Aline et Mustang // Rencontre croisée
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- il y a 9 heures
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En ce vendredi 7 février 2025, Aline et Mustang sont à l’affiche d’une soirée organisée par la salle du Grand Mix à Tourcoing. Il n’en faut pas plus pour que germe en nous l’idée d’une interview croisée de ces deux formations nées au début des années 2000 et au parcours plutôt singulier.
Les choses ne se passent jamais vraiment comme prévu… Nous devions commencer l’interview avec les deux groupes réunis ; malheureusement, entre les contraintes des groupes, les uns arrivant en direct de Clermont Ferrand, les autres en cours de mini tournée, et celles de l’organisation de la soirée, nous commençons notre rencontre avec les seuls membres d’Aline, ceux de Mustang nous promettant d’arriver au plus vite.
Après le projet éphémère porté sous le nom de Young Michelin mais rapidement avorté (quelle idée aussi, avec un nom pareil), Aline voit le jour au début des années 2010 et rencontre un succès critique immédiat pour deux albums qui auront marqué le renouveau d’une pop en France classieuse, dansante et mélancolique (Regarde le Ciel en 2013 et La Vie Electrique en 2015). Le groupe nous revient aujourd’hui pour présenter une compilation d’inédits, restés cachés trop longtemps… L’interview est donc bien sûr l’occasion de parler de ce nouveau disque, La Lune sera Bleue (2025) mais aussi de revenir sur l’histoire du groupe, celle d’une époque quand même un peu révolue et c’est bien dommage.
Avec Aline l’ambiance est immédiatement à la détente : nous sommes accueillis dans une bonne humeur générale par Romain Guerret (chant, guitares), Arnaud Pilard (guitares), Vincent Pedretti (batterie), Romain Leiris (basse) et Jeremy Monteiro (claviers) et avec ces bons vivants, le vin est généreusement réparti entre interviewés et intervieweurs.
En regardant la pochette de votre dernier EP, La lune sera Bleue, je me suis demandé si la fête à laquelle le groupe s’est préparée depuis tant d’année n’avait pas tourné un peu tristement ?
Romain : La pochette est issue d’une vieille session photo qui remonte à Young Michelin, notre ancien groupe. Mais effectivement, c’était l’idée d’une fête un peu triste, avec ses cotillons et ses chapeaux de travers… C’était le « mood » de Young Michelin et ensuite d’Aline, avec une certaine mélancolie.
Arnaud : Quand on a gagné ce concours (CQFD, organisé par les Inrocks de l’époque), on n’avait pas vraiment envie de fanfaronner non plus, l’image de looser nous convenait mieux.
Romain : En tout cas, ça collait bien avec la musique d’Aline, mais en vrai, nous ne sommes pas vraiment de tristes sires.
Arnaud : Notre musique est assez joyeuse, aérienne et plutôt positive, même si les thèmes abordés sont plus mélancoliques…
Romain : Oui c’est toujours teinté de différentes couleurs… Les trucs uniquement tristes, dark ne nous intéressent pas ; il faut de la nuance : voyager des deux côtés des sentiments, c’est le reflet de la vie. On n’est jamais complétement heureux ou malheureux, tout au moins pas moi ; on est toujours dans un entre deux. C’est l’idée de la musique d’Aline. Sinon, on est plutôt des mecs marrants qui aiment faire les cons. En plus nous avons de moins en moins de pression maintenant, on cherche surtout à s’amuser.
Comme tu disais dans de précédents entretiens, on peut faire des musiques mélancoliques sans ennuyer les gens… D’ailleurs dans ton panthéon pop, il n’y avait à l’époque que des chansons mélancoliques…
Romain : Est-ce que dans la pop, il y a des chansons vraiment joyeuses ? En dehors de Carlos et de la Compagnie Créole ? Car même dans la pop mainstream, ce n’est jamais super joyeux, on y parle souvent d’amour déchu. C’est souvent teinté de drame et de mélancolie la pop.
D’où le soutien, voire le parrainage d’Etienne Daho ?
Romain : Disons qu’au début, il nous a soutenu, car nous incarnions la pop un peu fraiche qui se référençait à l’époque Daho, Taxi Girl… On remettait un peu cette scène au goût du jour… Daho, s’est rapproché de nous, de Mustang, de Lescop, tous les nouveaux « jeunes gens modernes ». Il a dû y voir comme un hommage, mais nous n’avons jamais vraiment collaboré, ni parlé. Disons que l’on a participé à une carte blanche Daho à Pleyel, on a fait des vidéos avec lui, des sortes de « screen tests » à la Warhol …
Est-ce que Daho a vraiment compté pour vous ?
Arnaud : Oui, il y a une connexion ; notre productrice au début était l’ancienne manageuse de Daho et le mec qui a réalisé l’album est Jean-Louis Pierrot. C’est un artiste qui nous a influencé, et un cousinage avec lui a eu lieu au départ. Il était venu nous voir plusieurs fois sur scène.
Romain : Avec les Young Michelin, ce n’était pas l’influence majeure. Au départ, on essayait de faire de la musique anglaise des années 80, celle de Sarah Records, des Smiths, The Pastels, The Cure des débuts, la compilation C86… Mais aussi celle de la scène de Glasgow de l’époque. Comme on chantait en français, la comparaison avec Daho s’est faite, mais ce n’était pas l’idée initiale.
Arnaud : Je pense que Daho a eu la même démarche que nous, car lui aussi était très influencé par la musique anglo-saxonne.
