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THEODORA // ENTRE OMBRE & LUMIERE

Dernière mise à jour : 26 févr. 2021


© Clément Vayssieres

Ancienne bassiste du groupe Theodore, Paul & Gabriel, Theodora est une autodidacte aussi à l’aise à la basse qu’aux claviers. Elle chante, écrit les paroles, compose et produit sa musique. Après deux EPs Let Me In (2016) et Obsession (2017), ainsi que différentes collaborations musicales en parallèle (Fishbach, Hypnolove, Barbagallo, Ricky Hollywood, Pi Ja Ma…), Theodora prend son envol avec un premier album aux accents mélancoliques et dansants, empruntant aussi bien à la pop, au hip-hop qu’à l’électro. Entre deux résidences musicales, Persona a eu l’occasion de la rencontrer en toute intimité.


D’où vient la genèse de ton premier album : Too Much For One Heart ?

J’ai découvert la production un peu toute seule, en passant des heures entières à chercher des sons et j’ai beaucoup aimé ça. C’est ce qui m’a amenée à ce que je fasse un premier EP en 2016 (Let Me In), puis un second en 2017, intitulé Obsession. J’étais prête à me lancer dans l’aventure d’un premier album seule, à ce moment-là, en ayant toujours comme partenaire en fin de processus, Etienne Caylou, qui est mon mixeur. Ambroise Willaume (SAGE) m’a contactée après avoir découvert mon EP Obsession et il m’a proposé qu’on travaille ensemble. Ca s’est fait de manière très fluide, sur une période assez longue de 2017 à 2019, entre son studio et le mien. J’ai apporté des bribes, des idées, parfois des maquettes assez abouties, mais à chaque fois il a apporté sa patte et on a finalisé ensemble. Ces étapes de travail nous ont accompagnés dans nos vies, lui comme moi, surtout moi. J’ai besoin de ce temps de maturation. J’avais lu que Léonard Cohen mettait des années à écrire ses chansons, ça m’a un peu décomplexée.

Quelles ont été tes influences pour cet album ?

Je me suis mise à écouter beaucoup de musiques électroniques vers 2012, 2013. J’ai vu Blood Orange lors d’un concert au Nouveau Casino en 2011, j’avais adoré son premier album et sa manière de fonctionner. Il a fait cet album tout seul, dans son home studio et le point de départ a été cette obsession pour Blood Orange. Ensuite, je suis partie en tournée avec mon ancien groupe Theodore, Paul et Gabriel. Nous avons beaucoup voyagé et j’écoutais énormément de musiques en tournée, un peu à contre-pied de la musique folk-rock qu’on faisait. Je n’écoutais plus que de la musique électronique et du hip-hop queer : Zebra Katz, Cakes Da Killa… A l’époque, c’était le début de cette ère-là, j’adorais et ça m’a beaucoup inspirée. J’ai aussi découvert et beaucoup écouté Austra. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y avait ces épiphanies de l’âge adulte. Avec SAGE, je me suis mise à mettre les mains dans quelque chose de plus organique, plus artisanal aussi, ça a mélangé mes nouvelles influences à mes anciennes. Mes anciennes, c’est Léonard Cohen, Simon and Garfunkel, Brian Ferry et Roxy Music bien sûr. Dans toutes les décennies, j’y trouve des choses qui m’ont marquée quand j’étais plus jeune, parce que mes parents écoutaient aussi beaucoup de musiques et que très jeune j’écoutais la radio et j’enregistrais sur des cassettes chaque fois que j’avais une chanson que j’aimais. J’ai l’impression que cet album arrive à réunir plusieurs phases de ma vie.

Pour faire le lien avec Get Obsessional qui figure sur ton deuxième EP et sur ton premier album : Too Much For One Heart, quelle est la chose la plus obsessionnelle que tu aies faite dans ta vie, qui est d’ailleurs peut-être la plus inavouable ?

Est-ce qu’il y a une chose en particulier ou bien ne serais-je pas une obsessionnelle compulsive dans tout ce que je fais ? Ca se situe dans une globalité. Mais une obsession permet toujours de se guérir d’une autre. C’est ma devise. (rires)

Tu as un sens de l’image très affirmé. L’aspect visuel de tes clips est très prégnant. On sent des influences cinématographiques. Je pense par exemple au cinéma de Cocteau dans le clip Let Me In chargé de symboles, au giallo (ndlr : genre cinématographique italien, caractérisé par le thriller horrifique et érotique, en vogue des années 60 aux années 80) dans le clip Lien de Sang réalisé par Lola Margrain dont tu as écrit les paroles pour Mila Dietrich. Qu’est-ce qui te plaît dans ce type de cinéma ?

