ROBI // MANTRA
- PERSONA
- 31 oct.
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 nov.

GUERRIERE AMOUREUSE
Aux dernières nouvelles, ROBI jouait dans un cabaret transformiste qui faisait (et encore maintenant) régulièrement salle comble et était aux commandes de vidéos clips pour d’autres artistes (Superbravo, Maud Lübeck). Côté création musicale, rien depuis 2019, et la sortie de son 3ième album, Traverse, sur le label FraCa, monté un an auparavant par elle-même et deux autres femmes, Katel et Émilie Marsh. Indépendante, féministe et engagée, Robi revient cet automne avec Mantra, un album de chansons à textes poétiques et ciselés, questionnant nos existences, coincées entre intime et politique, posés sur des musiques où la basse tient le rôle principal.
La basse est un instrument très présent sur tes disques, encore cette fois. C’est toi qui compose ?
Sur ce disque, tout a été composé par moi. Je suis arrivé avec mes maquettes piano-voix en studio et on s’est enfermées 6 jours avec Katel, Émilie Marsh, Sky, Claire Joseph et moi. On a tout arrangé ensemble en live, avec pour dogme, nécessité et envie, le fait que les morceaux tiennent à l’os, tels quels, qu’ils sonnent. Et pourquoi la basse en avant ? Parce que j’ai toujours adoré la basse. J’ai travaillé avec plusieurs compositeurs avant d’être moi-même compositrice, et c’est avec Jeff Hallam (bassiste américain, présent avec elle sur disque et sur scène au moment de son premier album, ndr), que je me suis rendu compte que c’était ça mon « endroit ». Je pense que, inconsciemment, mon enfance en Afrique et à la Réunion m’ont donné ce rapport au Blues, et puis la tessiture de ma voix marche bien avec une basse.
Qui joue la basse ?
C’est Katel, mais pas seulement, elle a fait toute la réalisation et le mixage de l’album. C’est mon binôme sur ce disque.
De quelle manière composes-tu ? Les textes ou la musique d’abord ? Les textes sont très écrits.
Je n’ai aucune méthodologie. Chacun des albums a été écrit différemment. Pour le 1er, j’ai écrit en marchant, texte et mélodie. Pour le deuxième, je voulais être davantage autonome, donc j’ai tout composé sur un ordinateur, sur Garageband. J’ai fait le 3ième en collaboration avec AuDen. Pour le reste, c’est plus le texte qui induit la mélodie, mais ce n’est pas toujours vrai... Dans l’écriture poétique, pour moi, il y a déjà de la mélodie. Après, je vais retravailler le texte d’un côté, mais c’est très lié. J’écris ce que je crois être de la poésie et certaines donnent lieu à des rengaines, d’autres moins.
Je vois pas mal de liberté dans la construction de tes chansons. Ce qui me fait penser à Christophe de temps en temps, avec par exemple une phrase mélodique qui ne vient qu’une seule fois au début (dans le morceau Les mots pour le dire ), qui change ensuite...
C’est vrai que le phrasé est différent ensuite. Je suis autodidacte en tout. J’arrive de la musique traditionnelle des iles et d’Afrique, mais aussi j’ai été bercée à la maison par Brel, Ferrat, Barbara, et puis, j’ai découvert Nirvana à 14 ans et Portishead… Le trip-Hop m’a beaucoup nourri. Mais je pense que je ne fais pas la musique que j’ai envie de faire, je fais la musique qui me vient, dont j’ai besoin. Je fonctionne à l’oreille, à l’instinct. Avec toujours cette notion de chaud/froid. Si une mélodie a une tendance lyrique ou sucrée, je vais avoir envie de la retenir et de l’amener vers quelque chose de plus brut. Et inversement. J’ai toujours besoin que subsistent ombre et soleil dans mes textes, avec une forme d’ambivalence. Vers où aller, le premier single de l’album, est à la fois un constat terrible et une forme de quête d’espoir. Est-ce qu’il y a quelque part où aller, ou bien est-ce que c’est déjà écrit ? On retrouve ça dans ma musique aussi, ce qui la rend souvent inclassable. Le premier single du précédent album s’appelle Le soleil et l’as, j’ai décrété que j’avais inventé le dark zouk... On est pris dans cette danse légère et nostalgique et dans ce constat, cette impossibilité... Sinon on m’a parlé de Christophe déjà, mais plutôt pour la chanson Mes yeux, qui part mélodiquement vers l’Italie...