(Romain sollicite Vincent, le batteur « tu peux parler Vincent, ne reste pas sur ton téléphone, c’est mal poli ! Ce n’est pas parce que tu es batteur… (rire) »)
Sur La Lune sera Bleue, il y a le morceau qui suit la reprise de Daho, S’éloigner quand même et on se dit que Daho aurait pu chanter ça ; y avez-vous pensé ?
Romain : Oui, il y a un truc, mais ce n’est pas réfléchi … C’est vrai que c’est l’un de nos morceaux les plus dahoesque… Bon, mis à part la production… mais les titres de cet EP sont tirés d’anciennes démos enregistrées à nos débuts.
Arnaud : Ça aurait été bien de le réenregistrer …
Romain : Oui, ça aurait pu être bien, chanté par Daho… Peut-être que l’on pourrait lui donner…
Arnaud : moyennant finances (rire).

Est-ce que chanter en français, a été un choix ou est-ce que ça s’est imposé à vous parce que vous maitrisiez mieux cette langue ?
Romain : Disons qu’à l’époque, en 2008-2009, il n’y avait pas beaucoup de groupes qui chantaient en anglais, mais quand c’était le cas ça me saoulait. Car je trouvais qu’il n’y avait aucune sincérité dans les textes chantés en anglais par des Français. Le type qui habitait à Tours ou à Martigues et qui se mettait à chanter en anglais…
Arnaud : Disons que ça pouvait avoir un peu de sens car la chanson que l’on écoutait était souvent en anglais…
Romain : Oui… Mais en plus je suis une brèle en anglais, je ne sais pas écrire dans cette langue. J’ai quelques chansons en anglais sur d’autres projets, mais je ne peux pas m’exprimer librement, c’est un carcan. Je ne suis pas assez doué pour bien écrire en anglais, et encore moins pour chanter ! Sois tu le fais avec un accent français bien assumé, avec un côté un peu exotique, soit tu le fais vraiment bien avec un parfait accent anglais. Et j’en suis incapable, ou alors il faut que je m’entraîne.
Tu as déclaré : « étant de nature pudique, je préfère chanter en français » ? J’aimerais bien que tu m’expliques.
Romain : (rire) C’est bizarre, c’est un peu contradictoire ! J’ai dit ça, moi ? Mais je peux être contradictoire ! Oui, je suis plutôt pudique, et ça peut être pratique de se cacher derrière l’anglais… Donc je ne comprends pas pourquoi j’avais dit ça… Parce que tu te mets à nu, quand tu chantes en français. Tout le monde comprend ce que tu dis, il n’y a pas de réinterprétation possible, c’est très cash. Quand j’écoute une chanson en anglais, je suis frustré de ne rien comprendre, même si je fais attention et que je l’écoute 40 000 fois… Donc, pour nous l’intérêt d’écouter des groupes anglais, c’est principalement la musique, le groove, le beat, le son… Après c’est toi qui fantasmes sur ce que le chanteur dit, et tu te fais tes propres films, alors qu’il chante un truc complétement différent de ce que tu entends ou interprètes. En français, c’est difficile parce que ça raconte une histoire, et tu ne peux pas la louper.
Arnaud : On faisait souvent le parallèle avec The Smiths, qui joue une musique joyeuse alors que leurs textes sont déprimants et en opposition avec la musique.
Un peu comme vous, non ? Vos textes parlent de séparation, d’amour impossible, tout ça sur des musiques qui font danser ?
Romain : Disons que l’on essaye d’éviter la redondance, chanter une chanson triste sur une musique triste, c’est chiant ! Quand tu parles d’une rupture amoureuse, c’est toujours mieux de danser dessus.
En ayant été produit par Stephen Street, avez-vous tourné en Angleterre ?
Romain : Non, nous n’y avons jamais joué, mais nous avons joué en Russie. D’ailleurs ça a été quelque chose, on est revenu comme les soldats de Napoléon, après la retraite de Russie… une cheville cassée… la vraie Bérézina !
Arnaud : Dès le premier soir, je me suis ouvert l’arcade sourcilière, en rentrant à l’hôtel, je ne trouvais plus ma chambre et je me suis affalé contre le mur en crépis !
Romain : On n’a pas bu d’eau, là-bas, la vodka est moins chère que la flotte, alors tu imagines ! Au bout d’une semaine, on était lessivé… On a aussi joué au Canada, dans le cadre des Francofolies, et aussi en Belgique… Mais on n’a quasiment pas joué à l’étranger, à part ça et un concert aux États-Unis ; c’est le problème de chanter en français. Et puis les Anglais sont très chauvins, quand tu joues du rock, tu es dans leur pré-carré, tu t’attaques à leur patrimoine, alors en plus chanter en français, c’est la guerre !
Arnaud : On a eu quand même un passage sur la BBC !
Romain : Oui, on a eu un passage avec une chronique dithyrambique sur la BBC-6. Mais on n’a jamais eu de proposition pour aller jouer là-bas, parce qu’ils sont particulièrement jaloux !

Pourquoi les morceaux de La lune sera Bleue sont-ils restés inédits, alors qu’il y a de véritables pépites, comme Marc par exemple ?
