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Norma Loy // Ouroboros

Dernière mise à jour : 31 janv. 2023


©Mymoodypictures / Eric Mmp



Certains groupes sortent des albums de reprises (ou des albums « live ») quand ils n’ont vraiment plus rien à dire et qu’ils n’ont plus ni inspiration ni substance, et le résultat frise souvent la médiocrité, la fatuité ou la suffisance crasse. Puis, il y a de ces artistes plus rares pour lesquels le difficile exercice de la réinterprétation et de la citation confine à la sublimation, voire à l’œuvre d’art ultime. Norma Loy a toujours fait partie de la deuxième catégorie, celle des esthètes qui savent se réapproprier une œuvre et en extraire l’âme profonde. J’ai toujours admiré cette race de musiciens qui parvient à transformer de simples reprises en bijoux d’orfèvrerie plutôt qu’en pastiches sans saveur, comme c’est hélas le cas pour 90 % des tentatives de Tribute et d’albums de covers mal fagotés qui inondent le marché depuis les années 90. Habitué, sur chacun des albums de Norma Loy, à réinterpréter des titres culte de leurs héros de jeunesse, le duo Chelsea/Usher est parfaitement devenu maître en la matière.


Pour des raisons que j’évoque ici-même, l’histoire officielle du rock mainstream n’a négligemment retenu que peu d’albums de reprises (« Pin Ups » de David Bowie, « These Foolish Things » de Brian Ferry, « Kicking Against the Pricks » de Nick Cave & The Bad Seeds, « Counterfeit EP » de Martin Gore, « Through The Looking Glass » de Siouxsie And The Banshees ou la série des American Recordings de Johnny Cash) alors que dans le registre de la Musique Classique la réinterprétation a toujours été une constante à la fois majeure et respectée. Le répertoire classique des siècles précédents a depuis toujours fait l’objet de covers qui sont vraisemblablement considérées comme « nobles », alors que le rock n’a jusqu’ici jamais réellement bénéficié de cette « aura » pseudo-élitiste pour cette forme de transmission et de partage d’une composition à travers les décennies. Mozart, Bach ou Beethoven, sont repris par des chefs d’orchestre et des philharmoniques du monde entier depuis deux siècles sans que personne ne s’en émeuve et ne dénigre le fait que ce qu’on entend dans les auditoriums et opéras ne sont que des « covers » rejouées suivant la sensibilité du chef d’orchestre ou des musiciens classiques, et non des originaux arrivés uniquement jusqu’à nous par le biais de partitions manuscrites originales.


Il y a deux ans, j’ai rédigé pour ce site une chronique fort enthousiaste de l’excellent album de reprises de The Cure par Chrystabell & Marc Collin pour le projet Strange As Angels, car leur travail de qualité supérieure consistait à s’approprier les compositions originales pour les dissoudre dans l’univers lynchéen de la chanteuse américaine à la plastique généreuse. Le même Marc Collin avait enregistré avec Wendy Bevan (fille du premier acteur de la série britannique Dr Who) une très belle reprise de « Romance » de Norma Loy pour un single que nous avons édité en 2016 sur UPR. C’est également ce souci de transcendance qui motive les deux vétérans de Norma Loy pour cet album de reprises sorti chez nos camarades parisiens du label Manic Depression. « Ouroboros », pourtant achevé depuis deux ans, ne sort que maintenant, mais je rassure les fans, l’attente en valait la peine. Cela dit les Norma Loy n’ont jamais été pressés et ont toujours fait les choses à leur propre rythme !