Tu dis que tu as grandi en Afrique et dans les îles. Je ne vois pas forcément ces influences dans ta musique... Ton père était militaire ?
Absolument pas. Il était chercheur en géologie et à l’époque il était coopérant... La version « post-colonialisme »... Mais je ne recherche pas les influences de là-bas. On me le dit pour la répétition. Ça m’intéresse, tant rythmiquement que philosophiquement, d’utiliser la répétition, un décharnement du sens qui fait apparaître une autre lecture. Sinon il n’est absolument pas question que je joue à la blanche qui vient d’Afrique. C’est plus sous-marin. Ça apparaît par exemple sur mon deuxième album, qui est plus lancinant et cinématographique, avec de la liberté dans le format des chansons.
Quelles sont tes influences ?
Ça ne m’intéresse pas de savoir. Je n’intellectualise pas la composition, je ne suis pas érudite et ne cherche pas à l’être. Je suis très cérébrale mais pas intello. Ça m’empêcherait je pense. Sur le 1er album, je ne suis que mélodiste. Sur le second, je passe à la composition sans savoir jouer, et puis pour le suivant j’apprends à jouer, je prends des cours de piano, les accords majeur/mineur et résultat je mets 5 ans à le faire parce qu’en découvrant l’étendue de ce que je ne sais pas, je me dis que j’en serais incapable... Une forme d’innocence à soi m’est nécessaire pour créer et ne pas me dire que tout a été fait et que je ne serais jamais à la hauteur. J’ai fermé ce dossier après l’avoir ouvert pour revenir à une façon de créer plus reliée à l’enfance.
Dans Le mot pour le dire, je me suis demandé quel était ce mot, même si j’ai bien une idée. Je trouve le texte très beau.
Merci (sourires). Ce morceau pour moi parle de la difficulté à exprimer ses émotions, à dire le mot juste, à en dire trop ou pas assez. Après il y a une petite ellipse à la fin qui laisse sous-entendre que le mot pourrait être « Je t’aime ». Ce mot-là, qui porte beaucoup trop de choses sur lui. Ça peut être tous les autres mots qui ont plus de valeur et sont plus signifiants que ce « je t’aime ». Après c’est moi. Ce que les autres entendront leur appartient.
Tu questionnes beaucoup l’existence dans tes textes...
Je ne sais faire que ça... Ce n’est pas très original, tout le monde écrit là-dessus, la vie, l’amour, la mort. Mais c’est vrai que la question de la finitude traverse tous mes albums. En amour, dans la vie. Et donc, à quoi bon vivre ? Il y a 3 solutions en fait, croire en dieu, se suicider, et puis la 3ième voie, c’est Camus, c’est la seule chose qui me passionne vraiment. Qu’est-ce qu’on fait du fait d’être conscient de notre propre mort ? Comment ça nous conduit sur la lune, à casser des boutiques sur les champs, ou à être Kant ?
A 10 ans, ça me passionnait déjà. A la fin, on meurt. C’est pas un constat terrible, enfin si, mais c’est un "memento mori". Soyons conscient de nos actes, en termes d’éthique et de joie aussi...
Tu réalises des clips pour d’autres. Tu fais les tiens aussi ?
Oui, j’ai fait une formation pour utiliser l’Intelligence Artificielle. Ce qui est passionnant, c’est que ce n’est pas du tout au point pour la vidéo. L’IA crée des hallucinations, des images bizarres. Et ce qui m’intéressait, c’était de travailler avec l’accident, surtout avec le morceau Vers où aller qui est quand même sur le questionnement, le constat aussi de nos quêtes intimes et sociétales, qui sont dans une espèce de point mort vertigineux. Quel plus grand vertige aujourd’hui, éthique et politique, au niveau créatif que l’IA ? Ça m’intéressait de ce point de vue, mais aussi c’est très accessible quand tu es seule à travailler. J’ai pris l’image d’une petite fille, je la fais aller d’une image A à l’image B et l’IA transforme le paysage. Après j’ai fait un autre clip sur le morceau Vivre et c’est beaucoup plus flippant. Je venais de faire des photos de presse pour l’album. J’en ai nourri l’IA, qui a créé des avatars de moi. D’un coup j’ai des seins, je me fais planer dans une boule à facette dans le ciel. C’est très étrange, à moins de regarder dans les détails, c’est moi... Je ne sais pas où on va... Et la chanson s’appelle Vivre. C’est quoi un être humain, c’est quoi la conscience... Notre finitude...
