Sorti en juin dernier, le nouveau 45T de Romain Humeau Tryin'to be a girl extrait de son cinquième album solo Echos, est toujours disponible avec en Face B, l'excellent titre inédit: Film. Revenons avec Romain sur ces morceaux et la suite de son aventure musicale, voire extra-musicale...
Romain, pour Tryin' to be a girl, tu dis que c'est l’histoire d’un jeune mec qui depuis son arrivée sur terre se sait femme avec le corps d’un homme. Qu'est-ce qui t'a inspiré ce thème ?
Ce n'est pas tant la transexualité et l'homosexualité en tant que sujet qui m'intéresse, mais plutôt le fait que ces sujets là dérangent encore à notre époque.
Je trouve ça dingue. Je voulais décrire ce sentiment d'incompréhension de manière simple et dure dans Tryin' to be a girl. J'ai la chance d'avoir des parents qui m'ont éduqués, suivis et me suivent encore, de manière très ouverte et en compréhension/acceptation du monde. Ils évoluent dans le domaine de la musique Baroque, pas mal d'homosexualité dans ce milieu. Alors la première fois que j'ai vu deux hommes se rouler une pelle ça devait être à six ans. Mes parents m'ont expliqué, j'ai compris et c'était réglé à l'instant même, aucune sorte de problème avec ça. Puis, le vécu, l'histoire, les lectures, le ressenti font que pour moi, ça ne fait qu'aller dans le sens de "c'est quoi le problème ?". Le petit mec de la chanson c'est peut-être toi, c'est peut-être moi, c'est dans la nature et la culture humaine depuis la nuit des temps, je pense aux Mémoires d'Hadrien de Marguerite Yourcenar, c'est absolument intégrable dés lors qu'on capte qu'il y a une légère différence entre aimer et procréer quand bien même les deux peuvent être joyeusement liés. "C'est peut être toi, c'est peut-être moi" n'est pas une phrase lâchée comme ça, rien n'est dans le marbre, nous sommes juste les marionnettes du temps, des désirs, des trajets psychiques autant que nos corps et donc nos culs, et tout ceci a beaucoup plus d'importance que la baisse du PIB pour cette année en France, Ah Ah ! Le "Little man" de Tryin' aimerait tant être compris, ne pas subir les poids sociaux, l'ire de la famille, le regard et les désirs de sa copine de circonstance. Il aimerait juste vivre son truc comme il entend. Il finit par se suicider. Note que ça ne se passe pas dans un milieu bourgeois ou corporate. Il n'appartient pas une caste militante. Il vit son truc pour lui. On est loin de la manière dont encore une fois les médias nous le recrache. Rapport à ce sujet comme tant d'autres, je pense qu'ils font énormément de mal. T'as toujours l'impression qu'on te parle d'un club... c'est on ne peut plus irrespectueux, révulsant.
Dans ton album Echos, tu n'oublies pas d'être critique avec les dirigeants : "Où s’enfuient-ils ? Tristes Sires / Il n’y a pas de deal avec les puissants fêlés, Titanics en vogue. Il n’y a pas de deal avec tous médias baisés à la solde des dogues." chantes-tu dans Odyssée. Le texte, dis-tu, est frontal et sans équivoque. Il va falloir s'organiser pour créer et vivre sans passer par leur système, mais le combat est rude. Créer ton propre label a donc participé j'imagine à cette indépendance qui est désormais plus que cruciale, quitte à devenir un vagabond et "Estafiler l'horizon " ?
Ah Ah ! Oui, en quelques sortes! Monter notre label SeedBombs Music, n'était absolument pas prévu. Nous n'avons pas le talent des nanas et des mecs qui travaillaient il y a quinze ans en maison de disque. Il y régnait un climat de confiance, qualité dans le travail, dans les rapports humains, beaucoup moins de cynisme, du respect aussi pour le rôle de chacun, notamment pour les artistes. Je parle par exemple de la boite de disque "Labels" chez laquelle nous étions au début, avec des gens comme Morvan Boury, Alain Artaud, Florence Beauville, Stéphane Espinoza, Emmanuel Plane et tant d'autres... C'était chouette et j'aurai tant aimé que ce moment dure éternellement. Mais une boite de disque tel que c'est conçu, se transformer totalement tous les 4 ans... en personnel et ligne éditoriale. Et de fil en aiguille, sur les vingt ans qui viennent de s'écouler, le streaming ayant totalement baisé le commerce du physique, ces maisons de disques sont devenues des leurres, des coquilles vides. Les Boss sexagénaires savent que c'est fini et font durer artificiellement le truc avant de revendre et partir à la retraite. Le personnel réside en deux trois glands qui tentent de faire rentrer le dernier artiste signé en date sur la playlist "je fais caca" de Deezer. Deezer qui comme Spotify et AppleTunes ne rémunère pas les artistes. Vol à l'étalage à chaque seconde des temporalités Network. Quand on te dit l'inverse, on te ment. Tout se passe en mode « fake ».
