« I can’t control myself, I get the feeling it’s the end. And it’s burn » chantait Luis Vasquez dans Burn au tout début de Criminal son quatrième album.
L’addiction à la déglingue était trop forte, et je ne dis pas ça pour le faire passer pour un toxico car c'est son besoin d'une vie extrême qui pouvait parfois le mener au bord du vide, mais comme on le sait, ingurgiter du Fentanyl est comme jouer à la roulette russe tant cette drogue de synthèse peu onéreuse fait des ravages. Mauvais dosage ? Ainsi Luis est tombé le 19 janvier dernier, en compagnie de Juan Mendez (Silent Servant) et de sa femme Simone Ling. Des éléments se précisent de jour en jour et il semblerait qu'ils aient absorbé de la cocaïne coupée à ce puissant opioïde, sans qu'ils le sachent ! Quelle malchance pour eux, pour lui, pour leurs proches et tous ceux qui appréciaient sa musique. Marion, l’épouse de Luis est évidemment dévastée et fait savoir combien il aimait ses fans.
La France a d’ailleurs toujours été un pays où il a été merveilleusement accueilli.
Luis Vasquez a toujours été l’axe principal de The Soft Moon, groupe insaisissable qui revisitait le post-punk à travers ses névroses. Enfant de San Francisco, il distillait son rock-électro fiévreux à travers le monde depuis 2010 avec tout d'abord un premier album éponyme. Dès ce premier disque, Luis était partout : composition, écriture, enregistrement, production, et même le design de la pochette. « Cet album était spontanée et n’avait pas au départ l’objectif d’atteindre un public » disait-il.
Electron libre il publiera ensuite quelques EP dont le fabuleux Total Decay en 2011, beaucoup plus radical dans l’expression des morceaux, notamment au niveau des percussions presque tribales par moment. Une constante est aussi à souligner au niveau de ses premières pochettes ; seules trois couleurs dominent : rouge, noir, et blanc.
Il enchaînera ensuite les dates jusqu’en Europe comme une traînée de poudre qui enflammera l’Hexagone. Suivra Zeros en 2012, son deuxième opus chargé à bloc de frustrations. L’auteur voyait d’ailleurs cet album comme une œuvre plus conceptuelle que ses précédentes productions. Exigeant, à cette époque Luis Vasquez changeait de musiciens quasiment systématiquement à chaque nouvelle tournée car il n’était jamais seul en scène. Pourtant grand solitaire, il gérait tout de ce groupe et promenait son spleen claustrophobe avec une grande sensibilité. Puis vint le temps de l’enfermement. Il quitta New York pour Venise et son romantisme noir. C’est là-bas qu’il composa Deeper, album de l’introspection sorti en 2015.
Mais ce disque, perçu comme un saut dans le vide était aussi celui de l’ouverture : sur Wasting, superbe morceau hypnotique aux allures d’un Depeche Mode fiévreux, la folie se déguste comme un bonbon empoisonné. Univers flippé est aliéné, cette exploration sans filet ne laissait donc pas indifférent.
J’ai pu voir The Soft Moon en concert environ six fois entre 2012 et 2018, du Cabaret Sauvage au Trabendo, en passant par Le Point Éphémère, La Maroquinerie, Le Café de la Danse, La Machine du Moulin Rouge, etc… J’ai également pu rencontrer Luis Vaquez par deux fois. La première, en compagnie de Erisxnyx sur le toit du Moulin Rouge en novembre 2015 pour le fanzine Abus Dangereux et dont voici l’entretien paru en 2016. Le choix du rédacteur en chef Laurent Castagné (pour son dernier numéro en tant que tel avant de passer le gouvernail à Cathimini), de le mettre en couverture avait également été accueilli avec joie par nous tous.
En guise de titre pour mon article et en rapport avec Deeper, j'eus l'envie de faire un clin d’œil au roman dense et torturé de Thomas Mann car l’opacité des sentiments de Luis Vasquez régnait déjà, et pour toujours !