Romain : Le titre Marc remonte à 2010, à l’époque du concours CQFD, on avait gagné la possibilité d’enregistrer à New-York. Mais nous n'étions pas prêts. On a donc fait ces morceaux, on les a répétés… On était un peu cons, on ne voulait pas du producteur qu’on nous a proposé…
Arnaud : Et lui voulait enregistrer certains vieux morceaux des Young Michelin, comme Les Copains, Je suis fatigué et tout ça… et toi tu ne voulais pas…
Romain : Donc on est rentré de New York, mais on n’était pas hyper content de l’enregistrement… je ne sais plus pourquoi.
Arnaud : C’est surtout que nous l’avons fait écouter à des gens et que ça ne plaisait pas à grand monde.
Romain : Ces morceaux sont restés dans un disque dur pendant 10 ans, et c’est en les réécoutant que je me suis dit qu’ils avaient un bon son, que c’était un témoignage de ce que l’on était en 2009-2010 et que c’était complètement con que ces morceaux croupissent dans un coin.
Arnaud : Avec 10 ans de recul, on s’est fait confiance et on s’est dit que finalement c’était bien en fait…
Romain : Oui mais à l’époque on ne voulait pas sonner comme ça…
Arnaud : Il y avait trop de son de batterie acoustique…
Romain : Il a fallu 10 ans de maturation, et en réécoutant ça il y a deux ans, on s’est dit qu’il fallait qu’on les publie. On y a ajouté d’autres morceaux qui n’étaient pas issus des sessions de New-York. La Lune sera Bleue, on l’avait fait à Valence où on était en résidence pour le deuxième album, mais on ne l’avait pas gardé car il n’était pas dans la même couleur que les autres morceaux du disque. Puis les autres titres, ce sont des choses que l’on a fait en home studio. On a plein de matériel et on a pris ce qu’il y avait de meilleur. On n’a pas voulu que ce soit du remplissage avec des répétitions inaudibles ou des versions qui ne servent à rien.
Vous les jouez sur scène ?
Romain : Oui on en joue 4 : Marc, La Rivière est Profonde, La Lune sera Bleue et S’éloigner quand même.
Marc parle du thème de la séparation, mais n’est-elle pas un peu vacharde ?
Romain : Oui, absolument pas fairplay, c’est une "revenge song", c’est carrément de la mauvaise foi absolue. Marc n’existe pas, même si l’histoire est vraie. J’ai choisi le prénom pour la métrique. Bon, c’est un mec qui a vu ma copine deux fois et qui est parti avec elle ! C’est la chanson d’un gars en colère, avec la fin qui termine par « crève ! ».
Le titre La Rivière est Profonde est aussi un titre qui sort du lot, avec un texte de Guy Debord. Vous qui jouez plutôt avec la légèreté, on ne vous attendait pas avec du Guy Debord, plutôt un intellectuel sombre.
Romain : Il y a longtemps que je m’intéresse à Guy Debord et au Situationnisme, c’est très poétique et les Situationnistes étaient des gens très drôles. Ils buvaient énormément, ils faisaient beaucoup de farces. Ça vient des lettristes, d’Isidore Isou, des surréalistes, des gens qui étaient dans la poésie, la provocation et la rigolade. Debord vient de là. Chez lui il y a aussi des trucs chiants, comme La Société du Spectacle qui est intéressant, mais chiant à lire. Par contre les panégyriques de Guy Debord, une sorte de biographie, c’est très facile à lire. C’est là que l’on décèle chez lui qu’il voulait faire de sa vie une œuvre d’art ; son œuvre est avant tout poétique plus que politique, en ça il se rapproche du punk. D’ailleurs les premiers punks sont pro situationnistes. En tous les cas ce n’était pas un mouvement triste.
Il s’est quand même suicidé…
Romain : Oui, mais parce qu’il était malade. Il était alcoolique et il avait une polynévrite qui le faisait atrocement souffrir. Pour en revenir au morceau, je trouve ce texte super joli, avec une belle poésie.
Pour l’enregistrement est-ce ta fille qui lit le texte ?
Romain : Oui, c’est ma plus grande fille Lala, qui a d’ailleurs rechigné à faire ça, et ce que l’on écoutera sur scène c’est l’enregistrement de ma troisième fille, Louison, car on a perdu le sample original. Le texte est très enfantin, donc ça convient bien. Mais c’est aussi issu d’une chanson nantaise : Prisons de Nantes. C’est une sorte de mashup de Guy Debord, car le situationnisme est issu de choses empruntées. Un peu comme le hip-hop qui a une démarche similaire : c’est-à-dire piquer des choses pour les recycler dans une composition.
Sur tous vos disques, il y a des instrumentaux ; sur ce dernier il y a Acier Géant. Est-ce une volonté assumée, ou est-ce parce que les paroles ne viennent pas au moment de l’enregistrement ?
Arnaud : Oui, parfois le texte ne vient pas.
Romain : Moi, j’adore les instrumentaux, dans un album ça donne une respiration, davantage de place à la rêverie. Et puis, par exemple pour Les Copains, aucun texte ne peut coller.
Il n’empêche que pendant les concerts, le public entonne en cœur l’air de ce morceau, Les Copains.
Romain : Oui, façon chant de stade ! Mais sur des titres comme La Rivière est Profonde, ou Acier Géant, selon moi aucun chant ne peut coller. Ils sonnent comme des génériques. Et j’ai été bercé par les génériques de dessins animés des années 70/80. Il y en a des géniaux comme Wattoo-Wattoo avec des musiques synthétiques illustrant des êtres venant de l’espace. La Rivière est Profonde est dans ce « mood » là, avec un coté surf sous un orage. J’y vois un générique de dessin animé avec une fusée qui décolle. Mais j’aime beaucoup la musique surf, The Venture etc, dans laquelle il y a beaucoup d’instrumentaux.