Tu files ta chanson à la maison de disque et là, c'est fini pour toi. On est aussi à l'ère ou n'ayant plus le choix que d'être diffusés sur ces plateformes (j'utilise souvent le mot "parqué" et c'est volontaire), il te faut aussi accepter l'opéra-bouffe des artistes dont les maisons de disque achètent les like, les commentaires, les amis : ça peut s'appeler « Fast Likes » par exemple... A propos de réalité parallèles, on est bien ! Je préfère arriver à vendre 4000 à 5000 physiques avec mon propre label plutôt que d'essayer d'être sur un label qui ne sait même plus travailler cela, mais qui se targuera d'avoir investit un gros billet dans un « 4 millions de vues » et 10 000 commentaires... T'imagines ou on en est ? Et il n'y a pas un média qui bronche... pas un artiste non plus. A propos de servitude volontaire... Bref, j'adore la blanquette de veau au pieds de moutons. De toute manière, en ce qui me concerne, je ne vois pas chez qui j'aurai envie d'aller comme je ne sais pas qui voudrait de moi. Les Newcomers ont compris en montant leur propre truc, les artistes connus et plus âgés, fort de leur notoriété décrochent encore quelques grosses timbales chez les majors encore existantes, mais j'ai l'impression qu'ils ne sont pas dupes... C'est con, il y aurait tant à faire. Faire bien, sain, artistique, exigeant, passionnément. J'aimerai beaucoup, mais je ne vois pas ce qui pourrait changer dans le bon sens vu la gabegie actuelle. Hormis quelques rares exceptions (j'aime beaucoup le dernier titre de La Féline...) Il n'y a qu'à écouter la radio pour s'en rendre compte, c'est hallucinant, on se fout réellement de nos gueules.
Note que là, on ne parle encore que du business musique, finalement ce n'est pas très important. Ce qui l'est c'est qu'on a le même trajet obscurantiste sur l'information en général. Mort en marche à tous les étages. Tout quitter ? Le Vagabond de ma petite chanson a compris cela depuis un moment.... Ah Ah !
Le titre Film semble être né précipitamment et rarement un de tes textes a été aussi noir. Tu évoques même le fait qu'il est peut-être temps de songer à mourir. Qu'est-ce qui a provoqué une telle crise d'angoisse ?
Film est né très rapidement et à un moment inattendu. J’avais ce leitmotif « D’être un film dont je connais la fin… Alors qu’attends-je, en vain… etc ». L’idée de sortir Tryin’to be a girl en 45T vinyl était là, nous voulions mettre un inédit en Face B. Je voulais que cet inédit soit « De l’instant ». L’instant était plutôt « Aigle noir-Aigre noir ». Oui, l’idée de la disparition volontaire sans emphase-gravité, comme un phénomène froid et plus ou moins évident est un truc que comme bien d’autres, j’ai utilisé, ressenti parfois (« M’a dit » Oobik).
Cela a déjà été traversé maintes fois par des gens comme Burroughs, Céline, Calaferte, Moreau, Pasolini, etc… Lennon, Bowie, Dylan ou Eminem. On flirte avec l’idée du « Houra, houra ! » au son des crânes qui craquent… d’une fin proche. Alors il y a ce mi-jeu dans Film entre l’archétype de l’ange qui tombe, mais aussi l’intime et momentanée réalité du nihilisme qui prendrait le pouvoir sur moi.
C’est à dire qu’à bien regarder le monde, je ne suis pas le seul à me balancer entre la sympathique autruche et le plus fervent misanthrope. J’ai décidé il y a longtemps de transposer (à peu près) toutes les émotions qui étaient miennes, de la plus fantasmagoricoéroticohomérique à la plus bétonée-grisaille. On est ici dans mon petit rapport au monde pendant deux jours : « pas de solution », ha ha !!!
C’était en Avril 2020 je crois, je ne sais plus… j’ai tant écrit d’autres choses aux antipodes depuis ! Film partait de cette note « Je travaille la terre, la terre ça me travaille, je travaile la terre avant qu’elle ne me travaille ». Je pensais à Pauvre Martin de Brassens mais en écoutant le Televised Mind de Foutains DC !
En relisant le texte, il me semble impérieusement glacial. Ha ha !
Si tu n’as plus de place dans le frigo pour tes brocolis surgelés, tu les mets dans la chanson ! C’est ce que je voulais. J’ai hâte de le jouer sur scène, tout paraîtra si chaud bouillant après lui !
A l'époque de Mousquetaire #2, tu me disais qu'un Mousquetaire B Sides verrait le jour, dont un morceau de 13 minutes avec la voix de Patrick Dewaere. Que sont devenus ces titres inédits ?
Ils sont tout bêtement devenus en partie l'album Echos. Echos n'est que le Mousquetaire B Sides annoncé avec quelques chansons nouvelles. Avec Thomas Cointot, Estelle et Thomas Demaere (SeedBombsMusic), nous avons décidé de ne pas l'appeler Mousquetaire-B Sides car il nous a semblé que l'album était un peu plus qu'un album de B Sides. D'ou cette idée d'album transitoire. A l'heure actuelle je suis sur quasi quatre albums à venir, et c'est ce qui
occupe le plus mon esprit. Très excité ! Malheureusement je n'ai pas eu le temps de m'occuper de l'obtention des droits pour la voix de Patrick Dewaere, mais je compte bien m'y atteler : ça doit s'appeler Mille millions de dollars et directement inspiré du film d'Henri Verneuil.
Dans le même ordre d'idées, que devient ton recueil de poésie nommé A tombeau ouvert ?
Pffff.... je n'ai pas avancé depuis que je t'en ai parlé... Happé par le temps pris pour mes albums, ceux d'Eiffel, les tournées et disons le clairement : la lutte permanente pour pouvoir continuer à faire ce que l'on aime ! Mais, mais, mais : ce recueil sortira un jour ! Comme d'ailleurs le truc que j'ai commencé à la même période et qui pourrait avoir la bougne d'un long roman intitulé Camille et le ventre du monde... Mais bon, avant j'ai juste 35 albums a enregistrer et jouer sur scène,
alors rendez vous au prochain à coup de trotteuse !
Frédéric Lemaître
ROMAIN HUMEAU
Tryin'to be a girl
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