MORT À VENISE
Arrivé à terme d'une tournée fracassante pour la sortie de son troisième album Deeper enregistré dans une ville fantôme et quasiment seul comme à son habitude, Luis Vasquez de The Soft Moon était, après son passage à la Maroquinerie en juin dernier, de nouveau à Paris tant le public d'ici adhère à son groove maladif. Par un temps très agréable sur la terrasse du Bar à Bulles de la Machine du Moulin Rouge, Luis Vasquez nous confie qu’il se sent un peu rincé par cette tournée, dont c’est aujourd’hui le dernier jour. Avant d’entamer ses balances pour le concert du soir, un large sourire se dessine sur son visage empreint de douceur. Il semble à l’aise et disposé à dévoiler quelques confidences, ouvrant son cœur tendre et obscur.
The Soft Moon… À quoi se rattache ce nom puisque la douceur n'est pas vraiment l'apanage de tes morceaux ?
Luis Vasquez – Je pense que l’idée de douceur traduit ma vulnérabilité. J’ai trouvé ce nom assez tôt dans le processus, à une époque à laquelle je n’imaginais pas l’ampleur que prendrait ce projet pour moi. Avec le recul, je me dis aujourd’hui que mon subconscient a pris la décision d’apposer une couche de douceur là-dessus… Maintenant cela fait sens pour moi. Quant à la lune… J’y ai pensé figure-toi. La lune m’a comme qui dirait frappé l’esprit. En fait cela vient probablement de mon enfance. A l’origine, le concept de The Soft Moon était de creuser cette source qu’est mon enfance. Je me revois, enfant, debout dans le désert, tout ce que je voyais c’étaient les étoiles briller si vivement, et je fixais cette lune… C’est probablement comme ça que tout a commencé.
C’est marrant que tu évoques cette paix, car voir un concert de The Soft Moon, c’est plutôt sportif du côté du public !
Oui il en ressort une certaine agressivité, et c’est un contraste, un équilibre qui fonctionne bien en moi.
Procèdes-tu toujours de la même façon pour composer : exclusivement dans des moments de solitude ?
En effet j’ai besoin de solitude car la musique pour moi est un voyage personnel. Afin d’explorer ou d’apprendre à propos de moi-même, il est nécessaire que je sois seul. Tu vois, parfois je vais loin : je me retrouve à pleurer, ou à avoir envie de danser, j’éprouve un vrai besoin de liberté afin de partir dans des sens qui me parlent.
Malgré cela tu as enregistré Deeper avec l'ingénieur du son Maurizio Baggio à Venise ; quel a été son réel apport sur l’album ?
Je vivais seul à Venise, et environ une fois par mois, je montais au studio d’enregistrement à quelques kilomètres au nord, vers les montagnes, avec tout ce que j’avais écrit. A partir de là j’ai pu développer un peu plus les morceaux, et poser des pistes dans un environnement plus professionnel. Je me suis ouvert un petit peu à Maurizio, et il a partagé ses idées avec moi, j’ai senti qu’il comprenait bien ce que je cherchais, le projet de l’album. Alors j’ai saisi cette chance !
Cette chance dont tu parles est-elle une voie ouverte vers l’écriture d’un album avec les idées d’autres membres ?
Je suis définitivement ouvert, oui ! Tout cela n’est que question d’opportunités et de déroulé naturel, cela ne peut pas arriver si on se force. En fait pendant cette tournée, il s’est produit quelques moments magiques lors des balances par exemple, où jouer avec Luigi (Pianezzola, basse et percu) et Matteo (Vallicelli, batterie) sonnait particulièrement bien, nous procurait beaucoup de bien. Il y a donc possibilité qu’à l’avenir je collabore plus en amont dans l’écriture avec eux.
Quel a été le déclic entre la colère intérieure de Zeros (2012) et l'introspection de Deeper (2015) ?
Clairement c’est une évolution. Je me sentais un peu frustré dans ma vie à l’époque de Zeros. Je pense que l’album traduit ce sentiment, je me sentais perdu en quelque sorte. Et puis il y avait cette pression : la façon dont fonctionne un deuxième album constitue un peu ce qui conditionne la pérennité d’un groupe. J’avais tout ça en tête, c’était une période de ma vie que j’effacerais volontiers, mais en même temps c’est un passage intéressant. Ensuite avec Deeper comme son nom l’indique bien d’ailleurs, j’ai pu aller au-delà, j’ai ressenti plus de confiance. Je me comprenais mieux aussi, c’est tout ce pan d’évolution positive qui a construit l’album.
Sur le même thème tu as sorti un clip assez glauque pour le titre Far, qui, à une lettre près évoque l’idée de « Fear » (peur) où te poignardes… Es-tu anxieux, angoissé de nature ?