Le Titre Plus Noir Encore est un instru un peu à part avec son rythme reggae. Comment vous est-il venu ?
Romain : Au départ j’avais l’idée d’un truc très électro, j’avais voulu me rapprocher d’un morceau d’Aphex Twin…
Arnaud : …et puis finalement l’instru au synthé a été remplacé par une ligne de guitare.
Romain : Comme j’adore le dub, le rock-steady, le ska old school, on s’est mis à refaire cet instrumental sur un rythme reggae. On a toujours adoré ce qu’avait fait The Clash dans ce style, mais on n’est pas des spécialistes du dub, ce sont juste des influences. On aurait aimé pousser le concept un peu plus loin…
Arnaud : On a quand même appliqué ces recettes avec des réverbs à ressort et des samplers d’origine.
Vincent : D’ailleurs, Stephen Street était content que l’on expérimente ce style dont il est fan…
Arnaud : Il faut dire que moi j’étais bien blindé de weed…
Romain : C’est bien d’essayer des trucs que l’on ne sait pas faire, car du coup ça donne des choses originales. Comme on n’est pas des puristes du dub, on a fait ça à notre manière…
Tu faisais aussi de l’électro à tes débuts ?
Romain : A mes 15 ans je jouais du rock avec mon groupe et quand je me suis retrouvé seul, j’ai acheté des ordinateurs, samplers et de quoi bosser. Je faisais donc de la pop en chambre. Mais c’est vrai, j’ai quelques morceaux vraiment électroniques qui s’apparentent à la synth-pop.

Tu faisais ce genre de chose avec Dondolo ?
Romain : Oui c’était le style que j’expérimentais alors.
Peut-on encore trouver des disques de Dondolo ?
Romain : Non, mais j’ai encore quelques CD. Avant le CD, j’avais une pléthore de morceaux qui sont parus sur des labels anglais, mais aussi français. J’avais un 4 titres sorti sur Interzone, des potes de The Hacker, j’ai eu aussi un remix de Jack de Marseille, j’ai aussi été signé sur le label de Ladytron, il y avait le morceau Peng...
Arnaud : Nous, nous étions le backing band de Dondolo et ensuite Romain a commencé à développer Young Michelin.
Romain : Oui et après, je me suis de nouveau « rockifié » ; j’en avais marre de faire de la pop de chambre avec mon synthé et mon sampler, j’ai eu envie de me remettre au rock et c’est là qu’on a monté le groupe, vers 2006-2007. On avait commencé à enregistrer le deuxième album de Dondolo. J’aimerais d’ailleurs le remixer, car il y avait de très bons morceaux, avec un très bon son de guitare… Et le switch, s’est fait à l’issue de cet enregistrement, j’avais mis les titres sur Myspace sans dire que c’était Dondolo. J’ai eu de très bons retours, on a alors décidé de monter le groupe Young Michelin. En fait, on a switché sur ce qui marchait, comme des putes !
Aujourd’hui, peut-on espérer un nouvel album d’Aline ?
Romain : Il faut que l’on ait le déclic… Bon, il y a aussi le fait qu’on a tous des boulots à coté et qu’on a des gamins, donc nos vies sont déjà bien remplies, c’est un peu compliqué… Ce n’est plus comme il y a 10 ou 15 ans quand je ne faisais que ça de mes journées, de 8h00 à 22h00.
Tu disais Arnaud, dans une interview pour Magic : « on s’est pointé à Paris, on avait 5 euros dans la poche et on n’avait que ça … »
Arnaud : J’ai dit ça, moi ?
Romain : « J’arrivais à Paname avec 5 € dans la poche » (imitant le ton d’une chanson réaliste). D’ailleurs il n’a toujours que 5 € en poche ! »
Vous disiez que vous vouliez vivre de votre musique ?
Romain : Oui, certainement parce qu’on y croyait, et il n’y avait pas de plan B. Et puis après, on a commencé à avoir des enfants, moi j’ai 4 filles, il nous a donc fallu des boulots alimentaires.
Vous travaillez dans la musique ?
Arnaud : Non pas du tout.
Romain : Nous avons des plans B secrets (rires). Disons, que l’on écrit et produisons pour d’autres. Comme pour l’album d’Alex Rossi, Domani è un'altra notte, qui cartonne bien… Il n’y a que Vincent, qui ne fait que ça, il joue dans plein de groupes.
Lesquels ?
Vincent : En ce moment dans Flora Hibberd mais aussi Baptiste W. Hamon, Roberto Cicogna, des gens que j’aime beaucoup. Je suis monté à Paris pour cette raison. Quand on a fait notre pause avec Aline, on m’a appelé pour jouer avec Calypso Valois sur la tournée de son premier disque. C’est là que je me suis décidé.
Romain : Romain (Leiris) et Jeremy habitent en région aixoise, moi j’y vais souvent car j’ai 3 grandes filles là-bas, mais aussi une à Paris, donc je fais des allers-retours. Arnaud, Vincent et moi sommes installés à Paris depuis 2017-2018. Mais, il est bon de pouvoir s’échapper de Paris de temps en temps. Après, si on avait pu vivre de ça et gagner plein de fric, ça aurait été cool ! Mais il est difficile de vivre de la musique aujourd’hui, surtout dans le rock indé. Il y a 20 ans, sans être une grande star, mais en appartenant à une classe moyenne de musiciens, tu pouvais encore en vivre honnêtement. Aujourd’hui ce n’est plus possible. Le milieu de la musique a suivi le mouvement de la société en général, la classe moyenne tend à disparaître.