Je suis passionnée de cinéma. Ca raconte des choses qu’on n’a pas forcément connues. Ce qui me fait totalement rêver, c’est de me plonger dans des époques et dans des mouvements. J’adore Cocteau, mais j’adore aussi son mode de vie. C’est une approche globale. J’aime beaucoup le cinéma visuellement frappant. Le giallo est un courant qui se déploie dans pas mal de recoins différents. Pour les paroles de Lien de Sang, je voulais que ça soit visuel. On en a parlé avec Mila justement et on a échangé là-dessus. C’est pour ça que le concept a été repris par Lola Margrain, pour aller dans cette veine, entre violence et sensualité. Je trouve ça très intéressant les passerelles entre musique et image.


Est-ce que le cinéma inspire aussi ta musique ?

Dans le moment où j’écris une chanson où je la compose, je ne sais pas trop si ce sont des images qui me viennent, des couleurs ou des sensations. Je suis tellement influencée par le cinéma que je réfléchis comme ça, mais ce n’est pas une partie très lisible pour moi et c’est vrai qu’en réécoutant je me dis : « j’aimerais qu’il y ait un peu plus de longueur là, j’ai envie qu’on se pose un peu là ». J’ai envie qu’il y ait des sensations qui atteignent un autre sens que l’ouïe.


Il y a un côté très lancinant, répétitif, jusqu’à atteindre une forme d’acmé dans certains de tes morceaux. On part quasi en transe, je pense à Get Obsessional, Wreckin’ my Soul, Maybe There Was a Fire. J’y vois un peu comme un exutoire, pour évacuer une forme de tension intérieure. Peux-tu nous en parler ?

Ca rejoint une ambivalence que j’ai toujours eue, calme et discrète et forcément, il y a un côté exutoire. Tous mes rêves et mes fantasmes vont s’écouler dans la musique et je déteste la demi-mesure. Quand d’un coup il faut y aller, je vais aller au bout. Par exemple, Maybe There Was a Fire, c’est une longue montée vers une instrumentation électro et une forme de libération du désir intérieur, le moteur, la flamme. Des choses que parfois on ne peut pas oser dans la vie.


Ta musique est à la fois sombre et lumineuse. Il y a une dichotomie qu’on retrouve tout le temps, de même que le double qui revient également. Je pense à cette citation de Nietzsche : « Il faut porter encore en soi un chaos, pour pouvoir mettre au monde une étoile dansante » (issue de Ainsi parlait Zarathoustra). C’est un peu ce que je ressens quand j’écoute ta musique. Peux-tu nous dire ce que tu en penses ?

Je pense que le calme plat n’est jamais bon pour la créativité et qu’effectivement il y a une manière de cultiver le chaos, ça veut dire d’être tout simplement très réceptif aux choses, tout en sachant un peu se protéger avec le temps, mais ce n’est pas toujours évident. Selon moi, une chanson naît d’une blessure, d’un manque de quelque chose qui est de l’ordre du chaos. Je trouve ça merveilleux d’arriver à donner de la forme à ce chaos, quelle que soit la forme que ça prend. C’est comme chérir sa blessure intérieure, la transcender. Le chanteur, le poète, le peintre ou même celui qui n’est pas vraiment dans la forme artistique, tous les humains ont besoin d’une transcendance quelle qu’elle soit. Soit on la fait, soit on la reçoit. C’est un passage d’humanité très important. Je pense que ça ne passe pas uniquement par le biais artistique.


Parle-nous un peu de la signification des paroles de tes chansons.

Il y a beaucoup de chansons qui tournent autour de l’amour perdu ou l’amour à venir. Mais c’est difficile de s’adresser à plus d’une personne à la fois, quand on écrit une chanson. En tout cas, moi je ne sais pas le faire, je crois. Et là pour l’album, c’est plusieurs bribes qui viennent de plusieurs phases, plusieurs périodes. Ca donne le titre de l’album : Too Much For One Heart, qui veut dire que le cœur déborde un peu de choses qu’il ne peut plus contenir.


Quel est ton rapport à la mélancolie ?

Pour écouter régulièrement cette émission : Remède à la mélancolie, je trouve que ça soulève de manière intéressante cette question-là. Je crois que ça dépend vraiment de l’état d’esprit dans lequel on est. Il y a des moments où la mélancolie paraît plus douce que l’angoisse et il y a des moments où elle paraît toujours dangereuse. Elle peut aussi sembler plus bénigne par rapport à la dépression. Il y a tellement de degrés que je dirais que la mélancolie c’est quand même un état propice à la création qui s’inscrit dans la vie. Donc j’aime bien la mélancolie.

