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Florent Marchet //Garden Party

Dernière mise à jour : 10 mai 2023


©Charlotte Esquerré


L'envers du décor

par Frédéric Lemaître


Sorti en 2022, Garden Party le dernier album de Florent Marchet nous avait ravi par son retour flamboyant et sa verve acide sur le milieu familial après ses multiples projets littéraires. Sa subtilité dans l'écriture et sa finesse musicale en font un des chanteurs d'ici les plus précieux. De cette Garden Party nous passions de l'ombre à la lumière, mais la fête n'est pas finie pour autant. Commencée il y a un an, sa tournée se prolonge et se terminera en novembre prochain au Trianon à Paris. Nous avons également pu le voir cette année au Printemps de Bourges en compagnie de Sophie Calle pour ses « Histoires vraies ». De quoi brouiller un peu plus les pistes entre fiction et réalité.


Garden Party, le titre de l'album donne le ton du disque, entre faux semblant et retenue. Pourtant intérieurement ça gronde. Est-ce que c'est ce dont on ne parle pas que tu voulais mettre en exergue ici ?

Clairement, oui. La Garden Party, c'est quelque chose d'extrêmement formelle où on montre ce qu'on aimerait projeter et qui n'est pas forcément la réalité. Ces endroits ne sont pas forcément drôles. Cela dit, j'en ai très peu fait, mais puisque mes chansons parlaient de l'envers du décor, il me fallait un titre qui raconte la façade. On me reproche parfois d'aborder des thèmes tristes et sombres alors que je vois beaucoup de lumière dans cet album. Tout dépend de comment on regarde les choses. Souvent, quand quelqu'un vous dit que vous n'avez pas l'air en forme, je crois que la personne parle d'elle-même avant tout. Mes personnages je les aime, je les défends, je leur veux du bien, simplement ils traversent des passes qui ne sont pas forcément évidentes à vivre. Alors, qu'est-ce que c'est être à sa place ? C'est ce que raconte le disque, ça n'est pas une mince affaire, c'est même l'affaire d'une vie.


Depuis Bambi Galaxy qui date de 2014, tu n'avais pas sorti d'album à l'écriture aussi intime. A quel moment l'histoire de Garden Party a-t-elle commencé ?

Je le précise, parce que j'y mets la même énergie, mais pour moi le projet Frère Animal était très personnel aussi, même si c'était une co-écriture. Il y a aussi eu cette phase où je n'avais plus envie de chanter. J'ai également fait de la réalisation pour d'autres artistes et écrit un roman, donc tout ça prend beaucoup de temps ainsi que de se questionner sur ses envies, ses désirs, ses besoins. J'ai cette chance incroyable de pouvoir vivre une passion et je n'ai pas envie d'abîmer ça, pour moi c'est précieux. Je n'ai pas envie de faire un album parce qu'il faut en faire un ou parce qu'un tourneur me propose de rebondir, je suis incapable de ça. A chaque fois j'ai envie que mes chansons soient l'expression de ce que je traverse. Il n'y a donc pas eu d'album depuis et ça ne m'a pas manqué. Je suis revenu à la chanson par le chant en abordant de nouveau la voix avec une chanteuse lyrique qui m'a fait travailler comme on le ferait autour d'un travail de méditation. J'ai redécouvert ainsi le plaisir de chanter les textes. Ce n'est pas non plus flagrant, mais je pense que je chante différemment. J'ai donc renoué avec la chanson et cette façon de m'exprimer, mais je prends autant de plaisir à écrire un roman ou faire une musique de film, ça reste moi. Puis il y a eu une première chanson, De Justesse, à un moment où je ne m'y attendais pas et où je ne me suis pas dit que j'allais faire un album, mais j'ai eu l'impression de rentrer dans une phase où j'avais envie de raconter des histoires intimistes qui se passaient dans mon quartier, que ça n'était pas le décor d'un roman, mais bel et bien celui d'un album finalement. Ça s'est donc fait tout naturellement.


Était-ce donc un disque destiné à devenir la voix des autres ?

Oui, tout ce que je raconte je l'ai vécu ou entendu sous forme de confessions. Je suis incapable de travailler avec un matériau qui ne soit pas réel, je n'ai pas beaucoup d'imagination, je capte des choses que j'entends. Je suis un très bon client pour qu'on puisse me raconter sa vie, j'adore ça. Après évidemment on utilise des miroirs déformants, on change les situations, les lieux ou les villes quand ça devient trop défini. Je suis convaincu qu'on dit parfois des choses plus intimes dans une fiction que dans une auto-fiction, le débat est sans fin, mais il y a quelque chose de cet ordre-là. C'est donc sans doute donner la voix aux autres, oui. De mon côté, ce que j'attends des romans, des films, des chansons et de la culture en général ou même d'un ouvrage sociologique, c'est qu'avant tout ça me tienne chaud car ça va m'éclairer sur ma propre vie, sur mes questionnements ou des zones d'ombres. J'ai besoin de raconter des histoires de manières posées, précises et d'y revenir sans cesse pour que ça soit proche de la réalité ou de ce que j'ai ressenti d'une atmosphère que j'ai pu constater. J'ai besoin de faire ressentir les couleurs, les parfums, les odeurs, mais ça n'est pas une mince affaire, je suis très laborieux dans l'écriture. Il faut que ce soit simple aussi et la simplicité c'est ce qui est le plus difficile.