[Il reprend les paroles du morceau] « It kills my mind, It kills me inside », oui…
Tu as peur de ce qui est en toi ? S'échapper de soi-même est un besoin ?
C’est exactement ça. Je suis en perpétuel combat contre cette partie sombre de moi-même. Comme une mauvaise personne de laquelle j’essaie de m’éloigner car elle génère chaos et tourment, c’est épuisant...
Comme une nausée, une maladie que tu combattrais ?
Waouh, une maladie : oui voilà, ça sonne cool ! Et c’est ironique mais j’aime aussi ce chaos car il me permet d’avancer et d’écrire, c’est assez confortable d’une certaine manière. Si les choses sont trop simples et n’amènent aucune agitation, aucun combat, je ne me sens pas en vie.
Berlin où tu habites actuellement est-elle une ville inspiratrice ? Tu es loin de San Francisco…
Je suis né à Los Angeles, mais j’ai commencé le projet à Oakland en effet. Ce que j’aime profondément avec Berlin, c’est son énergie inépuisable. Je m’y sens particulièrement créatif, et ce en permanence, ce qui est un bon point pour ma carrière ! J’ai beau avoir gardé des liens avec les États-Unis, je m’éclate plus en Europe. A vrai dire lorsque je vivais là-bas, je trouvais toujours un moyen de m’échapper, dans une autre ville, un pays différent… Je vais rester en Europe un petit moment.
En quoi ton groupe pourrait devenir un mouvement artistique à part entière, outre musical, comme tu l'avais déjà mentionné ? Envisages-tu des collaborations avec d'autres artistes (peintres, écrivains, sculpteurs) ? Un album multimédia peut-être ?
J’aimerais bien me diversifier un peu, c’est vrai. Mais pour le moment il n’y a rien de concret. C’est surtout une question de budget, je m’y mets dès que je peux, pour sûr !
Peux-tu nous parler de ta collaboration avec John Foxx, était-ce compatible avec ton besoin de solitude ?!
Eh oui car ce que j’ai écrit, je l’ai fait seul dans mon coin ! Dennis vit à Londres, et à l’époque je vivais dans mon appart’ en Californie, où j’écrivais mes parties. D’ailleurs, une nouvelle sortie est prévue, fruit de notre collaboration. Je n’ai aucune idée de quand ce sera annoncé, mais en gros il va y avoir une ressortie anniversaire sur laquelle j’ai apporté ma touche…
Assister à un concert de The Soft Moon est vraiment impressionnant. Il se passe quelque chose d’extraordinaire, en tout cas du point de vue de l’audience. C’est une nécessité pour toi de t’exprimer sur scène ?
D’un point de vue personnel oui c’est important pour moi. C’est véritablement un moment privilégié qui me permet d’exprimer ce que je suis au fond. Autrement, ça ne m’arrive pas souvent, dans le cadre de mes diverses relations amicales, etc. Je ne donne pas tout, je me planque un maximum. Or la scène est une vraie opportunité de lâcher prise et j’adore ça ainsi.
Les œuvres graphiques de tes pochettes sont toutes exclusivement composées de rouge, noir et blanc…
Je suppose que je suis un esthète ! J’aime la consistance, la réflexion quant au design. C’est comme créer une formule avec laquelle on devra vivre, qui perdure. Rendre un objet reconnaissable, fabriquer une identité visuelle. Alors voilà, ça restera toujours rouge, noir, et blanc. En revanche je ne sais toujours pas ce que ces couleurs signifient ! Mais un jour j’apprendrai pourquoi ces trois-là particulièrement… J’imagine que le rouge exprime un truc primal, agressif, lourd de sens…
Qu'as-tu découvert dernièrement dans ta curiosité d'écouter toutes les musiques existantes ?
Ah, pas grand-chose en ce moment. Je veux dire, je me mets tout doucement à la musique contemporaine… Mais je fais un break pendant le processus d’écriture, j’aime à préserver cette sorte de pureté, en tout cas autant que possible. Parfois j’écoute de la musique dans un but technique, par curiosité pour la production, pour isoler un ton par exemple, mais c’est tout !
Assistes-tu souvent à des concerts ?
