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Don & Françoiz //Covers Songs In Inferno

Dernière mise à jour : 10 mai 2023


(Dessin de couverture par Françoiz Breut)

Ce que l’on reçoit d’abord comme un projet récréatif, que l’on imagine être une parenthèse légère pour deux artistes français à l’influence aussi diffuse que profonde, s’avère vite une affaire sérieuse. Qu’est-ce qui fait que Covers Songs In Inferno se retrouve inéluctablement sur la platine ? Qu’y a-t-il dans ce disque pour qu’on y revienne ainsi, indéfectiblement ? D’où vient que le mystère de ce disque s’épaissit au fil des écoutes, que sa brume, plutôt que de se dissiper, se pose durablement et teinte le cours des jours ? Tout s’attache aux deux prénoms qui signent l’oeuvre, Don et Françoiz – la musique et le chant.

Don, c’est Don Nino, le nom sous lequel officie depuis une vingtaine d’année Nicolas Laureau, quand il s’exprime dans le format de chansons. L’homme avait conduit dans les années 90 le vaisseau noise Prohibition, l’un des plus beaux fleurons du post rock d’ici, faisant évoluer ses guitares abrasives ou tortueuses en terrains minés de rythmes chausse-trapes. Avec le changement de siècle naquit NLF3, autre embarcation aux climats plus contrastés, à la coque trouée de lumière. Ici, c’est Don Nino qui joue de tous les instruments et l’on retrouve son attachement de toujours aux rythmes et aux textures sonores, qui ouvrent grand les horizons – mouvants – de l’album. La métronomie habitée et les claviers acides de Can, qui l’inspirent et qu’il sait emmener ailleurs, offrent à l’album son terreau. Les trouvailles sonores, qui constellent le ciel des chansons et offrent leur lot de surprises, font le reste.


Photomaton à Bruxelles


Françoiz, c’est Françoiz Breut, dont le premier album a paru en 1997 et qui n’a cessé, depuis, de se renouveler dans sa quête têtue et nourrie de mille rencontres, de façonner un rock en français. Ici, c’est en anglais et en empruntant les mots des autres qu’elle s’exprime et cette voix, que l’on croyait tant connaître tant on l’a aimée, vient nous cueillir à nouveau. Son voile, son vibrato, son alacrité un peu lasse, ses envolées incertaines bouleversent absolument. Dans l’exercice de la reprise, et de la déclaration de tendresse à des chansons qui ont beaucoup compté pour elle, Françoiz Breut se concentre sur l’interprétation. Le plaisir de chanter – elle n’a composé aucune mélodie, écrit aucun texte et elle ne joue d’aucun instrument – semble être le seul qui l’anime tout au long des dix titres qui constituent Covers Songs In Inferno. Parvenir à retrouver l’émotion première, le charme immédiat des chansons recueillies ici, pourtant pour la plupart déjà souvent reprises : tel est le miracle accompli par Françoiz et Don.

C’est lors du confinement au printemps 2020 que l’esprit du disque est proposé par Don à Françoiz – la pandémie et l’enfermement seraient alors l’enfer d’où s’échappent, bulles d’air libre, capsules de résistance créative, ambassadrices d’une joie possible, le bouquet de chansons choisies par Françoiz. La plupart s’ancrent dans les années soixante, puisant dans un répertoire oscillant entre rock et folk psychédéliques, du Morning Dew de Bonnie Dobson (1962) à Daemon Lover des Shocking Blue (1970, arrangé de manière renversante par Don), en passant par le Jefferson Airplane, Donovan, les Kinks ou encore le planant Planet Caravan de Black Sabbath (1970), un des sommets du disque. Deux incursions dans les eighties (une chanson des Cramps et l’extraordinaire reprise de My Face Is On Fire de Felt) et une autre dans les nineties (une rareté de Bonnie Prince Billy, Southside of the world, autre altitude) viennent compléter ce recueil de chansons puisées dans le 20e siècle. Oh My Son , piochée par Françoiz dans le répertoire même de Don Nino, tire un trait jusqu’aujourd’hui.

De chacun des titres qu’ils revisitent, Don Nino et Françoiz Breut, plutôt qu’en écrire la lettre, en croquent l’esprit : un signe distinctif, un trait de génie, un éclair, l’intensité du souffle qui les a portés jusqu’à nous. Ainsi, de « Planet Caravan », on suivra la dérive stellaire ; de White Rabbit on ressentira l’inquiétante étrangeté ; de My face is on fire on emboîtera la course essoufflée de travelling ; de Southside of the world on chantera, sourire en coin, le dégoût ; de Daemon Lover on épousera le riff élastique et l’irrésistible envolée. Don et Françoiz font confiance aux chansons : elles seules savent le chemin le plus direct jusqu’au cœur. Leur complicité (une tournée les réunit en 2002, il réalisa l’album de Françoiz La Chirurgie des Sentiments dix ans plus tard), qui leur permet de suivre ce chemin les yeux fermés, éclate tout au long de ce disque qui se déroule comme une évidence.


Pierre Lemarchand



© Norma Prendergast


Covers Songs In Inferno (Prohibited records) mai 2023



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