Vincent : D’ailleurs, les salles de moyenne jauge ont tendance à fermer.
Romain : Il n’y a plus d’intermédiaire, plus d’alternative ni de nuance, tu es Beyoncé ou Taylor Swift, ou alors tu joues au chapeau à la fête de la musique. Bon j’exagère un peu…
Paris est très particulier ; dans une métropole comme celle de Lille, il y a un Zénith, mais aussi des salles moyennes et plein d’autres petites salles (des caves, des cafés-concerts).
Romain : Malheureusement, plus à Paris. Là, il y a l’International qui a fermé. A Paris, ça a toujours été dur : pour le catering on te balance un sandwich triangle à la gueule, t’as pas de matos, de back line. Les salles ferment aussi à cause des problèmes de voisinage, parce que ça réveille les gamins des bobos fraichement débarqués à Paris, qui emmènent leur gamin à la crèche en vélo cargo payé par l’entreprise ! (Soupir désabusé)
Pour autant, le système de l’intermittence ne vous sauve-t-il pas ?
Romain : Bon, je ferme ma gueule là-dessus, car je suis intermittent depuis 2004 et je ne veux pas cracher sur le système. Mais heureusement que je ne vis pas que de ça. Il ne faut pas le dire, car je vais avoir France Travail et l’URSSAF sur le dos ! L’intermittence est un système qui n’existe qu’en France, d’un certain coté c’est une chance… Mais ça te rend dépendant des aides de l’Etat, idem pour les salles subventionnées. Et pour le théâtre c’est pareil. Mais ça n’aide pas les artistes à se bouger le cul, parce que c’est confortable finalement. Romain part chercher du vin…
Vous revoulez un verre de vin ?
Vincent : Il y a un truc étrange avec l’intermittence, j’en discute pas mal avec d’autres musiciens, et on arrive à un stade où les gens t’embauchent et te proposent 20 cachets, pour te faire la moitié de ton statut. Comme si le boulot d’intermittent était de toucher des indemnités ! Alors que mon boulot c’est créer, composer, jouer, enfin bosser ! Mais il y a un revers de la médaille.
Dans la salle il y aura de vrais fans des Smiths… on vous a souvent comparé à ce groupe et toi Romain, tu ne disais pas toujours que du bien de Morrissey, qu’en est-il aujourd’hui ?
Romain : Oulala, ils sont chiants les fans des Smiths ! La merde…(rire), les Ayatollah…
J’ai dit du mal de Morrissey, moi ? Oh, oui c’est une tête de con, je pense. Mais bon, en même temps on est tous un peu des têtes de con par moment.
Est-ce que ça reste une référence pour toi aujourd’hui ?
Romain : Je n’écoute plus maintenant, mais je m’en suis tellement farci la tête. Je suis arrivé dans une phase où je n’écoute plus beaucoup de musique. Mais disons que cette musique reste inscrite en moi. Concernant les Smiths, je les écoutais très jeune, 14/15 ans ; au début je n’aimais pas du tout, sa façon de chanter me gonflait. Je préférais des trucs comme les Buzzcocks, The Damned, The Clash, The Undertones, etc. Les Smiths, je trouvais ça trop maniéré avec des guitares trop compliquées… avec le temps, j’ai compris le truc.
Alors que nous commencions à oublier notre projet d’échanges de points de vue entre Aline et Mustang, Jean Felzine, Johan Gentile et Nicolas Musset débarquent enfin. On se demande alors, si la convivialité instaurée par Aline continuera, car, que ce soit dans ses textes ou sur scène, Jean Felzine a un goût prononcé pour les punchlines mordantes et déstabilisantes. Il aime surtout piétiner le politiquement correct et on doute souvent de la position de son curseur entre le premier et le second degré. Nous serons rapidement rassurés, car malgré une longue journée passée sur la route et une courte nuit de sommeil, les gars de Mustang se montrent détendus. La rencontre entre ces deux formations n’est pas vraiment hasardeuse, car bien qu'une dizaine d'années les séparent, une multitude de choses les réunissent : le chant en français, le goût de la belle élocution, le tout joué sur des mélodies limpides et claires. Pourtant l’inspiration musicale diffère sur bien des points : pour Aline c’est plutôt du côté de la pop anglaise carillonnante des années 80/90 qu’il faut aller chercher leurs références, tandis que pour Mustang, c’est depuis l’adolescence qu’ils sont devenus des experts du rock des fifties. Ce positionnement fera partie des questions que l’on posera au groupe jusqu’à lors énigmatique.
La confrontation démarre avec Jean qui interroge Romain au sujet de ses bagouzes et de son air gitan :
Romain : Oui j’ai des origines gitanes, on m’appelle le « richi », qui veut dire le canard. Le hérisson est un niglo en gitan. D’ailleurs il y a Niglo-Park (Nigloland au sud-est de Paris / enthousiasme partagé avec les Mustang pour ce parc d’attraction).
Jean : Moi ça me fait penser à Cap’tain Niglo !
Romain : Oulala, ça dérape. Non, je ne suis pas du tout gitan, mais j’ai passé ma vie à Sainte-Marie de la Mer depuis tout petit…
Vous vous connaissez ?
