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NORMA LOY // Spécial reprises (Bonus PERSONA)


Le nouvel et 7ème album de Norma Loy titré Ouroboros (mot mythologique de la représentation du symbole du serpent qui se mord la queue) est composé de 12 reprises. Dans le numéro 23 (été 2023) de Persona, Chelsea (voix) et Usher (synthétiseurs) ont répondu à nos questions concernant les 12 reprises gravées sur l’album - Enfin 11, car la reprise Touch Me de Suicide n’est pas traitée. Pour cette deuxième partie d’interview, on va causer des reprises qui accompagnent depuis plus de 40 ans Norma Loy à travers leurs albums et prestations scéniques.


Premier point, quel est votre approche pour aborder une reprise ?

Chelsea : Effectuer une reprise est un exercice délicat, on s'en rend compte avec le temps et une exigence qui s'accroit. Effectuer une copie carbone n'a aucun intérêt (autant écouter l'original) ou alors durant un concert pour se faire plaisir ; vouloir à tout prix imposer une déconstruction ou forcer une forme, histoire de montrer qu'on « intervient » est un piège si on ne peut pas le justifier, c'est alors un exercice complaisant et assez vain je trouve. Une reprise doit résonner dans son ressenti profond pour être valable, parler de ses expériences et de ses émotions, il faut aussi faire preuve de respect (sinon on se livre à la caricature, c'est un autre sujet) puisqu'à la base on est touché par lui (ou par le thème abordé) et qu'on l'aime. Au-delà d'une forme de reconnaissance et d'hommage, il faut aussi trouver le point commun qui va donner du sens, bref il faut se poser des questions. Parfois ça fonctionne bien, parfois c'est un peu raté, l'important c'est d'essayer. J'en parle d'autant plus tranquillement que ça n'a pas toujours été le cas en ce qui me concerne.


Quel est votre première reprise gravée sur un support (cassette, vinyle, flexi disc, compilation…) ?

Chelsea : Bien qu'aucune reprise ne figure sur les deux premiers maxi, nous étions déjà coutumiers de cette pratique en live. Suite à la création de CPM en 1983 (notre structure de prod), nous avons sorti différentes K7, dont PPHZ en 1984 qui proposait des titres issus des concerts de l'époque. Y figurent deux reprises : Heaven (David Lynch) et Cheerie (Suicide). Nous reprenions également régulièrement Johnny Dance et Ghost rider des mêmes Suicide, ce qui prouve que nous avons de la suite dans les idées !



Justement sur votre premier album Rewind/T.Vision (1986), on trouve la reprise du morceau Heaven de David Lynch extrait de la BO de son premier film Eraserhead. Que représente ce morceau pour vous et comment a- t-il évolué en live au fil du temps ?

Chelsea : Heaven est un cas très particulier, c'est un titre que nous n'avons jamais cessé d'interpréter depuis le tout début du groupe et même avant. Je pense qu'il n'existe aucun concert où nous ne l'avons pas joué. Il évolue en permanence en fonction de notre ressenti du moment. Nous pourrions en faire une compilation avec les différentes versions qui ont surgies au fil du temps (cold wave, expérimentale, indus, cabaret, pop etc.). J'ai été extrêmement marqué par le visionnage du film, je pense fin 80 (il était sorti dans une salle à Paris sous le titre Labyrinth man suite au succès critique de Elephant man, avec en première partie Le bunker de la dernière rafale de Caro et Jeunet.). Je n'avais jamais rien vu de pareil, d'ailleurs il reste unique en son genre, c'est un véritable ovni. La bande son était très marquante également, un mix inédit de sons brouillés industriels, d'extraits d'interprétations de Fats Waller à l'orgue de cinéma et bien entendu la fameuse chanson de la Lady in the radiator. Eraserhead marque pour moi un sommet dans la représentation du « territoire psychique intérieur » que nous cherchons souvent à représenter. Je lui accorde aussi une vision ésotérique, bien que Lynch le dénie. Au tout début, je n'en voyais que l'aspect effrayant d'un cauchemar métaphysique, puis en le revoyant (beaucoup), m'est apparu une dimension humoristique, assez grinçante il est vrai. Je suis très fan du cinéma de Lynch, c'est sans doute mon auteur préféré avec Luis Bunuel. Mullholand Drive est un de ses chefs-d’œuvre (entre autres) mais Eraserhead est totalement hors catégorie. Comme nous sommes bien sûr très intéressés par le rêve, cet attrait pour Lynch se justifie pleinement, le rêve procure l’éveil. Le rêve n'est qu'un des aspects du Réel, le Réel englobe toutes choses (le Un).

