
L’UNE DES HEUREUSES SURPRISES DE L’ANNÉE PASSÉE FUT LE BIEN NOMMÉ SIMPLE MINDED, ÉTONNANTE APPROPRIATION PAR LA FORMATION NANCÉIENNE D’UNE SÉLECTION DE MORCEAUX DE SIMPLE MINDS. MALGRÉ L’ESTIME ET L’ADMIRATION DUE À ORWELL, NOUS ÉTIONS AU DÉPART QUELQUE PEU SCEPTIQUES – NOUS AVIONS TORT.
Il y a ainsi de grands traumatismes qui vous marquent à jamais. C’était un samedi soir de 2015 au Melting Pot, sympathique bistrot du côté des Lilas dans lequel je m’étais rendu pour écouter quelques amis jammer avec Rachid Taha lorsque, hasard des rencontres de comptoir, un Bruxellois entreprit, pour une raison que j’ignore encore à ce jour, de me parler de sa passion dévorante pour les Ecossais de Simple Minds et m’affirma – lui qui semblait pourtant relativement équilibré – les avoir vu 87 fois en concert ! Je ne tardais pas à narrer cette étonnante anecdote sur les réseaux sociaux et reçut rapidement un message de Jérôme Didelot – meneur de jeu de grand talent au sein des épatants Orwell – me précisant qu’il avait lui-même vu la formation emmenée par Jim Kerr ‘une bonne dizaine de fois’. Précisons d’emblée que je n’ai jamais rien eu contre Simple Minds – mais jamais rien pour non plus. A l’instar d’autres étendards du post-punk – genre dont je suis pourtant friand depuis l’adolescence – comme Siouxsie And The Banshees ou Theatre Of Hate, leur musique m’a toujours totalement indifférée – que ce soient leurs disques période stadium rock ou leurs premiers pas plus expérimentaux.
Les aficionados d’Orwell - dont je m'enorgueillis de faire partie depuis le début - n’ignoraient certes pas le goût prononcé de Jérôme Didelot pour certains groupes de cette époque comme The Psychedelic Furs ou Ultravox qu’il reprenait avec talent sur le e.p. 80’s are 30 mais si une première mouture de Speed Your Love To Me était alors déjà au programme, son amour immodéré pour Simple Minds pouvait a priori quelque peu surprendre – voir rendre dubitatif à l’annonce du projet Simple Minded - tant l’univers délicatement ourlé d’Orwell se situe à des années-lumières du groupe de Glasgow. Le disque est pourtant une réussite - Jérôme Didelot parvient à rendre émouvantes et faire siennes ces chansons qu’il n’est pourtant pas interdit de trouver franchement horripilantes dans leurs oripeaux d’origine. L’exploit n’est pas mince – même si Orwell maitrise depuis longtemps l’art de la reprise et l’avait encore montré il y a 5 ans avec le magnifique e.p. Sunny songs For Winter sur lequel il rendait notamment hommage aux Kinks et à Joe Raposo. N’écoutant que notre professionnalisme, nous sommes allés jusqu’à réécouter les versions de Simple Minds – nous ne reculons devant quasiment rien chez Persona - et le verdict est sans appel : les relectures d’Orwell s’avèrent infiniment meilleures – et souvent poignantes ! Nous nous sommes d’ailleurs plusieurs fois surpris à chantonner Up On The Catwalk en jouant le disque. Un comble ! C’est en fait un livre - Themes for Great Cities de Graeme Thomson - qui a tout déclenché et donné à Jérôme Didelot l’idée et l’envie de ce Simple Minded qui s’intègre désormais à merveille dans la discographie du Nancéien d’adoption. Il s’en explique ici.