Jean et Romain : Oui on se connait, mais on n’a pas joué tant que ça ensemble, on a quelques souvenirs de scènes partagées en commun…
Parmi les points que vous avez en commun, il y a le chant en français ; comment ce choix s’est-il imposé ?
Jean Felzine : C’est notre côté nationaliste ! La musique anglo-saxonne est de la musique faite par des gens qui parlent la langue. Vous parliez des Smiths tout à l’heure : les gens comprenaient ce qu’ils chantaient et ça participait de leur succès. Jouant en France, la question ne s’est jamais posée, on a toujours chanté dans notre langue maternelle. La pop, le rock, ce sont des musiques assez directes, et la langue met un filtre. Les Français en général ne parlent pas très bien anglais, donc chanter en anglais met une barrière. Pour nous le français faisait partie de la possibilité de transcrire l’esprit de la musique anglo-saxonne.
Chanter en anglais est aussi un moyen de se planquer…
Ça n’empêche pas qu’il y a de très bons groupes français qui chantent en anglais. Mais ils perdent quand même un truc incroyable sur scène, celui d’être compris. Pour nous le français est une force.
Romain aux Mustang : Est-ce vous avez déjà fait une chanson en anglais ?
Jean : On a fait des cover, mais pas de composition en anglais.
Johan : Et toi Romain ?
Romain : Oui on l’a fait avec Dondolo, sur le deuxième album. Mais ce n’était pas une grande réussite, car je parle et écris mal l’anglais. Et après, à partir de Young Michelin, on s’est décidé à chanter en français.
Johan à Romain : Et est-ce qu’après tu t’es senti plus détendu ? Chanter en anglais te donnait-il l’impression d’être un imposteur ?
Romain : Oui c’est vrai, j’avais l’impression de ne pas être à ma place et de raconter n’importe quoi. Je me suis senti mieux d’avoir trouvé la formule en français, d’être libéré de l’anglais et de pouvoir dire enfin les trucs que j’avais envie de dire.
Jean : Oui, des groupes comme les Smiths écrivent des choses très belles, ou les Ramones dont les paroles sont géniales.
Johan : Ouais enfin, les Beatles, leurs paroles n’étaient pas terribles…
Jean : C’est vrai que chez les Beatles ce n’était pas ce qu’il y avait de plus intéressant. De tous les groupes que je préfère, ce sont ceux qui ont de bonnes paroles et de la bonne musique. Chanter en anglais ne te donne pas l’autorisation de dire n’importe quoi, donc autant chanter en français.
On sent que tu es attaché à une notion de belle écriture ?
Jean : Oui, même si j’ai un problème avec ce truc de belle écriture, je n’essaie pas de faire joli, j’essaie de faire pour que ça percute. Quand on a commencé Mustang, je ne me voyais pas du tout comme un moteur. On essayait juste d’avoir trois-quatre lignes de textes qui fonctionnent sur des mélodies, on ne voulait pas se comparer à Léo Ferré. Ce n’est pas tant la belle écriture que l’on recherchait qu’un truc qui fonctionne sur de la pop ou des mélodies, et qui soit agréable à chanter. Moi comme j’adore chanter, j’essaie de trouver des mots qui fonctionnent vocalement. Mais tout ne marche pas ; les poèmes chantés, parfois ça ne fonctionne pas.
Romain : la poésie n’est pas faite pour être chantée. Pour mes chansons, je ne cherche pas à faire de la poésie. Pour moi ce qui compte c’est d’abord la musique, la pulsation et le rythme. Quand il faut se mettre aux paroles, c’est la vraie galère, parce qu’il faut que ça sonne bien, que ça raconte un truc, pas trop con, et que tu puisses exprimer ce que tu as envie de dire sur le moment. Mais c’est hyper compliqué. Je ne peux jamais partir d’un texte pour en faire une chanson…
Johan : Ça ne t’est jamais arrivé ?
Romain : Non, c’est la musique qui commande tout le reste.
Johan : tu vas avoir ta mélodie de chant et …
Romain : … et il faut que ça s’adapte. C’est chiant parce que, parfois tu as des idées, des trucs à dire mais ça ne marche pas.
Romain aux Mustang : Ce n’est pas le cas chez vous, vous travaillez séparément ?
Johan : Les textes et compositions pour la plupart, sont écrits par Jean. Ou j’apporte une composition et Jean met un texte dessus, ou parfois Jean et moi travaillons tous les deux sur une composition. Par contre les textes sont essentiellement de Jean.
Jean : C’est vrai que je commence rarement par le texte, ou alors je note des bouts de textes que j’assemble sur des mélodies. C’est rare que j’aie un texte et que je me dise, là je vais mettre un fa, ou un do. Les mélodies pop ne marchent pas quand la métrique est trop poétique, trop régulière.
Je m’amuse parfois plus à écrire des textes sur des compositions de Jo, parce qu’elles sont plus asymétriques, il se permet de faire des trucs impairs ou autres… Et souvent c’est agréable, tout ce qui à l’oreille est impair, un peu de traviole… Bizarrement, ça marque plus l’oreille. Oui, il y a un écueil à commencer par le texte, après ça dépend aussi de ce que l’on veut faire…

Alors, cette Chanson Française ? Ta chanson, n’est-elle pas une déclaration d’amour ?
