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Fabien Martin // Je ne fais que marcher dans la montagne


© Mike Ibrahim

Fabien Martin, c'est une voix qui caresse, ce sont des touches de piano bicolores raisonnantes dans ce monde enfermé, c'est un questionnement qui perdure comme un écho couvrant des grands espaces puis déambulant dans les couloirs exigus d'un esprit aventureux où à la fin du chemin l'on comprend ce qui compte vraiment et ce qui peut être oublié. Comprendre n'est pas abandonner, mais plutôt emboutir les interrogations, adoucir les doutes pour mieux réussir à embellir une vie. Je ne fais que marcher dans la montagne, le quatrième album de Fabien Martin, est en quelque sorte l'incarnation de ce territoire voyageur, doux et majestueux. Face à lui-même ou en duo avec Jil Caplan, Fabien Martin nous offre un album habillé de lin blanc, arraché aux pensées sombres, pansements roses collés sur un journal intime qui évoque tour à tour les fantômes de Jean-Louis Murat pour la saveur de ses mots perçants et Herman Düne pour la passion qui règne dans ses compositions. En français, dans le texte, il invite tout autant à l'écoute introspective qu'à un solennel chant partagé autour d'un feu revigorant. Avec ce disque, c'est la mélodie précise qui nous habite, le verbe régulièrement délicat et le lien qui finit par se nouer autour de notre cou.


Où situes-tu le fil conducteur qui a guidé l'écriture de ton dernier album Je ne fais que marcher dans la montagne ?

Sur une crête justement. Une crête personnelle entre le rêve et la lucidité. Le fantasme et la réalité. Ce qu’on a entre les mains, et comment on se dépatouille avec tout ça. Avant de faire cet album je me suis projeté mentalement et physiquement dans ce que j’avais envie de donner, de transmettre : Quelle part d’enfance ? Quelle part de modernité sonore ? Quelle part laisser à l’amour, à la mort, au Sacré, au Profane, à l’amitié, à l’ombre, à la lumière, que sais-je encore… J’ai mis tout ça dans un shaker, j’ai mélangé, j’ai bu, et ensuite plus question de réfléchir, il faut faire.

Avec qui as-tu travaillé pour élaborer ce nouvel album ? Bien entouré et seul à la fois. J’avais tellement tout en tête et de manière si précise que je ne pouvais confier les clés à un autre que moi-même. Le gars serait devenu fou devant la somme de travail et de détails à travailler. Et en même temps il fallait laisser une part d’accidents par-ci par-là. Mais avec la maîtrise de l’accident.

Après j’ai fait écouter à des personnes de confiance tout le long du processus de réalisation. Mike Ibrahim par exemple, avec qui je partage mon studio. Une sorte de sparring-partner. Il travaille aussi bien sur l’écriture, le son, l’image. Quand je n’entendais plus, ses oreilles prenaient le relais. Et puis j’ai fait appel à Jeff Hallam (bassiste pour Dominique A entre autres), un musicien originaire de l’Oregon et qui s’est installé à Belleville. Il a fait les basses et quelques chœurs.

Franck Amand a fait les batteries et quelques programmations de boîtes à rythme. Il a bossé en tournée avec Catherine Ringer, Clara Luciani. On avait bossé ensemble sur plusieurs autres projets que j’avais réalisé pour d’autres. Comme avec Jeff d’ailleurs. On se connait bien. Et j’avais besoin de saxophones, toute une palette. Tenor, alto, soprano. C’est Raphaël Dumont, plutôt orienté jazz, qui s’en est chargé.


On rapproche tes chansons d'une mélancolie de l'ordinaire, intime et romantique. Quand tu les écris, est-ce que tu essaies de les ancrer à ta propre temporalité sentimentale ? Quand j’écris une chanson je n’essaie rien du tout. J’essaie surtout de me laisser aller et accueillir ce qui se présente à moi. Quitte à comprendre ensuite. Oui je suis d’accord pour la mélancolie de l’ordinaire, c’est pas mal comme terme. Et c’est pourquoi j’essaie de sublimer le quotidien, la banalité. C’est le second acte. Je ne vais quand même pas me contenter de m’enrouler dans ma propre mélancolie. Le monde extérieur nous invite tellement à rentrer notre sensibilité, nos émotions, qu’il faut bien que ça ressorte quelque part. Ça peut être le sport, les anxiolytiques, la bouffe… ou la musique. Moi, c’est la musique.