Je suis beaucoup resté solitaire ces six derniers mois… Donc non. En fait le seul souvenir qui me vient là tout de suite, c’est combien j’ai été impressionné lorsque j’ai tourné avec Depeche Mode en 2014. Leur performance est tout juste incroyable étant donné leur âge et leur longévité. J’en ai pleuré à deux ou trois reprises, tellement ça m’a atterré ! Cela étant, je ne vais que rarement en concert par moi-même. C’est un peu la dernière chose qui me passe par la tête lorsque je rentre de tournée.
Où se situe ton public le plus réceptif ? Aux États-Unis ou en Europe ?
En Europe. Je dirais même spécifiquement la France et Paris. Pour une raison qui m’échappe un peu, les Français connectent avec ce que j’exprime. Mais je remarque de plus en plus, en tournant à chaque fois dans de nouvelles villes, que l’audience de The Soft Moon grandit, et c’est génial à observer. C’est comme une victoire écrasante, je n’en saisis pas tous les tenants, mais c’est très gratifiant.
D’autres projets en dehors de The Soft Moon ?
Eh bien puisque tu en parles, je travaille doucement sur l’idée d’un projet seul en scène. Ça devrait prendre forme courant 2016… C’est bien qu’on en parle, ça me mettra un coup de pied au cul lors de la parution de l’interview !
Erisxnyx et Frédéric Lemaître
Deux ans plus tard, en novembre 2017, une nouvelle rencontre a lieu avec Luis dans un petit hôtel près du New Morning, à Paris. Je suis avec Laurence Saquer. Ensemble pour Persona nous avons déjà fait une interview de Tricky et une autre du groupe The Horrors. Luis Vasquez nous accueille avec un sourire si enthousiaste qu'on a du mal à l'associer à sa musique angoissée. Incroyablement, Luis me reconnait, se souvient de l’interview pour Abus Dangereux et me dit combien sa mère était sidérée de cette nouvelle couverture pour un magazine français. A ma connaissance, à part celle d’Obsküre en 2012 il n’y en a pas eu d’autres de lui en France !
Luis arbore également de nouveaux tatouages. Il est fier de son loup sur l’avant-bras, qu’il m’autorise à photographier.
Son nouvel album Criminal sortira en 2018 et c’est tout naturellement qu’il fait son entrée dans Persona pour le futur n°4. Son visage, apparu pour la première fois sur la couverture d’un de ses disques pour le single Feel en 2014, réapparaît sur celle de Criminal, le regard vers le bas, imprimé sur une sorte d’affiche de rue froissée. Concept intéressant et tellement parlant car Luis Vasquez porte alors un regard clairvoyant sur sa névrose. Deeper, son précédent album nous avait amené sur le rivage désolé de la peur, de l'aliénation, voire de la paranoïa. Criminal enfonce le clou avec peut-être plus de froideur et de lucidité. Toujours empreint d'anxiété, ses compositions entraînantes pourraient bien alors nous faire caresser les tendres paysages de l'Enfer.
Comment s'en sortir avec une parole pleine de mensonges dans un corps qui ne nous appartient plus ? C'est ce que nous allons tenter de défricher avec lui. Voici cet entretien.
CRIME D'EXISTENCE
Criminal semble être le frère jumeau de ton précédent disque, Deeper. Avais-tu envie d'approfondir certains questionnements ?
C’est drôle parce que je pensais même à un certain niveau que le nouvel album était une sorte de Deeper volume 2 ! Oui, il y a bien sûr une continuité entre les deux albums, sur la façon notamment avec laquelle j’exprime ce que je ressens et la confiance que je prends à chanter des choses que je ne chantais pas beaucoup auparavant…
As-tu enregistré Criminal à Venise avec Maurizio Baggio comme pour Deeper et comme à ton habitude, seul ?
J’ai d’abord écrit à la maison, à Berlin puis j’ai travaillé avec Maurizio. Globalement, créer cet album m’a pris 8 mois, entrecoupés d’une tournée d’un mois en Asie et d’un autre mois de vacances durant lequel j’ai rendu visite à ma famille, donc en gros, cela m’a pris 6 mois, avec de nombreux allers et retours à Berlin. Je rentrais toujours à la maison, dans un processus d’itération permanent.
La jeunesse dont parle Young semble essentielle. L'enfance, ton enfance est-elle fondatrice de ce que tu es aujourd'hui ?