Autant leur précédent album « Baphomet » signé sur Unknown Pleasures Records sonnait à la fois, musicalement et visuellement, comme le point d’orgue de leur longue carrière underground, autant celui-ci est une sorte de testament, l’essence de leur propre histoire, une sorte de reflet inversé dans un miroir sans tain. À l’image de l’Ouroboros qui donne son titre au disque on peut dire que la boucle est bouclée. Hormis l’artwork de la pochette (visuels et collages typiques de Reed O13 depuis le début de sa carrière de graphiste-photographe dans l’esprit du collectif Bazooka, de Pierre Molinier et du fanzine New Wave) que je n’aime pas du tout. Pour la petite histoire, sachez que l’artwork de « Baphomet » (paru un 2016) est graphiquement totalement différent des précédents albums de Norma Loy, du fait que j’avais insisté auprès d’Usher pour qu’il convainque Chelsea/Reed de ne pas utiliser son style habituel mais une photo du groupe assez mystique, car je ne pouvais me satisfaire d’une forme de collage graphique pour lequel j’ai toujours eu une forme de répulsion, et je le dis avec sincérité ni animosité, c’est mon point de vue depuis les années 80. Cela dit je me permets d’éluder volontairement le contenant pour me pencher sur le contenu bien plus intéressant. Et là, à 2 ou 3 titres prés je vous garantis que nous avons dans les mains une vraie perle qui dépasse largement le cadre du post-punk et de la cold wave de leurs débuts.


Passons ces multiples considérations et jugeons dès à présent cet « Ouroboros » pour ce qu’il est, une passionnante collection, à la fois inspirée et dans l’ensemble parfaitement produite ( je n’ai pas aimé les versions de « Romance2022 »,

« Venus In Fur » et « Next One Is Real » mais le reste est juste parfait ), de compositions séminales qui ont façonné le son de Norma Loy depuis le début des années 80. Dans la mythologie et les croyances païennes ou sacrées l’Ouroboros (Serpent ou Dragon qui se mord la queue) signifie syncrétiquement « quelque chose qui revient sur lui-même, dont le développement amène à un retour à la situation initiale », un cycle perpétuel, une renaissance mais aussi le début et la fin de toutes choses. L’obsession est connue, et assumée, par Usher et Chelsea, depuis toujours intéressés par des formes ésotériques et mystiques parfois au premier degré (avec CPM dans les années 80 il créait eux-mêmes leur propre fausse « secte » à la façon Psychic TV) et délicieusement hermétiques.


L’album s’ouvre par « Saeta » de Nico (single solo de 1981) dont les deux acolytes sont fans depuis leur adolescence punk dans les années 70. Au bout de 23 secondes d’introduction opiacée, la voix surgit dans sa dimension sépulcrale la plus ample et imposante, la magistrale texture vocale de Chelsea couronne un des plus beaux hommages à Nico que je n’ai entendu dans ma vie de misérable pécheur. Les claviers d’Usher expriment une vibration mystique et profondément inspirée, quelque part entre The Doors et Recoil avec une touche du The Kilimanjaro Darkjazz Ensemble ou de Bohren & der Club of Gore. Arrive la mélodie de « A Manner Of Speaking » des vénérables Tuxedomoon, le chant magnifique de Chelsea / Reed nous envoute au point de préférer cette version à celle pourtant mélancoliquement sublime de Martin Gore sur « Counterfeit EP » (1986). Les plus acharnés des fans entendront dans l’intro de ce titre les mêmes notes que dans le morceau « Derri​è​re Les Forêts » de l’album de Black Egg « Songs Of Death & Deception ».

Le choix de reprendre « Venus in Furs » du Velvet Underground & Nico est totalement logique (et éminemment prévisible faut l’avouer) quand on connaît l’admiration d’Usher & Chelsea pour la mythique formation new-yorkaise. Cela dit Anthon Shield/Usher et Dzlectric en avaient fait une version merveilleusement batcave au début des années 80, que je trouve personnellement plus impactante. A l’inverse je trouve celle de Norma Loy dans « Ouroboros » un peu poussive (probablement à cause de cette boite à rythme qui plombe la mélodie serpentine originale), sans grâce ni groove. Heureusement le talent vocal de Chelsea sauve cette version de la banalité.