Quand as-tu découvert ce rapport entre l’écriture et la musique, simple et directe que tu développes dans tes chansons ? Tôt, à l’adolescence, j’aimais Rimbaud et Stevie Wonder, Chopin, Edouard Baer, Miles Davis, Les Nuls, Apollinaire, Véronique Sanson… Tant de choses me parlaient. Mais je sais que j’ai mis du temps à trouver cette identité propre, cette confiance qui permet de se dire qu’il n’y a pas d’autres possibilités que de faire que ce qui nous ressemble. Tous les autres sont déjà pris, comme on dit. En tout cas aujourd’hui je ne cherche pas à être original coute que coute, je ne cherche pas à faire le malin, à agiter un drapeau pour dire « eh regardez, c’est moi ! Je fais vraiment un truc de dingue, venez ! ». Non, simple, personnel. Singulier oui. Original peu importe, ce n’est pas à nous de le décréter.


A mi-chemin entre Jean-Louis Murat et Daniel Darc tu chantes aussi bien le sombre que le lumineux. Es-tu quelqu'un qui cultive cette ambivalence ? Autant j’ai adoré Murat, autant je ne me suis pas senti de correspondance avec Daniel Darc. Il y a des talents auxquels on est moins sensible. Je sais pertinemment pourquoi, mais ce serait trop long de l’expliquer ici. Il y a chez moi cet attrait indéfectible pour la musique Américaine, ça a commencé avec Miles Davis quand j’avais 13 ans, et ça continue aujourd’hui avec Bon Iver ou Sufjan Stevens - j’aime James Blake aussi mais c’est un Anglais, lui. Et puis cet amour de la langue française dans ce qu’elle peut avoir de noir ou de faussement naïf – Prévert par exemple. Tout ça pour dire que Murat avait cette ambivalence là-aussi. Je ne sais pas si ça se cultive, parce que je suis comme ça dans la vie. Je vois bien ce qui se passe autour de moi, le monde qui se délite en permanence, mais ça ne m’empêche pas de donner de l’allant à ma musique et de raconter des conneries à mes amis pour les faire marrer. D’ailleurs, vous savez de quelle couleur est la voiture de John Travolta ? Grise.

J’ai beaucoup travaillé sur la distorsion sur ce disque, il y en a un partout, sur les voix, les batteries, les pianos, et en même temps (comme dirait Macron) j’avais ce besoin d’apporter de la douceur, un cocon dans lequel les auditeurs pourraient se sentir bien. D’où un énorme travail sur le son pour arriver à mélanger ces deux aspects-là dont je suis fait : le brut et le doux.


© Mike Ibrahim

Qui sont les artistes qui t'influencent le plus ? Je ne vais pas remonter trente ans en arrière, mais je dirais ceux qui ne cherchent pas à être autre chose que ce qu’ils sont et qui à la fois se mettent en danger. Je les vois venir à 100 mètres ceux ou celles qui fabriquent, qui posent. Dernièrement j’ai écouté beaucoup de musique autour de la répétition, de la boucle, du décalage. Philip Glass par exemple. J’étais passé à côté de This is The Kit que j’ai découvert il y a deux ou trois ans. C’est splendide.

En France un type comme JP Nataf reste une référence. Cette année les albums de filles sont ceux qui m’ont le plus troublé : Lana Del Rey, Rozi Plain, Feist, Cat Power. Mais je peux être influencé par des peintres, des cuisiniers aussi !


Il y a une sorte de mythe poétique autour de la scène musicale française. Actuellement il y a un renouveau majeur. Quel est ton regard sur cette grande et belle famille musicale ? J’ai adoré l’album et le concert de Jeanne Added. J’ai découvert Cabane il y a quelques mois, ça n’a rien à voir, mais c’est de toute beauté. J’écoute toujours avec beaucoup d’intérêts et d’admiration les morceaux de Arman Mélies. C’est entier, aventureux, sans recherche de séduction particulière, et ça reste très accessible.

Ce qui est sûr c’est que quand j’écoute un morceau, j’ai besoin que la musique ait une puissance, une force, une évidence, je ne peux pas me contenter d’un texte joliment troussé. Lomepal est balèze pour faire ça par exemple. Son album c’est du haut vol.


Et avec qui aimerais-tu collaborer dans l'avenir ? J’ai l’habitude de travailler avec beaucoup d’artistes, puisque je réalise, enregistre et mixe régulièrement des disques dans mon studio. J’adorerais faire un truc avec Feist par exemple c’est sûr. Ou Mickael Kiwanuka, soyons fou.


Maintenant que ton album est disponible, quels sont tes projets pour la suite ?

Faire un beau concert au Café de la Danse en janvier. Jouer ailleurs en 2024, et ne pas attendre 4 ans avant de sortir un nouvel album.

Et puis je développe mon label Littoral Records, avec d’autres artistes. J’ai du boulot quoi !


Stéphane Perraux


Fabien Martin // Je ne fais que marcher dans la montagne (Littoral Records) 2023




Fabien Martin sera en concert au Café de la Danse, à Paris, le 9 janvier 2024

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