Vous êtes les premiers à me parler de cette chanson, c’est cool ! Mais du coup, je ne sais pas quoi vous répondre ! (Rires) Cette chanson parle de moi et d’un moment de ma vie durant lequel j’ai arrêté de prendre de mauvaises décisions : j’ai eu un mode de vie plus sain, j’ai commencé à faire du sport, je voulais me sentir mieux et m’aimer davantage. Cette chanson parle de moi en train de me regarder dans le rétro, du fait que je ne prenais pas vraiment soin de moi lorsque j’étais plus jeune... c’est un regard positif sur ma vie car j’accepte maintenant qui je suis.
Il y a un grand paradoxe en toi, tu réalises une œuvre sombre, très angoissée et qui exprime ton mal-être et en même temps elle te permet de voyager, de jouer partout et même de faire danser les gens.
C’est intéressant ! Bien sûr, j’ai beaucoup de chance de faire ce métier. De faire de la musique est un rêve depuis que je suis enfant, donc oui, j’ai la vie que j’ai toujours rêvée d’avoir. Mais en même temps, c’est une vie compliquée car elle n’est pas structurée… Le seul moment où les choses sont organisées et cadrées, c’est lorsqu’on est en tournée : tu sais à quelle heure tu dois faire ton soundcheck, tu sais à quelle heure tu joues, tu sais à quelle heure tu dois te lever le lendemain matin… mais sinon, au milieu de tout cela, c’est tout le temps le chaos ! Et quand je rentre chez moi, tout s’arrête, je tourne en rond, j‘essaie d’organiser un peu ma vie mais je n’y arrive pas… « Que puis-je faire aujourd’hui ? Je peux aller boire un verre dans un bar ». C’est assez difficile, surtout pour quelqu’un comme moi qui n’arrive pas toujours à prendre les bonnes décisions. Et puis, je peux dire oui à tout. Par exemple, si un ami me dit « Viens boire un coup » alors que j’avais prévu d’aller faire du sport, eh bien je me retrouve… au bar. C’est ce qui me rend la vie difficile.
Dans le morceau Burn qui ouvre l'album on entend "I'm the stanger living in my skin ". Tu parles de toi comme d'un corps étranger, un alien…
Comme je n’arrive pas à me contrôler moi-même, j’ai parfois l’impression que c’est quelqu’un d’autre, à l’intérieur de moi, qui prend les décisions à ma place. J’en parle dans Burn, mais on peut aussi voir cela dans la vidéo du single Far (ndlr : cette chanson est présente sur l’album Deeper). On m’y voit avec un visage déformé, effrayant, ce visage qui représente une partie de moi-même… Je vis depuis toujours avec cela, cette dualité…
Burn traite aussi du fond de ma pensée, la plus profonde, celle contre laquelle je lutte. Mais quand je lutte, je finis toujours par l’emporter grâce à l’autre partie de moi-même. Cette lutte est « brûlante » dans le sens où cette lutte me fait violence, pour rechercher un état dans lequel je me sentirai mieux, en meilleure forme… ça peut être dur.
C'est la première fois aussi qu'on voit ton visage sur un album. Est-ce vraiment toi ? (Rires)
Il y a beaucoup de nouvelles choses sur ce disque, notamment la structure des chansons sur laquelle j’ai particulièrement travaillée. C’est nouveau car depuis le début, je m’attache à faire des expérimentations sans penser à donner une vraie structure à mes chansons. J’ai porté aussi beaucoup d’attention aux paroles : je suis maintenant capable de mettre des mots sur mes sentiments et j’en suis particulièrement fier. C’est pour cela que je me suis sentie à l’aise avec l’idée de mettre mon visage sur la pochette de l’album et en faire un « vrai album honnête ».
Quels rapports fais-tu entre Side A / Side B ?
Pour la plupart des groupes ou des artistes, la face A correspond à ce qui est acceptable, « entendable » et la face B à un côté plus obscur, plus mystérieux. On parle souvent de B-sides pour parler de chansons un peu perdues… Cette approche n’est pas tout à fait la mienne. Quand je réfléchis en termes de face A / face B, je me demande surtout quelle sera la dernière chanson de la face A et quelle sera la première de la face B, comment cela va finir et comment cela va se terminer.
Tu parles également du mensonge en tant que langage et que tu ne peux même plus croire en toi. Peux-tu nous dire jusqu'à quel niveau ce mensonge se propage ?
