MATT ELLIOTT
- PERSONA
- 7 juil.
- 5 min de lecture

Réchauffer la froideur
par Stan Degré
Il y a vingt ans, Matt Eliott sortait Drinking Songs, premier élément d’une trilogie marquante, un magnifique album de sept titres dark folk qui reste encore à ce jour son plus écouté en streaming, et son plus vendu pour le label Ici d’Ailleurs, plébiscité comme jamais par les nombreux fans du natif de Bristol.
Matt Elliott, qui s’était déjà fait un nom dans la scène indé électronique sous le pseudo The Third Eye Foundation, s’aventure au début des années 2000 en territoire folk.
En 2004, Drinking Songs est le second album que l’anglais sort sous son propre nom.
La particularité de Matt Eliott est déjà sa capacité à fusionner différents styles, mêlant un folk de chambre à une musique de cabaret d’Europe de l’Est, tout en utilisant en parallèle sa culture de la musique électronique et en particulier sa maîtrise du sampling et de ses effets, au service de la chanson.
Exploration profonde de la condition humaine, Drinking Songs est un voyage à travers les recoins les plus inaccessibles de l’âme. Chaque titre de cet album est une histoire en soi, une fenêtre ouverte sur des moments de douleur, de nostalgie et de réflexion.
Plusieurs centaines de concerts à travers l’Europe et sept albums plus tard, Matt Elliott nous présente donc Drinking Songs Live 20 Years On, revisitant cet album phare.
Enregistré à l’Autre Canal de Nancy, où l’anglais vit maintenant depuis plusieurs années, cet album propose des versions inédites en trio, avec des musiciennes qui l’accompagnent régulièrement sur scène : Anne Elisabeth de Cologne à la contrebasse et Barbara Dang au piano.
Qui l’a vu sur scène en solo ou ainsi accompagné, sait combien Matt Elliott a aimé puiser sans cesse dans les titres de Drinking Songs, comme l’emblématique et poignant The Kursk (évocation récit de ce sous-marin russe que Poutine laissa couler avec son équipage sans le secourir).
Matt Elliott a aujourd’hui 50 ans, et il me répond sur cette actualité par email, après un concert donné en trio au Théâtre de l’Atelier, à Paris, où il nous a donné des ailes pour planer.
Réchauffer la froideur : quand on entend The Kursk sur l'album Drinking Songs, c’est glaçant. Quand on l’écoute dans sa nouvelle version vingt ans plus tard, c’est autrement plus chaleureux. Est-ce que tu serais d’accord avec moi pour cette interprétation ?
Matt Elliott : C'est difficile d'être objectif de mon point de vue, car je suis trop proche de la musique. Je sais que sur scène, du moins pour moi, la sensation est très similaire à celle d'il y a 20 ans, mais plus développée avec les mouvements supplémentaires qui sont apparus au fil du temps. Je suppose que cela dépend aussi de la définition exacte de « froid » ou « chaud ». Mais comme je l'ai dit, l'intention derrière ma musique est très centrée sur l'auditeur, donc si vous avez l'impression qu'elle s'est réchauffée avec le temps, vous avez raison.
Sur la scène idéale du Théâtre de l’Atelier, j’ai eu l’impression que ta musique se déployait magiquement car, comme tu le disais, tu avais des ailes avec la violoniste d’un côté et la contrebassiste de l’autre. Dirais-tu que ce rapport de confiance est primordial pour toi, aussi bien pour performer que pour enregistrer cette nouvelle version de l’album ?
Hmmmmm, eh bien je ne dirais pas que c'était vraiment une question de confiance, mais bien sûr j'ai une confiance totale dans les capacités d'Anne Elisabeth de Cologne et de Christelle Lassort. Elles sont incroyablement talentueuses et ont une compréhension très profonde de ma musique et de ce que j'essaie de faire. Avec Anne Elisabeth nous avons fait quelques concerts ensemble et c'est toujours magique. Je pense qu'elle apprécie vraiment cette façon de faire de la musique. Cette liberté autour d'une structure. Aucun concert n'est jamais pareil. J'ai un respect absolu et une admiration pour son talent et celui de Christelle aussi. C'était notre première fois en trio et c'était vraiment comme voler.
J’ai eu l’impression aussi, depuis que je t’avais vu à l’Alhambra pour le festival Au Fil des Voix, que tu as une joie renouvelée de chanter. Te sens-tu transporté quand tu te produis sur scène ?
Oui, j'aime beaucoup plus chanter maintenant, parce qu'en fait, j'en fais moins, ce qui me permet de donner plus. C'est-à-dire bien sûr, quand ma voix est en forme.
Est-ce que ce nouveau souffle pourrait être dû à ta pratique du saxophone, que tu as adopté et qui apporte de l’oxygène à tes compositions ?
Oui, je suis complètement tombé amoureux du saxophone, c'est un instrument très expressif mais je cherche encore ma voie et oui, j'aime revisiter de vieilles chansons et voir ce que je peux ajouter. J'essaie de construire le répertoire live tout en avançant. Cela me permet de composer d'une manière différente car c'est un instrument très mélodique, l'accent est mis sur la mélodie.