Le Réel contient une infinité de réalités et le rêve permet d'accéder à d'autres fréquences de ce champ de conscience que nous nommons "notre réalité ", cette réalité étant elle-même incluse dans le champ "réalité humaine ". Le rêve s'apparente à la magie et la magie est un déplacement de notre fréquence qui permet toutes sortes de connexions. Le point de vue modifie la vision.


Sur ce premier album, il y a une de vos compositions qui a pour titre Fun House. Comme vous êtes très fan d’Iggy Pop, j’imagine que ce titre est en référence direct avec le morceau titre des Stooges ?

Chelsea : En fait, non, même si l'album Fun House revêt à nos yeux une importance considérable. Il s'agit plutôt ici d'un titre assez léger avec des paroles proches du psychédélisme anglais première période, sans aucun rapport avec le magma en fusion des Stooges.


Norma Loy, live 1983

Sur l’album Sacrifice, on trouve L’Homme à la moto d’Edith Piaf. Au départ vous aviez écrit ce morceau pour une compilation qui n’a pas vu le jour. Pouvez-vous nous en dire plus ? Chelsea : C'est Claude Guyot, qui s'occupait du label IRA / MAPA en France (surtout axé sur des groupes italiens comme Litfiba) et dont nous étions proches, qui a proposé ce projet de compilation dédié à Piaf, qui n'a pas abouti. Il en reste deux 45t : un de Andy Sex Gang et un autre de Litfiba. Comme nous étions sur Eurobond et que nous avions mis ce titre de côté, il a intéressé le label qui voulait un morceau en français, ce qui explique qu'il se retrouve sur Sacrifice et qu'il soit sorti en 45t. Je pense que ce titre est totalement décalé par rapport à l'album, même si c'est sans doute celui qui a bénéficié de la plus grande audience. Sans cette proposition de compilation nous n'aurions sans doute jamais pensé à reprendre cette chanson qui n'est pas véritablement inscrite dans notre ADN, même si c'est à la base signé Lieber / Stoller et que j'apprécie Edith Piaf.

Usher : J’avais choisi de réarranger ce titre à notre manière : y inclure un séquenceur, rajouter une partie harmonique, modifier les refrains et y inclure ce sax furieux de Z closer ! C’était plutôt un exercice de style à la base, mais ça a plutôt bien fonctionné. En dehors de la voix, je trouve l’instrumentation assez dans le style du Tuxedomoon de l’époque Stranger (NDLR : single avec Winton Tong -1979).


SUICIDE ©Adrian Boot

Vous êtes des fans absolus de Suicide et d'Alan Vega. Vous avez réalisé Ghost Rider sur la version CD de Sacrifice/T.Vision, puis sur Attitudes et une autre version sur la compilation One Psychic Altercation. Que représente pour vous ce morceau intemporel ?

Chelsea : Je me souviens qu'en 77 j'écoutais l'émission d'Alain Maneval Pogo qui passait très tard le soir sur Europe 1 et que j'enregistrais avec délectation. Le problème c'est que certains titres n'étaient pas annoncés, parmi ceux-ci, un morceau qui me hantait littéralement et que je ré-écoutais en boucle, c'était bien sûr Ghost Rider. C'est lors d'un séjour à Londres avec mon camarade Usher l'année suivante que j'ai acquis le 1er Suicide, au jugé, sans savoir ce que c'était et sans pouvoir l'écouter. De retour dans ma province, je vous laisse imaginer mon bonheur quand j'ai pu mettre enfin un nom sur la chose et surtout que tout était du même niveau sur ce disque que je chéris (cheeree) entre tous. Nous l'avons usé jusqu'à la corde avec Fun House, les Pistols, les 45t punk et une compilation du VU. Comme je l'ai dit plus haut, nous avons joué des titres de Suicide dès nos premiers concerts et ce groupe est largement en tête en termes de nombre de reprise sur nos disques. Plusieurs versions de Ghost Rider, I remember/Je me rappelle , Cheerie / Girl / Keep Your Dreams aka Cheerie Dream, Touch me… d'ailleurs notre formation précédente, Coït Bergmän, était déjà largement sous perfusion Suicide. J'ai rencontré Alan Vega à plusieurs reprises, c'est lors d'une interview pour New Wave mag qu'il nous a donné le nom du groupe Norma Loy en place de Myrna Loy (nom d'une actrice du muet). Je n'ai pas eu l'occasion de lui faire écouter la reprise de Ghost Rider figurant sur Attitude, mais je lui ai remis le disque bien plus tard dans sa loge lors d'un show au centre Beaubourg. Je me souviens qu'il nous avait proposé de faire sa première partie au Rex Club après la parution de son 1er album solo, mais on ne se sentait pas prêts à l'époque. Après sa mort j'ai échangé avec un de ses vieux amis (et guitariste sur Collision Drive), je lui ai envoyé quelques-unes de nos versions et il a trouvé ça très cool. J'ai échangé brièvement avec Christophe lors justement d'un concert de Suicide à l'Elysée Montmartre où il se trouvait, c'était surtout pour moi l'occasion de lui dire à quel point j'aimais son travail. Il s'était montré très abordable et fort sympathique. Suicide c'est un peu notre boussole.