Et sur le féminisme alors... Je remarque que tu mets en avant que ton disque a été fait par des femmes, avec des femmes. Pourquoi le souligner autant et pourquoi pas plus de mixité ?
Si je prends les chiffres, dans la musique, les femmes sont à 70% plus diplômées que les hommes et tu en retrouves seulement 15% dans le milieu. Dans un couple de musiciens, qui va s’arrêter pour travailler à côté pour que l’autre continue ? La femme, pas l’homme. Tu as des boys clubs, des mecs qui travaillent entre eux en permanence depuis 30 ans, dans les mêmes studios, ça ne pose de problèmes à personne. Nous on s’appelle Fraternité Cannibale (FraCa), ça vient d’une anecdote : un jour une chanteuse a demandé à une amie manageuse de travailler avec Katel. Et sa manageuse lui a dit, « ah non, pas encore la fraternité cannibale ! » Sous-entendu, les femmes qui se bouffent entre elles... Avec en plus une suspicion d’homophobie. Le monde est entouré de mecs qui travaillent entre eux et n’incorporent jamais des meufs ou alors à des rôles subalternes. Ce qu’on entend en permanence, même quand on écrit nos chansons, c'est l’ingé-son qui demande au guitariste : " Elle vaut quoi la chanteuse ? " Ben elle est là et elle sait gérer sa voix. On l’a toutes vécu.
C’est un peu en train de changer quand même ?
Mais absolument pas. Les jeunes gens de 18 à 25 ans n'ont jamais autant voté extrême droite, n'ont jamais été aussi masculinistes. Tous les dirigeants qui sont dans les gouvernements de la majorité des pays du monde, sont complètement dans le fascisme. Qu'est-ce que c'est que le fascisme ? La domination, le patriarcat, la violence. Ok il y a dans certains petits lieux, urbains, intellectuels, des îlots, mais par contre à l'échelle globale, à l'échelle mondiale et même à l'échelle de la société française, c'est une catastrophe. Il y a même un retour de flammes. L’autre fois une vidéo où je danse (j’aime bien danser, même me filmer) est sortie sur Internet et je me suis pris 80 commentaires du genre « Est-ce que tu veux baiser », « T’es bonne », ou « T’as pas de seins », « Vieille peau », etc.
Est-ce que tu crois qu’une vidéo d’un mec qui danse même à moitié à poils aurait reçu autant de commentaires ?
Peut-être, oui, du genre « Sale PD ».
Oui, c’est ce que je dis, des commentaires de mecs entre mecs. VOUS avez un problème.
Mais le manque de mixité, n’est-ce pas un danger de se fermer quand même, de se laisser enfermer et catégoriser ensuite.
Mais se fermer de quoi ? On fait des concerts, on bosse juste entre femmes, ce que font les hommes depuis toujours. Et on est suffisamment brillantes pour le faire. Sous prétexte que ça pourrait être mal vu, que ça ne plairait pas aux hommes, il faudrait arrêter ? Une des armes du patriarcat est justement de séparer les femmes. Les rendre rivales. Physiquement. Elle est baisable ou pas. C’est une bonne mère ou non. C’est un moyen de coercition. Je ne vois pas pourquoi on s’interdirait des choses, et même pourquoi on ne le porterait pas en étendard. Il y a un phénomène que je trouve génial : s’il y a des tables rondes sur l’égalité des sexes, les hommes ne viennent pas. Si on dit « Non mixité », ils disent « Non mais quand même vous n’allez pas rester entre vous ! » Je n’ai aucun problème avec les hommes individuellement. Par contre structurellement... Ça concerne tous les milieux. Dans les manifestations anti-racistes, c’est toujours des hommes blancs de gauches qui se mettent devant. Il s’agirait que ce soit d’autres qui soient vus ! Il y a un moment il faut arrêter de prendre toute la place. Et puis tout le monde dit toujours « C’est pas moi » quand on raconte nos problèmes. Ok, mais il faut écouter quand même. Et le rapport à la colère féministe, ça me rend dingue. Il faut voir ce qui se passe sur les Champs quand le PSG gagne ! Et c’est nous les hystériques !