Je me demandais si, par hasard, tu n’aurais pas recours à la méditation ou à des pratiques relaxantes, comme le yoga ? Je te sens beaucoup plus serein dans ton art qu’il y a deux ans.
Je dirais que la musique elle-même est une technique de relaxation, même si ce n'est pas évident sur scène, mais en fait, je suis content de l'entendre parce que j'essaie de travailler sur la psychologie d'être sur scène. Je suis une personne vraiment timide et je me sens souvent comme un imposteur, donc il peut être difficile d'avoir confiance en ce que je fais sur scène. Je peux être un juge très sévère de moi-même et en fait, ce que j'ai remarqué en travaillant avec des musiciens costauds, c'est qu'ils maîtrisent cela, quand ils jouent, ils « s'allument » et c'est assez incroyable à voir.
A chaque fois que je te vois en concert, j’ai l’impression que tu plonges ton public dans une forme d’hypnose… Comment arrives-tu à tenir en haleine des salles aussi grandes que le Café de la Danse ou le Théâtre de l’Atelier ?
Je fais juste ce que je fais. J'adore ces salles, mais en fait je fais la même chose s'il y a 5 ou 500 personnes. J'aime jouer devant un public assis, le fait qu'ils soient sur des sièges rend légèrement plus facile de les mettre au bord d'eux.
Pour revenir à ta technique des boucles et superpositions, j’ai l’impression que c’est comme une forme de brouillage qui vient salir le son, un peu de la manière dont procède le shoegaze… Qu’en penses-tu ?
Le looper est un outil et j'en voulais un avant qu'ils n'existent. Il aide à construire une cabine sonore avec beaucoup de détails et bien sûr, plus on ajoute d'éléments plus cela brouille la perception du son, donc oui je suis d'accord.
Gael Segalen dit que les voix, ce sont aussi des mondes imaginaires. Avec toute les influences que tu charries, l’héritage espagnol, l’âme slave, les musiques répétitives, as-tu conscience que ta musique nous permet de rêver loin par-delà le temps et l’espace ?
On me dit souvent que ma musique libère des expériences visionnaires et c'est toujours agréable à entendre. Les voix ont certainement un lien très profond avec l'esprit et l'âme humaine et c'est peut-être ce qui déclenche l'imagination. Je souffre moi-même d'aphantasie (incapacité de créer une scène mentale), ce qui rend la visualisation difficile.
Après vingt ans de fidélité à Ici d’ailleurs, à Stéphane Grégoire et Nancy, comment envisages-tu la suite ? Car j’ai l’impression que l’album The End Of The Days marquait la fin d’un cycle… Et que ton potentiel à l’international est patent, quand on voit que des fans venaient de Los Angeles pour ton concert parisien…
J'ai toujours eu la chance d'avoir des auditeurs du monde entier. Je n'imagine pas quitter Nancy, mais on ne sait jamais, et oui, dans un sens, tu as raison End Of Days marquait en quelque sorte la fin d'une époque, et j'ai maintenant le sentiment qu'il y aura un pas en avant, comme Drinking Songs il y a vingt ans.


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