En parlant de simplicité, l'album donne justement l'impression d'avoir été créé en piano-voix tant son minimalisme instrumental semble avoir gardé sa structure. Était-il voulu ainsi dès le départ ?

A la base oui, je voulais faire un album piano-voix. J'ai enregistré en quatre, cinq jours comme je le faisais chez moi dans le salon. Ensuite j'ai beaucoup travaillé pendant des mois sur les arrangements, sur les matières sonores. Ça voulait dire aussi faire parfois disparaître le piano qui était la colonne vertébrale de l'enregistrement, pour mettre d'autres instruments. J'avais également besoin de moments un peu épiques, d'où les cuivres ou les basses profondes et sourdes, car ce sont aussi les non-dits, ces choses souterraines que je voulais exprimer. Je crois que j'ai eu une approche assez cinématographique sur ce disque, à la fois naturaliste, mais avec des choses extraordinaires dans les sons.


Et ce piano droit customisé avec clous et Patafix, présent sur tous les titres, d'où vient-il ?

J'en ai plusieurs comme ça, achetés sur Le Bon Coin ou de pianos pourris que les gens voulaient jeter. Quand ils sont bien rincés je les martyrise pour en faire un instrument à part entière. J'ai confectionné des bandelettes de cuir, de calque, il y avait de la feutrine de plus ou moins grande importance que je venais clipser devant les marteaux. En fonction de la hauteur j'avais des sons différents, je me suis donc beaucoup amusé avec ça. Évidemment tout ça prend du temps, c'est pourquoi j'en prends beaucoup en studio car je tente des choses qui parfois ne fonctionnent pas, et d'ailleurs on a gardé peu de choses de ces expériences. Parfois je passe une journée entière sur un son de piano et à la fin je n'ai rien. J'ai toujours besoin de chercher, comme en écriture. En tout cas j'ai eu besoin de ce terrain d'expérimentation.


Freddie Mercury est un morceau en voix parlée où tu racontes l'histoire d'une rencontre. On sent là, l'empreinte de la littérature, du récit qui témoigne de l'intérieur. Avais-tu besoin de sortir du texte court, du format chanson ?

A ce moment-là, je sortais de l'écriture d'un roman et j'avais commencé l'écriture du deuxième. Je voulais donc vraiment écrire des chansons dans le format dit "classique ", simples et immédiates. Lorsque j'ai fini d'écrire sept, huit chansons, j'ai eu besoin de prendre l'air. (J'ai besoin de diversifier mes activités sinon je perds le désir). J'avais aussi la nécessité de rester dans cette dynamique de création et malgré moi, j'ai commencé à écrire ce souvenir en me disant que je le réservais pour un début de nouvelle. Je ne me suis pas dit tout de suite que c'était une chanson pour l'album. Je suis allé jusqu'au bout, comme une petite parenthèse de création et à la fin j'ai fini par comprendre qu'elle avait complètement sa place sur le disque et ça n'était évidemment pas un hasard. Depuis, j'ai eu des retours qui m'ont fait chaud au coeur. En fait, ils sont rares ces morceaux où on se dit : "Si les gens n'aiment pas ou n'adhère pas, je n'en ai rien à faire ". J'ai beaucoup travaillé cette chanson, comme pour mon prochain roman, en disant tout à haute voix pour entendre comment ça passe. C'est un texte que j'ai écrit assez rapidement et que j'ai retravaillé en enlevant des parties afin que ce soit le plus fluide possible, et là pour le coup, c'est ce qui différencie l'écriture pour soi de l'écriture qu'on partage.


Le monde du vivant, ton roman publié en 2020 était déjà une histoire de famille. En te mettant dans la peau d'une jeune fille que cherchais-tu à creuser de ton propre parcours ?

Il y a un peu de moi dans Solène, c'est évident. C'est le cas de beaucoup de gens, mais quand j'écris je deviens le personnage, je pense comme le personnage. Quand j'entends les acteurs qui disent qu'ils ont plein de vies, c'est ça, ça peut même être déstabilisant. Dans mon nouveau roman il y a une femme de quarante ans et je deviens cette femme en ce moment. C'est même assez fou car du coup j'ai l'impression d'avoir son corps, tel que je me l'imagine. Je le vis pleinement. Pour moi dans l'écriture il y a toujours une dimension qui est physique. J'écris donc ce que cette femme ressent car je m'identifie à elle. En fait, je crois que je n'arrive pas à écrire de manière détachée.


La Pochette, faussement joyeuse, montre une famille, ta famille, où tout semble bien rangé. Là aussi souhaitais-tu être sarcastique envers ce qui est montré en public et de ce qui est occulté ?

Je suis frappé à quel point sur les réseaux sociaux on met une façade très reluisante de nous-mêmes, alors que ça n'est pas forcément la réalité. Alors évidemment, on ne va pas se présenter aux gens en disant que ça va mal, mais il y a quand même une limite. Quand je vois ce qui est publié, on a l'impression que tout le monde a une vie merveilleuse et que tout va bien. Il y avait donc cet envers du décor qui m'intéressait et de jouer à recréer un décor de Playmobil comme lorsque j'étais môme. Dans ces jeux parfois on s'ennuie et alors on fait dérailler le truc, juste pour voir comment ça va faire. Je crois que je fais un peu pareil avec mes histoires.



Garden Party (Labréa / Wagram) 2022



Merci à Sorya Lum et Cecile Legros

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