Sur l’album Rebirth, vous repreniez deux classiques du rock : Voodoo Chile de Jimi Hendrix et TV Eye des Stooges. Aujourd’hui en 2023, ces deux morceaux restent-ils des édifices dans la construction de Norma Loy ?

Chelsea : Voodoo Chile ça part quand même d'une volonté de donner une vision très iconoclaste d'un classique absolu, je pense que c'est davantage cette optique qu'il faut retenir. On ne désirait certainement pas se mesurer à Electric ladyland ! A l'époque je n'avais pas non plus encore mené le travail d'introspection qui me guide lorsque je m'attaque à la ré-appropriation d'un titre. TV Eye, c'est très différent, déjà il y a TV + Eye, on est au cœur de nos obsessions favorites, et puis on doit tellement aux Stooges ! C'est très excitant de le jouer en live. Ceci dit la version de Dirt figurant sur Un/Real est beaucoup plus personnelle et pertinente. C'est d'ailleurs à cette occasion que j'ai commencé à mener une approche très différente en ce qui concerne l'interprétation, essayer d'arriver à injecter des sentiments intimes sans trahir non plus l'esprit de l'original, respecter, faire sens pour soi-même et l'offrir en partage. L'art est quoiqu'il en soit une forme d'exorcisme.


Andy Warhol

Sur cet album, il y a un morceau qui a pour titre A Warhol’s Exhibition. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce que représentes pour vous Andy Warhol, la Factory, le Velvet Underground et Nico dans le NY de 1966-67 ?

Chelsea : Adolescent je tirais des posters en sérigraphie aux sujets art déco/surréalistes bientôt remplacés par des séries d'obédience Pop Art figurant des stars du rock, telles que David Bowie ou Jimi Hendrix, tirées sur des supports variés. C'est la sérigraphie qui m'a fait vraiment connaitre Andy Warhol et non pas l'inverse ; une technique pouvant aussi amener à la découverte d'une œuvre et influer considérablement sur sa propre production. Le Pop Art m'a propulsé dans une forme nouvelle et par conséquent dans l’approche de l’Art contemporain ou le quotidien (politique, médiatique) intervient et prend toute sa place au sein d’un champ conceptuel et expérimental. C'est aussi une démarche critique, on peut penser que le Pop Art était une forme nouvelle du réalisme de Courbet puisqu'il se veut le reflet de la réalité de son temps, à la différence toutefois qu'il propose d'élever au statut d'icône (donc d'idéaliser, ce qui n'était pas la manière du réalisme du XIXe) les objets courants de la consommation et les médias en eux-mêmes, nouvelles religions de la fin du XXe. D'autre part, cela induisait une nouvelle donne puisque les frontières entre peinture, musique, sculpture et moyens de diffusions étaient brouillées ou abolies. Une des plus grandes réussites de Warhol fut d'avoir fait de sa personne son œuvre majeure, en créant aussi un nouveau (Du)champs, qui intégrait le rock et la contre-culture et interrogeait les mécanismes de la société de consommation d'une manière assez ludique. Warhol est aussi une icône rock au même titre qu'Elvis qu'il avait cannibalisé sur une série lui étant consacré en tant que cowboy tenant un flingue à la main. Le point d'apothéose en ce qui nous concerne est atteint avec son interaction entre le Velvet et l'avant gardisme de ses installations cinéma – projections lumineuses en vue d'un spectacle total. Ce spectacle total est, je pense, à la base de traditions remontant à la plus haute antiquité qui relevaient de l'invocation et de pratiques magiques. Warhol en propose une forme contemporaine très pertinente dans son américanité (un pays sans réel fond de tradition, hormis les tribus indiennes qui se situent toujours en dehors du cadre). Vu de notre ville de Troyes en cette fin des années 70, la Factory était une sorte de pays de Cocagne peuplé de gens incroyables et super lookés. J'ai connu le Velvet après Lou Reed en solo (grâce à David Bowie), c'était compliqué de trouver leurs disques, il fallait les commander. Leur son était radical et novateur, les sujets abordés en accord avec la musique (ou inversement). A partir du VU on a pu raccrocher les wagons à John Cale et à Nico. J'ai écrit les paroles de A. Warhol exhibition après avoir vu l'énorme expo qui lui était consacré à la fondation Cartier à Jouy-en-Josas, c'est d'ailleurs à cette occasion que le Velvet s'était reformé (je n'y ai pas assisté). C'est un titre hommage, nous voulions qu'il soit très sobre, un peu comme le fantastique disque de Lou Reed & John Cale Songs for Drella. On y a rajouté quelques peu discrètes références aux Doors de The end (un autre de mes groupes fétiches d'ailleurs repris par Nico).



