Tricky a collaboré avec Massive Attack sur leurs deux premiers albums, Blue lines et Protection. Ce sont aussi leurs deux meilleurs. Après, Massive Attack a commis de magnifiques chansons, comme Angel sur Mezzanine, mais n’a plus refait d’album réellement homogène, construit, avec un début, un enchainement de titres qui se répondent les uns aux autres, une fin. Je me souviens du choc produit par l’écoute de Blue Lines, la première fois que je l’ai entendu passer au Comptoir des Halles par un certain Patrick Vidal au début des années 90. Et puis de la voix de Tricky sur les morceaux de Protection, ce phrasé parlé si caractéristique, à la fois intime, écorché et puissant. Ces deux albums s’écoutaient jusqu’au bout. Je me souviens aussi de la légende qui racontait les prises de tête en studio des membres de Massive attack entre eux et avec Tricky. Ça ne pouvait plus durer. Tricky a ensuite sorti des albums seul, sous son nom, et est resté fidèle à cette ligne de conduite : un disque raconte une histoire et doit être homogène. Il ne s’agit pas de produire un tube et neuf chansons médiocres. Sous cet angle, il a réussi, donnant du très bon avec Maxinquaye, un disque en hommage à sa mère disparue trop tôt. Il y a eu ensuite Nearly God et Pre-millenium Tension, deux albums extraordinaires. Tricky chantait alors sur plusieurs titres et parmi eux, le fabuleux Christiansands. On aurait aimé retrouver cette densité du chant de l’Anglais sur son dernier album. Mais, exceptés quelques chœurs à droite et à gauche, Tricky a choisi de n’intervenir que sur un seul morceau, en plein milieu : Hate this Pain. Il y martèle le refrain (« I hate this fucking pain » / « Je déteste cette putain de douleur »), au point qu’une fois l’album terminé, on le garde en tête. On sait que le musicien a perdu sa fille de vingt-quatre ans l’an passé. Alors on se dit qu’il ne pouvait interpréter que cette chanson-là. Avec cette information, elle prend un sens nouveau. Le titre de l’album aussi, Fall Into Pieces (Tomber en morceaux). Pourtant, il n’est pas sombre. Il y a même davantage de lumière que sur plusieurs de ses productions passées. Après avoir vécu un tel drame, s’il y a encore une lueur, Tricky est allé la chercher. Il n’y a pas d’âpreté ici. La sensation qui reste après l’écoute, c’est une certaine douceur : « Baby girl, she knew me most » / « mon bébé, elle me connaissait le mieux ». Et on voudrait y revenir. Il n’a pas oublié cependant de flirter avec l’expérimental, comme d’habitude : la construction des morceaux, leur brièveté, le minimalisme qui s’en dégage, soulignent le caractère personnel de la musique. Rien d’autre ne ressemble à Tricky.
Matthieu Davette
TRICKY
Fall Into Pieces
(False Idols / Pias) // 2020.
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