La première fois que j’ai écouté ta musique, je me suis dit : « Tiens, ça me fait penser à Léna Plátonos ». J’ignorais au départ que tu as des origines grecques. Est-ce que c’est une musicienne qui te parle ? As-tu des figures de femmes artistes qui t’inspirent ?

Léna Plátonos, même si elle est assez mystérieuse car elle a sorti peu de choses, elle est quand même un peu mythique. C’est une vraie pionnière dans les années 80. Y’en a pas beaucoup des femmes comme elle. Je trouve qu’elle est absolument fascinante. Même le visuel de la pochette de son album Gallop est fascinant. Il y a un côté narratif que j’aime beaucoup dans sa musique, c’est comme si elle raconte des petites histoires. Il y a un débit de paroles très fort, avec des instrumentations, une boîte à rythme, toute simple, quelque chose de très lancinant qui effectivement m’a beaucoup inspirée. Parce que j’ai l’impression que même si c’est très répétitif c’est de là que naît le sens en fait, c’est de la répétition des choses. Oui, je pense que c’est une figure qui m’a marquée, tout en restant très obscure pour moi, parce que je connais sa musique mais je ne connais rien d’elle. Contrairement à d’autres figures, typiquement : Patti Smith est une personnalité intéressante, j’ai lu la plupart des livres qu’elle a écrits, des recueils de poèmes. Je l’aime vraiment bien. Et puis d’autres figures, justement Austra, Sylvia Plath, Virginia Woolf, Colette, toutes ces femmes-là, c’est assez varié. J’adore les figures féminines qui ont détonné dans leur époque, dont on se souvient et dont on se souviendra toujours.


J’ai assisté au concert du 09 octobre 2020 au Hasard Ludique dans lequel tu jouais avec Ricky Hollywood et Vincent Mougel. On sentait une vraie osmose entre vous. Vous aviez déjà joué en 2016, mais pas depuis, à ma connaissance. C’était improvisé, teinté de jazz, de pop et d’électro. En plus d’y jouer de la basse, de chanter, tu as lu des extraits littéraires : L’homme dans le labyrinthe de Robert Silverberg et Call Me by Your Name d’André Aciman (ndlr : adapté au cinéma par Luca Guadagnino) et tu as hésité à lire un extrait cru d’un livre de San Antonio. Peux-tu nous parler de toutes ces évocations littéraires ?

C’est Stéphane (Ricky Hollywood) qui avait eu cette idée d’apporter des livres assez variés, de lire des extraits et de rebondir dessus et ils se sont tous les deux dégonflés et moi j’ai décidé de le faire quand même, alors qu’on avait tous apporté quelque chose. L’homme dans le labyrinthe, c’était Ricky qui l’avait apporté. C’est lui qui devait le lire, mais finalement c’est moi qui l’ai lu et je ne connaissais pas, mais j’ai trouvé ça très amusant. Ca fonctionnait bien.

Et ensuite pour Call Me by Your Name, je trouve que le film est meilleur que le livre. C’est avant tout l’ambiance qui me plaît, elle renvoie à plein d’évocations dans mes rêves de toujours. Je voulais lire un extrait qui raconte quelque chose pour moi, mais en même temps le livre n’est pas très bien écrit ou peut-être très mal traduit en français. J’étais intéressée de lire une scène un peu chaude, un peu amoureuse entre les deux personnages principaux. San Antonio, ça aurait été bien de le lire, parce que pour le coup ça marche très bien le côté un peu cru aussi avec un langage bien français, dans son jus des années 70. J’aimais bien jouer là-dessus, sur le langage, qui est un aspect qui m’intéresse et puis je trouvais que ça s’y prêtait pour des improvisations.


Quels sont tes projets à venir ? Tu as des résidences, d’après ce que j’ai cru comprendre.

Tu prépares la scène à venir pour le lancement de l’album ?

Je prépare un live pour l’album. J’ai déjà commencé. Je fais des résidences avec Lucie Antunes aussi. On a prévu une tournée à partir de l’automne. Là, je viens de finir la musique d’un court métrage intitulé Bleu et réalisé par Ornella Pacchioni avec laquelle j’avais déjà collaboré pour son précédent court métrage : Mange tes yeux et je pense que je vais avancer de ce côté-là. C’est intéressant d’explorer cet aspect. Et je continue à faire de la musique. J’ai plusieurs projets, parce que finalement ce temps qu’on a et dont on ne sait presque plus quoi faire, il peut être quand même structuré. J’en profite vraiment de plus en plus pour multiplier les collaborations.

Audrey SCHNELL

THEODORA

Too Much For One Heart

(Theodora Project | Les Editions Chaloupées)

Sortie album le 26 mars 2021. Pochette du disque : ©SuperFeat




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