« Touch Me » de Suicide, est une version proche de l’esprit de l’originale, et permet aux deux compères d’exprimer avec ferveur et bienveillance leur amour pour Alan Vega et Martin Rev (c’est Alan Vega qui eut l’idée du nom du groupe Norma Loy). Tiré du mal aimé deuxième album de Suicide, moins nihiliste certes mais objectivement bien mieux produit que le 1er album éponyme, même si Alan & Martin se laissent aller à une sorte de cabaret baltringue par moments.


« Leaving the table » est vraiment belle à pleurer. Extraite de « You Want It Darker » l’album testament de Leonard Cohen, cette chanson aux paroles profondément poignantes de vérité est en de bonnes mains avec Usher et Chelsea. Des esthètes je vous disais.


S’ensuit un hommage à Bowie, « Some Are », pas évident de plaire aux fans avec un titre inédit que l’on trouve originellement comme bonus sur la réédition remasterisée de « Low » en 1991 et qui a, semble-t-il, été enregistré entre 1976 et 1979 avec Philip Glass selon les notes sur le livret. Sur ce coup-là, Norma Loy joue la finesse de l’érudition, en reprenant un titre rarissime de l’époque berlinoise de Bowie/Eno. Ils manifestent toute simplement leur attachement à la période la plus artistiquement exigeante du grand David.


En plage 7 une nouvelle version de « Romance » (que je trouve ratée) confirmant le concept d’auto-reprise quasiment inventé par Usher il y a 40 ans. Energique et cinglante, hymne électro punk très bien produit et faisant une petite allusion à la mélodie du « The man who sold the world » de David Bowie, elle me laisse pourtant de marbre.

Je lui préfère sincèrement la première version sur le EP de 1983 ou carrément celle plus industrielle de Black Egg sur son album chef d’œuvre « Legacy From A Cold World » (cover à laquelle j’ai eu l’immense honneur de contribuer en exécutant le mixage final de cet album magnifique sur lequel Judith Juillerat avait intégré ses atmosphères et ses vocaux uniques)


« Up in flames » rend un hommage sincère à la défunte Julee Cruise (la muse de David Lynch nous a quitté en juin de l’année dernière) et apporte une forme de tristesse à la vision onirique et jazzy de la chanteuse. Pas ma tasse de thé.


La version de « Next One Is Real » est efficace et pulsatile sans jamais réussir à égaler l’originale de Minimal Compact dont la spécificité cold moyen-orientale est difficile à reproduire.


Le seul titre dont je ne connaissais pas l’original est « A Night to Forget » des punks industriels de San Francisco, Factrix, dont je n’avais jamais entendu parler mais dont certains membres étaient issus d’une formation bien plus connue, Minimal Man. J’apprends, en écrivant cette chronique, qu’ils ont travaillé avec Monte Cazazza, une autre figure pionnière de la musique industrielle vénérée par Norma Loy. C’est de loin ma reprise préférée de ce disque. Ce groupe est capable de fulgurances, celle-ci en est vraiment une !


« What a Day » de Throbbing Gristle est un mix différent de la version que Norma Loy avait enregistrée pour le Tribute à Genesis P-Orridge que nous avons publié en 2016 sur Unknown Pleasures Records. Cette cover plus noise a la particularité et la force de rejoindre les paroles de GPO à un épisode dramatique de la vie personnelle de Chelsea, qui lui donne cette texture vocale et cette gravité si particulière, l’élevant au-dessus des chanteurs les plus imposants de la scène Cold et New Wave française des eighties.


Le morceau de Coil « Fire if the mind » (présent sur le fabuleux « The Ape of Naples » de Coil sorti en 2005) résonne comme une ode funèbre aux géniaux Jhonn Balance et Peter Sleazy Christopherson. Parfaite conclusion pour clore un cycle, et probablement renaître sous d’autres formes, méthode qu’Usher a toujours su pratiquer et que vous découvrirez en détail dans la très attendue biographie de Norma Loy par Sylvain Nicolino qui est en cours d'écriture.


Pedro Peñas Robles



Ouroboros (Manic Depression) 2023

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