Sur Un/Real, vous faites une autre reprise des Stooges, Dirt extrait de l’album Fun House. Ce disque est-il une obsession, un fétiche pour vous et combien de fois avez-vous vu Iggy Pop et les Stooges en concerts ? Chelsea : J'ai vu Iggy pour la première fois au Palace en 1982 et c'est mon concert préféré de lui en solo. C'était lors de la tournée Zombie Birdhouse. J'étais au premier rang et j'ai pu réaliser pas mal d'images qu'on peut retrouver dans les fascicules « 013 Rocks the New Wave ». Je l'ai vu pas mal de fois par la suite, il était toujours génial bien sûr, mais parfois ce n'était pas le cas de ses musicos. Le second choc ça été le concert des Stooges à Rock en Seine (la formation avec Ron Asheton), incroyablement puissant avec le SON (contrairement aux pirates des années 60 / 70). J'ai aussi copieusement shooté cette superbe performance, un des meilleurs concerts de ma vie avec les Cramps à Bobino et Tuxedomoon à Rock in Loft. La pochette de Fun House c'est un peu l'équivalent de la Joconde pour le rock. Ce disque nous l'avons écouté des milliers de fois, il reste toujours aussi puissant et inspirant.



Sur l’album Baphomet se trouvent deux reprises : I Remember de Suicide et le standard Blue Moon repris par une flopée d’artistes (Elvis Presley, Billie Holiday…). Est-ce le top de l’élégance ? Chelsea : Je ne sais pas si c'est le top de l'élégance, mais en tout cas les deux restent imprégnés du son de Suicide. Ma version de référence pour Blue Moon c'est celle d'Elvis en 1956, je la trouve incroyablement pure et touchante, très minimale également. Alan Vega était fasciné par Elvis. Je dois ajouter que je suis très amateur des disques de Billie Holiday, mais dans ce cas précis c'est à Presley qu'il faut se référer. Nous avons également repris longtemps sur scène Heartbreak Hotel une autre pépite du King datant de la même époque, mais davantage inspirée par la version qu'en avait donnée John Cale.

Usher : Dans Blue Moon je me suis amusé à rajouter un pont très Suicide, et le beat de base aurait très bien pu accompagner un de leurs titres. Au fond c’est juste une sorte de généalogie : Alan Vega était influencé par Elvis, et nous reprenons son Blue Moon avec l’esprit Suicide, tout en y ajoutant notre prisme personnel.


A travers toutes ses reprises, c’est le son de Norma Loy qui ressort gagnant, comme un parfum fantasmé échappé des années 80. J’imagine qu’une reprise passée sous « la machine » Norma Loy est pour vous une façon de louer tous les morceaux qui vous ont construits ?

Usher : Comme l’a dit Chelsea, il y a une part d’exorcisme, dans l’art de la reprise. Car il y a à la base un envoûtement, un enchantement. La reprise, lorsqu’elle est réussie, procède comme une appropriation qui délivre et vénère à la fois. Le charme n’en est pas rompu. Comme pour le sens communiqué par les paroles, il faut pour moi trouver l’écho de la musique que je vais reprendre, écho et éveil intérieur. Imprégné du son, j’entends ce que je vais y ajouter, qui était en moi, secrètement, et que la chanson a su révéler. C’est une curieuse alchimie, mais sans la Foi et le Feu que donnent l’amour ou l’ivresse d’une chanson, rien ne se produit.


Paskal Larsen


Retrouvez la 1er partie de l'interview dans le n°23 de la revue papier PERSONA, en vente sur notre site.




Ouroboros (CPM/Manic Depressions Records) 2023





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