Le danger c’est qu’en parlant de vous, on en vienne à dire « Ah oui, le groupe de filles féministes »…
Je trouve ça dramatique si c’est le cas. Justement on a appelé notre label FraCa – Fraternité Cannibale - comme un retournement de stigmate de la manière dont on nous traite, or on continue à nous planter. C’est délirant. Et donc ça n’a pas bouger. La preuve. Mais pour moi ça raconte davantage leur problématique, que la nôtre. Et en plus on travaille à plein de niveaux avec des hommes. Ni on arrête de les fréquenter, ni on les raye de nos agendas. Personne n’a assassiné d’homme. Je suis hétérosexuelle. Bon je suis la seule dans mon groupe de copines. Mais j’ai été ravi à 30 ans de rencontrer des lesbiennes qui avaient un vrai discours, une vraie lecture politique du monde, parce que, les femmes hétéros ont été tellement coincées par le fait qu’elles luttaient contre l’objet de leurs désirs. J’ai vraiment soufflé quand j’ai rencontré cette bande de filles.
Je suis féministe depuis l’âge de 12 ans, et on m’a toujours répété, « Oh là là t’es pas drôle ». Ben, de la même manière que Bigard c’est pas drôle, les blagues sexistes, c’est pas drôle. De toutes façons, c’est toujours plus drôle quand on commence par se moquer de soi. Et ça manque aux garçons. Désolé on a été long sur le sujet…
Non c’est intéressant de parler d’autre chose que de musique dans les interviews, de ce qui t’anime…
Justement pour revenir à la musique, j’ai écrit le morceau A l’amour comme à la guerre à l’endroit d’être féministe et hétérosexuelle en même temps, même si elle peut être prise pout toute forme d’amour. Quand on le sait, on comprend tout dans la chanson. Elle n’a pas vocation à être engagée de manière explicite, ce n’est pas mon truc. Il faut être extrêmement brillante pour écrire des chansons explicitement engagées. Très vite, sinon, tu enfonces les portes ouvertes. Elle est gentille, elle est méchante. Ce sont des sujets beaucoup trop complexes pour les ramener à deux minutes trente de pop !
Tu joues dans un cabaret à Paris, le cabaret Victor, Victoria…
L’histoire, c’est qu’un jour, j’ai découvert que ma chanson On ne meurt plus d’amour était jouée tous les soirs par Monsieur K, qui était directeur artistique chez Madame Arthur, au tout début du renouveau du cabaret. C’est lui qui l’a relancé à Paris. Ma chanson était devenue l’hymne de Madame Arthur. J’y suis allée un soir, j’étais hyper émue, il la chantait avec un accordéon… Il m’a invitée en guest. Et puis il a monté son cabaret, je suis devenue récurrente, d’abord comme artiste indépendante, puis j’ai pris le pli du cabaret, j’ai créé mon personnage. C’est un cabaret de type berlinois des années 30, très politique, grotesque, très trash, très drôle. Une fois qu’on a goûté au cabaret dans sa vie, on ne plus s’en passer, car c’est un endroit de liberté et de transgression, de réflexion. C’est un miroir tendu à la société. Du coup il n’a plus été question d’arrêter. C’est très puissant. On a monté ce cabaret « féministe » Victor, Victoria… Tout le monde est évidemment accueilli dans le public, mais sur scène, on n’est que des femmes, des trans, ou non-binaires, parce qu’il y avait peu de places pour nous, là aussi, car dans le cabaret ce sont en général des hommes qui se travestissent en femmes. Et ça cartonne. Ça se passe dans un des derniers lieux undergrounds de Paris : le « Truc ».
C’est un endroit qui me fait beaucoup de bien. Je t’invite à y venir !
Matthieu Davette

Mantra (Fraca), sortie le 7 novembre 2025

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