Ma mère faisait souvent de petits mensonges non pas pour être méchante mais c’était un réflexe… Elle mentait sur des petites choses pour lesquelles elle n’avait pas besoin de le faire : « Maman, tu vas où ? Tu rentres quand ? ». Elle ne disait jamais vraiment la vérité et mentait sur des petits trucs super basiques, comme si cela était un tic de langage. J’ai un peu hérité de ça, de cette façon de me cacher. Ne pas dire les choses, ce n’est pas forcément « mentir »…
On imagine bien ta musique sur le dernier Blade Runner, 2049. Je pense notamment à ton instrumental ILL. As-tu vu ce film ? Quel est ton rapport au cinéma futuriste et à sa musique ?
Non, je ne l’ai pas encore vu, j’attends de rentrer à Los Angles et de le voir avec mes amis. Bien sûr, j’ai entendu la musique du film et je l’adore. C’est vraiment intéressant que vous me posiez cette question car j’ai vraiment envie de composer de la musique de ce type de cinéma, la science-fiction. C’est marrant car un de mes amis m’avait envoyé un sms, à l‘époque de Deeper, me disant « Hey, j’ai rencontré le producteur de Blade Runner et je lui ai fait écouter ta musique. Il va le faire écouter au réalisateur et lui proposer que tu fasses la musique du film » Bien sûr, ça ne s’est pas fait ! Mais dans tous les cas, la musique de film est un champ que je souhaite investir dans le futur. Et une fois que Criminal sera bien lancé et la tournée terminée, je me jetterai à l’eau ! Je pense que je ne serai pas mauvais, car ma musique s’accorde bien avec des images de cinéma… Composer des musiques de films sera naturel pour moi.
Dans le dernier titre Criminal tu dis : " it's the way I crossed the line "
Quel est l'acte qui te fait dire que tu es allé trop loin ?
(Rires) Je ne peux pas le dire, non… J’ai fait des trucs qui sont allés un peu loin et je ne m’en rendais pas compte (silence). C’est une question personnelle… mais je n’ai tué personne !
En fait, " it's the way I crossed the line ", c’est une sorte d’expression que j’utilise pour exprimer que j’ai fait quelque chose de mal, sans pour autant avoir quelque chose de précis à dire…
Dans The Pain tu chantes : " How can you love someone like me ? "
A te voir on a du mal à croire que tu es invivable. Ta musique prend-elle trop de place par rapport à un relationnel amoureux ?
Bien sûr, ma carrière impacte beaucoup mes relations amoureuses : je comprends que ce n’est pas facile de sortir avec quelqu’un qui voyage tout le temps, et certaines histoires se sont terminées à cause de cela.
Dans cette chanson, je parle des amours non réciproques, c’est mon problème… Je ne suis même pas sûr d’avoir un jour été amoureux. Ce que je dis, c'est qu’il est impossible de m’aimer, que je ne sais pas même donner d’amour en retour. J’en parle également dans Give Something, où il est aussi question d’amour non réciproque et de l’incapacité à en recevoir. Pourtant, de façon contradictoire, j’ai besoin d’amour pour exister.
Laurence Saquer et Frédéric Lemaître
EXISTER. Ce sera son dernier mot. Ce sera aussi le titre de son cinquième album sorti en 2022 avec une tournée européenne à laquelle Persona n’a pas pu assister, bien malheureusement.
Nos amis d’Obsküre l’ont rencontré pour ce dernier opus et ont publié un bon entretien où Luis revient justement sur le choix de ce titre en français, interview que vous pouvez retrouver avec le lien ci-dessous. Luis était retourné vivre à Los Angeles et à la question sur l’effet obtenu de ce déménagement sa réponse fût glaçante.
A propos de son envie de réaliser des musiques de films, Luis était aussi passé à l’acte en publiant en 2021 sous son nom et non celui de The Soft Moon, A Body Of Errors, un album uniquement instrumental. Le film de sa vie peut-être…
A travers son mal-être, il avait donc foi en sa musique. Il avait même trouvé l’amour semble-t-il, mais tout ça était trop beau pour être viable sur la durée. Le chaos dont il avait tant besoin l’a rappelé à lui, définitivement… et nous perdons un musicien inspiré qui savait nous foutre les jetons, nous faire bouger et prendre plaisir à partager la cruauté de son monde intérieur avec le plus délicieux des sourires. Adios
Frédéric Lemaître
A lire également, la chronique de la rencontre avec Luis sous l'oeil de Laurence Saquer :
Comentarios