Jean : Oui, on part du principe que si on écrit en français, on met forcément un pied dans la chanson française. Parce que pour les gens qui ont grandi dans les années 80, il y avait aussi bien Didier Barbelivien que Élie et Jacno… Même le rap c’est de la chanson française. Mais la chanson française, même « franceinterisée », elle est très lisse y compris quand elle fait semblant de ne pas l’être. D’ailleurs le titre, La Chanson Française a été écrit en 5 mn. La chanson française quand c’est bien, moi j’aime ça.
Ce n’est pas pour rien que tu as repris Brassens ?
Jean : D’ailleurs, au sujet de Brassens, on parle trop de ses textes qui sentent le travail, alors que ses mélodies sont d’une richesse incroyable ; il y a plein d’accords tendus, plein de trouvailles mélodiques, c’est compliqué… Mais comme les Français n’ont pas trop l’oreille musicale, la musique de Brassens n’est pas vraiment écoutée, alors que c’était un excellent compositeur.
Rémy : Concernant La Chanson Française, je suis d’accord pour dire qu’il s’agit d’une déclaration d’amour. Parce que quand tu commences à chanter en français, tu entends les gens dire « oui, mais ça ne sonne pas… » ; c’est un peu une excuse facile…
Vous sentez-vous des affinités avec d’autre groupes français ou d’autres chanteurs ? Avez-vous l’impression d’avoir influencé d’autres artistes ?
Jean : Je pense qu’Aline a eu davantage d’impacts que nous… Il y a eu une vague de groupes dans les années 2010 qui ont essayé de sonner comme Aline. Pour Mustang, je n’ai pas l’impression… Malheureusement, j’aurais bien aimé.
Y-a-t-il des groupes qui vous parlent, qui vous inspirent aujourd’hui ?
Johan : En termes d’artistes, on a peu de références en commun, Nico, Jean et moi. C’est plutôt une chanson, par ci-par-là qui parfois nous réunit.
Romain : Je n’écoute pas beaucoup de chanson contemporaine, ni beaucoup de musique. En revanche, j’écoute beaucoup la radio, une vieille avec une antenne, et c’est elle qui parfois m’apporte un peu de nouveauté. On ne peut pas dire que nous avons été une influence pour d’autres groupes, même si on utilise les mêmes trucs, les mêmes plans, ce n’est pas nous qui les avons inventés. Ce sont des références communes. Ou peut-être, avons-nous contribué à mettre le français à l’honneur dans la chanson rock. Effectivement, avec La Femme et d’autres, nous étions peu au début des années 2010 à chanter en français.
Jean : C’est vrai qu’à la fin des années 2000 les groupes français signés par les maisons de disques chantaient en anglais, mais ça n’a pas duré longtemps. C’est à ce moment-là, que nous avons été remarqués avec cette distinction du « chanté français » et ça a relancé une petite mode des textes en français, pour le meilleur et pour le pire.
Romain : Mais tout cela a été balayé par les musiques dites « urbaines », selon l’appellation des maisons de disque, qui en fait est devenue la nouvelle variété.
Jean : Oui, mais on constate que le rap a gagné, et à la loyale !
Romain : Non, le rap n’a rien gagné du tout, ce sont des courants qui émergent par vague… ça dure un peu et ça disparait… ça gagne 10 ans, ça perd 10 ans... etc. Mais je n’ai rien contre le rap.
Jean : Oui, mais entre deux, ça gagne beaucoup !
Il me semble que toi Jean, tu as écouté pas mal de rap ?
Jean : Oui, ça m’a toujours intéressé, j’en ai écouté ado parce que c’était ma génération. Disons que le rap de la fin des années 90 m’intéressait, mais plus maintenant. Peut-être aussi parce qu’il y en a trop et que ça a tout envahi.
Concernant Megaphenix, il y a une certaine cohérence dans l’ordre des morceaux ; ça démarre sur des chansons écrites à la première personne, au milieu il y l’interlude Tiretaine, Amen, et puis après les chansons commentent des faits de société, pour terminer sur Aéroport en duo avec Arthur Teboul. Est-ce qu’il s’agissait d’un choix conscient ?
Jean : Non, ce n’est jamais vraiment planifié au départ… C’est à la fin quand on fait le point sur l’ensemble des chansons que se dessine un track-listing, et que le tout fait cohérence. Ce n’est pas préparé d’avance, c’est après que l’on s’est aperçu qu’il y avait des familles de morceaux. On a fait en sorte que la deuxième partie du disque soit plus légère.
Nico : moi ce qui m’intéressait, c’était le point de jonction de l’instrumental après La Chanson Française. Les gars décident de faire une déclaration à la chanson française, pour ensuite faire un instrumental ! C’est farceur et en même temps ça veut dire que l’on attache autant d’importance aux textes qu’aux musiques.

D’ailleurs, concernant Tiretaine, Amen qui est très cinématographique, comment est-ce venu ?
Johan : C’est venu naturellement ; après avoir vécu à Paris, je suis revenu vivre à Clermont-Ferrand et j’ai eu envie de faire de la musique à l’image. Je n’ai pas pensé à un truc western, les accords me sont venus facilement, j’avais aussi des références de jeux vidéo. J’avais envie d’une musique paisible comme quand tu te retrouves dans une ville paisible dans un Final Fantasy. Je l’ai envoyé à un producteur qui m’a répondu : « C’est super mais ton titre n’est pas assez cliché, pas assez western, tu ferais mieux de le garder pour Mustang ». Finalement, il a bien fait ! Après, Nico a ajouté une batterie, Jean a eu l’idée du saxo, on s’est fait plaisir. C’est un peu comme l’idée des cordes sur Je ne suis plus aimé, pour nous c’était nouveau et tant mieux, ça amène une excitation et il faut que ça dure.