" L'idée de faire un mini-album de reprises de Simple Minds peut paraître un peu saugrenue pour un groupe comme Orwell, qui a construit un peu son... je n’aime pas employer le terme d'univers parce que ça peut toujours paraître un peu présomptueux, mais enfin, qui a construit sa couleur musicale sur des références vraiment liées à un songwriting classique, c'est-à-dire cette magie d'une suite d'accords, d'une mélodie, de ce qui se passe quand un type se met derrière une guitare ou derrière un piano. C'est vrai que depuis que j'ai commencé à écrire des morceaux - et tout au long de la carrière d'Orwell - je me suis inspiré de gens qui sont considérés comme des références en matière de songwriting. Quelqu'un comme Paddy McAloon de Prefab Sprout, j’adorais ses disques. Je me souviens d'une cassette sur laquelle était enregistrée une émission de Bernard Lenoir. J'enregistrais à la volée les morceaux que j'aimais bien et il y avait When Love Breaks Down. Je ne comprenais pas ce que disait Bernard Lenoir quand il désannonçait. Je ne comprenais pas le nom du groupe. Le disque n'était pas sorti parce qu'à l'époque les disques sortaient six mois après. Et j'ai écouté cette cassette pendant des mois en trouvant ça génial sans savoir ce que c'était. Donc là, si j'avais fait un album de reprises de Prefab Sprout, tout le monde aurait dit " Bien sûr, Jérôme Didelot, il aime bien Prefab Sprout, ça s'entend dans Orwell ". Mais Simple Minds c'est un cas particulier parce que j’ai l'impression que c'est un groupe dans lequel il n'y a pas d'authentique songwriter comme moi j'en admire. Il n'y a pas ce type qui se met derrière une guitare ou un piano et qui va pondre un morceau tout de suite dont on a l'impression qu'il est tombé du ciel. Simple Minds, c'est un groupe qui a bénéficié d'une espèce de magie - l’alchimie de cinq musiciens dotés de talents individuels indéniables. Le guitariste est très largement sous-estimé selon moi - dans sa manière d'approcher les morceaux, de les saupoudrer de parties de guitare en perpétuelle évolution mais qui sait également s'effacer complètement. Il y a une addition de talent. Les paroles de Jim Kerr sont assez énigmatiques, très symboliques, beaucoup de cut-ups comme en faisait David Bowie. Il y a plein de choses intéressantes quand on décortique. Mais c'est vrai qu'on n'associe pas cette musique au fondement du groupe que j'ai créé. Et c'est ça que je trouvais intéressant, parce que pour moi, dans mon adolescence, ça a été un des groupes les plus importants. Et rétrospectivement, quand 40 ans plus tard, je regarde en arrière, je me dis " mais pourquoi on n'arrive pas à faire le lien ? " Et je pense que comme souvent, avec la musique qu'on découvre adolescent, on sublime ce qu'on entend. Et ce que j'ai essayé de faire aussi, c'est de récupérer les sensations que ces morceaux m'avaient procurées à l'époque, de les filtrer à travers ma personnalité et puis d'en restituer de la manière la plus solennelle possible ce que moi j'entendais. C'est-à-dire quelque chose d'un peu différent peut-être, de plus mélodique… En tout cas, une émotion qui serait plus proche de celle que j'ai ressentie en écoutant ces morceaux que celle qui était partagée à l'époque.
Dans ce genre de démarche, dans ce genre de projet - on peut comparer à ce qu'avait fait Silvain Chauveau avec Depeche Mode il y a quelques années - il y a aussi l'idée de déshabiller les morceaux de leurs atours de l'époque. Donc Depeche Mode, évidemment, c’étaient des boîtes à rythme et des synthés. Simple Minds, c'est encore différent parce que c'est un groupe qui est passé par plein de phases et qui a eu un son qui a beaucoup évolué à travers les différents producteurs avec lesquels ils ont collaboré. Si on fait écouter un morceau comme Big Sleep à quelqu'un aujourd'hui, il va entendre du synthétiseur, une basse slappée avec un son des années 80 et une caisse claire qui résonne avant même d'entendre la chanson. Moi je trouve que la chanson est assez émouvante - elle tourne sur assez peu d'accords, mais elle a un groove intéressant. Elle est très évocatrice. La façon dont Jim Kerr place le chant et la mélodie, c'est assez inattendu - le refrain n’en est pas vraiment un. Prenons l’exemple d'Up On The Catwalk : le chant, les paroles, on pourrait presque en faire un rap, dans la métrique, la façon dont le chant est placé sur la musique. Donc il y a plein de choses quand on déshabille des morceaux, qu'on les débarrasse de leurs habits d'époque, qui peuvent jaillir et dont on peut tirer profit. Après, l'autre critère que je m'étais fixé, c'était d'éviter les tubes parce qu’ils sont ancrés dans une période qui m’intéresse moins et puis ce projet était aussi une référence à mon adolescence et pour moi les morceaux phares ne sont pas forcément les tubes ou les morceaux les plus connus - même si Big Sleep ou Speed Your Love To Me, il y a quand même des gens qui connaissent ces titres-là, des gens qui ne sont pas des spécialistes de Simple Minds. Mais je ne me suis pas du tout embarrassé de réflexions comme "quel titre devrais-je mettre sur le disque ? " ou " Est-ce que ça va plaire aux fans ? ". Je n'ai écouté que mon instinct et repris les morceaux dont je pensais pouvoir proposer une version pertinente - avec mon regard. Je les ai un peu choisis en fonction de ça. Qu'est-ce que je peux y apporter moi ? Qu'est-ce que j'entends qui justifierait que je les réarrange ? Il y a des morceaux que je n'ai pas osé reprendre parce que comme ce sont des morceaux qui sont nés de la cohésion d'un groupe, ça n'avait pas trop de sens. Il y a beaucoup de morceaux qui sont construits sur la rythmique avec des lignes de basse qui sont vraiment géniales. Et je me suis dit, ces lignes de basse, je les ai tellement écoutées, je les ai tellement aimées ! Il n'y a pas de basse électrique sur ce disque. Il y a soit de la contrebasse, soit de la basse au piano. Je pense que c'était une façon de respecter Derek Forbes, le bassiste original que j'adore. Et il y a un titre, c'est vrai, dont je pense que j'aurais aimé faire quelque chose. Je n’y ai pas pensé sur le coup et ça m'est venu un peu trop tard donc peut-être s'il y a un volume 2… c'est un morceau qui s'appelle Factory, qui est sur l’album Real to Real Cacophony et il y a quelque chose d'assez émouvant - un arrangement post-punk avec un synthé à la Taxi Girl ou Kraftwerk. On est un peu dans cette ambiance-là. Harmoniquement, il y a vraiment un truc qui se passe dans ce morceau qui pourrait être très intéressant avec un arrangement chamber-pop. Voilà. Petit regret.
