre éveil et sommeil - des cogitations semblables à des piques dans la tête qui empêchent de sombrer tout à fait dans les bras de Morphée.
"J’ai énormément de mal à dormir depuis quelque temps – c’est sans doute dû à mon travail de graphiste aux Editions du Seuil. Je me retrouve avec beaucoup de projets passionnants – je ne vais pas me plaindre - mais dans un processus de création, que l’on travaille l’image, le son ou la voix, c’est pareil et en fin de journée j’ai quand même le cerveau assez rabougri – un peu raboté. Ce n’est pas que j’ai du mal à concilier les deux activités – graphisme et musique – mais la première est plus importante puisque je suis salarié et la seconde reste quand même une soupape et un gage de liberté – car dans le graphisme il y a tout un contexte et un cadre avec les éditeurs et les auteurs avec beaucoup de va et vient. J’ai donc un sommeil un peu dérangé. Quand tu dors moins bien, tu as l’impression d’avoir des piques dans la tête. Je lisais récemment un poète Américain, Percival Everett, qui a écrit un texte qui s’intitule Ces Os et que j’ai trouvé sublime. Il est extrait du recueil Truite De Fond - c’est la source d’inspiration de la chanson The Sharp Bones Of My Sleep. C’est un assez long poème dont je me suis imprégné. Ce n’était que le titre de l’album au départ – que Rémy a trouvé superbe - et cela m’a motivé pour créer cette chanson qui est venue assez naturellement – en cinq minutes. Tout est parti d’une conversation avec Rémy qui m’avait dit qu’il aimerait bien que je fasse des chansons simples, juste voix, guitares et quelques batteries – peut-être un peu de piano – et en fait je n’ai pas réussi à faire ça. A part peut-être au niveau des structures qui pour certaines sont beaucoup plus basiques. Tout a commencé en pleine période Covid. Le confinement est arrivé et je me suis retrouvé tout seul dans une maison à la campagne pour élaborer toutes les chansons du disque. Ce qui me parait important, ce sont les échanges avec Rémy. Il n’a pas envie de simplement recevoir les chansons et d’envoyer le disque en fabrication. Il faut qu’il y ait une discussion et une vraie collaboration – et ça me plaît. En fait et étrangement – car leurs personnalités sont complètement différentes – Rémy me fait penser à Vincent Chauvier. Ces échanges sont importants pour avancer et évoluer car parfois on reste bloqué sur certaines idées, on est un petit peu dans sa bulle et c’est quand même bien d’avoir un avis extérieur pour avancer. C’était surtout très important pour moi que Rémy soit pleinement satisfait du disque qu’il allait sortir."
L’un des sommets de cette nouvelle livraison est certainement l’addictif Feel The Rage – très simple dans sa construction et d’une efficacité rare. Un grand single pop en puissance – pour résumer.

"Ça parait simple mais cela ne l’a pas été – revenir à mes premiers amours pop avec une structure couplet-refrain. Il y a souvent des plages assez longues chez Perio et là, l’exercice était quand même d’avoir un format court sur certaines chansons – c’est le cas sur Feel The Rage, Graffiti Palace ou Widow Club. Cette dernière était à la base beaucoup plus longue. C’est la plus personnelle de l’album et je voulais qu’elle soit un peu flash. Feel The Rage est encore mieux live – on vient de la répéter. Tu n’es pas le seul à m’en parler. Elle joue sur des influences très pop, basiques. Ce qui est étrange c’est qu’elle évoque The Zombies à certaines personnes."
Ce qui est frappant ici, c’est qu’il n’y a pas d’influences évidentes – un sentiment renforcé par la façon bien particulière de chanter d’Eric Deleporte avec un vibrato qui constitue véritablement la touche Perio.
"Non – il n’y a pas d’influences évidentes. Cela déstabilise un peu les gens. En guitare j’ai une formation Jazz – 3 ans de cours intensifs qui m’ont permis de décortiquer Charlie Parker, John Coltrane ou encore Wes Montgomery. Mais bon… je ne suis pas très fan des guitaristes – je ne me considère pas moi-même comme tel. J’ai développé un style un peu particulier mais pour moi ce qui compte c’est essentiellement le songwriting et la voix avant tout. C’est surtout en concert que j’accentue ce vibrato. Je l’ai pas mal travaillé pour accentuer cet effet de réverbération qu’on trouve sur Dance The Crisis et qui est encore mieux en live – plus intense. Je préfère que le vibrato soit naturel plutôt que produit par une boite d’effets. La voix est vraiment l’élément liant chez Perio parce qu’elle ne change pas – même si elle est travaillée différemment selon les moments. La chanson la plus dure à réaliser a étéThe Cradle – j’ai dû refaire les voix 50 fois peut-être. Au départ, elles étaient trop parfaites. Après, c’était la prise de son qui ne me plaisait pas. C’est une chanson hyper dure à chanter – dans les mouvements de voix et la mélodie. Finalement, j’ai refait une prise de voix à 6 heures du matin complètement endormi pour être dans l’esprit de la chanson. Se mettre en condition. Se détacher de tout ce qu’il y a autour – être le plus naturel possible. Ma préférée sur l’album reste Screens – j’ai vraiment beaucoup galéré dans l’agencement des mots. Elle est assez cinématographique – et beaucoup de chansons de Perio sont comme ça. Il y a dans les refrains une sorte de gimmick très Gainsbourgien. Ce qui a changé depuis Black Condensed c’est qu’au départ j’avais toujours besoin de la guitare pour composer alors que maintenant je fais sans – c’est-à-dire que j’enregistre sur mon téléphone des fragments de voix et de mélodies que je compile au fur et à mesure pour créer une chanson. C’est tout à fait nouveau. C’est arrivé par accident en fait car je vis dans un petit appartement et la voisine ne supportait plus de m’entendre jouer de la guitare. Je suis de plus très sensible aux sons extérieurs – une porte de métro qui se referme, un camion qui passe, une sirène de pompier – qui vont créer des notes dans ma tête. Une fois que ces sons et ces bouts de mélodies sont enregistrés je recompose le tout à la guitare. Tout est source de création. Pour en revenir aux influences, j’interprète quelques reprises lorsque je joue solo. C’est assez disparate – ça peut aller de Tim Buckley à Suicide en passant par Television. On mentionne parfois Syd Barrett et Nick Drake à mon sujet. Concernant le premier, c’est peut-être inconscient mais je suis très flatté. Quant à Nick Drake, je pense que c’est plutôt dans l’approche. Je l’ai d’ailleurs également repris récemment mais sans le fingerpicking. J’aime beaucoup Elliott Smith aussi – grande influence. J’ai eu l’occasion de le voir deux fois sur scène."
La discographie de Perio est d’une grande cohérence – même si chacun de ses albums possède son histoire propre. "C’est bien que tu sentes cette cohérence-là – j’en suis ravi. Je n’ai pas réécouté le nouvel album depuis un petit moment – j’essaie de prendre des distances. Après, il ne m’appartient plus – il est entre les mains et les oreilles des auditeurs. Je ne dirais pas que c’est le disque dont je suis le plus fier parce que sur Black Condensed il y avait des chansons tout aussi valables que sur celui-ci mais il se trouve que c’est le nouveau. Voilà – c’est une nouvelle aventure."
Mathieu David Blackbird

Perio The Sharp Bones Of My Sleep (Objet Disque, 2025)

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