Si vous aviez un budget illimité, que désireriez-vous faire ?
Jean : On en a eu un peu marre des synthés et on préférerait amener des nouveaux instruments et des arrangements orchestraux. Le saxo est comme une voix, il amène un truc personnel plus attachant. Jusqu’à lors, si on avait envie d’autres sons instrumentaux, on le faisait avec des synthés et c’était devenu un procédé un peu trop automatique. Là on prépare un autre disque ; il n’est pas sûr que nous allions vers des arrangements mais plutôt vers quelque chose de plus aéré.
Et comme tu le dis, le fait d’être « trop variet ou trop spé », est-ce vraiment un désavantage ?
Jean : On a toujours essayé de fuir les clichés, car on pouvait facilement s’enfermer dedans, avec la gomina, la réverb sur les guitares, du delay, ça peut vite être chiant… Alors souvent on essaye de prendre le contrepied après chaque morceau, pour ne pas se restreindre, mais ça aussi ça peut devenir un procédé… Faut faire gaffe. Peut-être que ces changements incessants nous desservent commercialement, mais ça nous sert artistiquement, car ça nous permet d’avoir des idées, de créer de l’excitation et de donner l’envie de continuer. Cinq disques quand même, ce n’est pas si mal et presque 20 ans d’existence ! Après, oui on préférait que ça marche mieux, faire plus de dates. Mais ce qui compte, c’est de revenir à chaque fois avec des nouvelles chansons intéressantes.
D’ailleurs tu disais, que le plus dur pour faire un album, ce n’est pas de l’écrire, mais de trouver un label, des financements… ? Avez-vous été tenté par l’autoproduction ?
Jean : On l’a fait un petit peu, on a une association loi 1901, avec laquelle j’ai d’ailleurs fait mon disque solo ; le précédent album avait été réalisé à moitié chez Sony et l’autre partie en autoproduction. Depuis on a trouvé le label Vietnam et ça nous plait bien. Mais c’est vrai qu’à chaque fois qu’un disque est fini, on n’en dort pas, on se demande comment on va le payer, si on aura assez de dates… c’est un enfer et c’est injuste.
Avez-vous essayé d’organiser des tournées par vous-même ?
Johan : Après notre 3ème disque, Ecran Total, qui n’a pas du tout marché, on est revenu à une économie plus limitée, à trouver des dates par nous-mêmes ou faire appel à des connaissances, comme pour les dates dans le Nord : on a fait appel à un copain, qui d’ailleurs nous y a déjà fait jouer plusieurs fois. Après, le rêve serait de pouvoir se consacrer à la seule musique, car organiser une tournée prend énormément de temps. Et puis, les tourneurs le font mieux que nous. La gestion des réseaux sociaux et suivre les mails nous prend du temps que l’on préférerait consacrer à la musique. Ça c’est une frustration, mais c’est le cas pour beaucoup de musiciens.
Nico : On est dans un contexte où l’on sait que les SMAC manquent de subventions, c’est dur pour les petites salles. Les habitudes des gens ont changé, ils préfèrent aller vers des plus gros concerts, vers des Zénith ou des stades et s’offrir le gros concert de l’année. Et ça, il faut le comprendre et en tenir compte. Mais nous avec notre style de musique et le delta dans lequel on se trouve, moins grand public, on est directement impactés.
Jean : On a eu des hauts et des bas, mais là depuis quelques années, on a réussi à reconstituer une équipe autour de nous, un promoteur et un tourneur. Tout est un peu de haute lutte, mais petit à petit on va finir par trouver l’organisation qui nous convient. Mais, avec un certain confort on finirait par faire de la musique de merde… (rire).
Le temps passe….
Johan : Messieurs, on va devoir y aller car il nous reste peu de temps pour nous préparer et on a peu dormi… Mais avez-vous une dernière question ?
Comment des gens comme vous êtes tombés dans le rock fifties ? C’est quand même une musique de boomer !
Johan : Dans les années 2000, le rock des années 50 n’était pas la musique à papa mais à papy ! Jean et moi, on a toujours eu ce truc d’archéologue, on aimait Nirvana. Et Jean avait le journal autobiographique de Kurt Cobain ; dedans il y avait la liste de ses disques préférés. Il y avait les Stooges, du coup on s’est mis à écouter ça. Et puis, on a appris que les Stooges écoutaient Bo Diddley, et on en est venu aux pionniers du Rock, etc. On était vraiment dans une démarche d’archéologue. Et surtout, étant ado ce qu’on adorait, c’était d’être à part.
Pendant que les autres écoutaient Trio, La Rue Ketanou ou du néo-métal, nous on écoutait Hank Williams, c’était aussi notre manière d’être snobs. A partir de ça, on a commencé à cultiver nos propres trucs. Et à 16-18 ans, la musique que t’écoute, t’imprègne pour la vie.
Jean : C’est émouvant de découvrir ceux qui ont été à l’origine de nouveaux sons. Par exemple, celui qui a mis pour la première fois, une distorsion, sur une basse. Ça nous a permis de remonter le temps, d’écouter aussi Suicide, qui avait une approche neuve du son, en faisant du Rockabilly électronique.
Romain : On a d’ailleurs une influence commune avec Aphex Twin que nos deux groupes vénèrent.
Paul-é Pierre et Christophe Bétourné
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