Ça ne me semble pas inenvisageable d’intégrer certaines de ces reprises dans le set live d’Orwell. Quand je réécoute 20th Century Promised Land, je pense qu'il pourrait totalement s'intégrer. En plus, ce sont des instruments que l’on utilise - il y a la flûte, et un petit groove qui fait qu'il pourrait être assez efficace sur scène. Il y a une dizaine d'années, j'avais enregistré quelques reprises des années 80. Il y avait un morceau de Simple Minds, mais il y en avait d'autres. Et quand j'ai lu ce livre, Themes for Great Cities il y a environ 2 ans, j'ai eu un déclic. Pourquoi tout le monde a oublié que Simple Minds a été un groupe excitant ? Pourquoi tout le monde a oublié que Simple Minds était un groupe qui a été mis en avant par Bernard Lenoir dans Feedback sur France Inter, dans Rockline, aux Enfants de Rock ? Moi c'est grâce à Bernard Lenoir que j'ai découvert Simple Minds. C'était vachement bien, les Black Sessions, C'est Lenoir, le rock indé, mais j'étais super frustré qu'il fasse complètement abstraction de cette première époque du groupe parce que justement ils étaient devenus un groupe un peu trop populaire, un groupe qui fait chanter les foules. C'était le groupe qu'on n'osait plus trop assumer dans le milieu des critiques rock. Et moi, j'étais un peu frustré par ça. Et quand j'ai lu ce livre, je me suis dit, mais non, en fait, il faut assumer cette époque, elle était super. Et j'avais déjà lu aussi des articles dans Uncut ou Mojo, qui revenaient sur cette période ultra créative. C'était un groupe hyper intéressant, excitant, la presse s'emballait, les concerts étaient super. Après, c'est vrai qu'il y a eu une cassure, un moment qui a fait que c'est devenu un autre groupe. Ils ont eu l'opportunité de devenir un groupe au statut mondial avec un morceau qui n'est même pas d'eux puisque la cassure, c'est Don't You (Forget About Me). C'est un morceau qu'on leur a proposé, qu'ils n'ont pas écrit, qui les a propulsés en tête des charts des deux côtés de l'Atlantique. Mais bon, qui n'aurait pas saisi cette occasion ? Mais moi, j'ai perdu un peu mon groupe à cette époque-là. Je connaissais peut-être depuis deux ans. C'était le groupe phare de mon adolescence et c'est devenu un autre groupe. J'ai eu un peu de mal à avaler la pilule. Mais j'ai aussi pas mal souffert - enfinsouffert, c’est un grand mot. Disons que ça m'ennuyait un peu que dans les années qui ont suivi, dans les années 90, on oublie complètement cette période où Simple Minds était un groupe excitant, même pour les gens un peu pointus dans la musique. Et ce livre a servi à me convaincre qu'il fallait assumer cette période. Et en plus, franchement, je trouvais ça assez marrant qu'un groupe comme Orwell reprenne ce groupe. C'est vrai que c'est un peu surprenant - c'est presque une forme de provocation. Alors j'ai pris contact avec l'auteur – je voulais qu'il soit au courant qu'il m'avait donné envie de faire ça. Et puis je voulais aussi utiliser une de ses citations sur le disque. C'est un type qui par ailleurs a aussi écrit des livres sur George Harrison ou Kate Bush. Donc il n'a pas l'air d'avoir trop mauvais goût. Et je pense qu'il fait partie d'une génération d'auditeurs qui, comme moi, ont trouvé qu'on avait un peu trop vite oublié les premiers albums de Simple Minds. J'ai eu deux SMS super sympathiques de sa part car il avait, la veille en fait, croisé Jim Kerr à qui il avait remis le CD promo et qui trouvait ça super. Il demandait même des liens pour pouvoir partager. Alors malheureusement, le disque n'était pas sorti à l'époque. On n'avait même pas le lien pour acheter le disque. Mais depuis qu'il est sorti, il ne s’est rien passé donc j'imagine que Jim Kerr et ses copains doivent être un peu occupés. Mais bon, peut-être qu'il a oublié. Ce n’est pas grave, j'ai reçu le message. C'était déjà sympathique. Voilà. Belle histoire.
Mathieu David Blackbird


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