Morgane Imbeaud, autrice-compositrice, l’âme vocale du groupe Cocoon, avec son incomparable timbre clair et envoûtant, poursuit sa route sur des chemins toujours singuliers. La sortie le 10 mai dernier de son deuxième album solo, The Lake vient souligner une fois de plus son talent à nous surprendre avec la force et la délicatesse qui la caractérise. Il s'agit cette fois d'un disque-miroir, composé avec Robin Foster (Beth, Moneypenny, We Are Bodies), qui nous porte sur le rive d'une fresque intime pop-rock électro, pleine de déchirures, de guitares électrisantes, d'halos poétiques et de volutes synthétiques hypnotiques. 12 titres, 12 songes, 12 vagues, 12 feux follets, aux thématiques profondes comme autant d'invitations au voyage qui nous emmènent dans des territoires encore jusque-là inexplorés.
Tu viens de sortir, ton nouvel album. Est-ce que tu peux revenir un peu sur la genèse, l'envie qui t'a mené à écrire ce deuxième album ?
En fait, cet album-là, est partie d'une histoire qui peut paraître un peu triste, mais qui ne l'est pas du tout au final. Après le confinement j'ai fait un gros burn-out. Quelque temps avant j'avais rencontré Robin Foster, qui a réalisé l'album. Je dis même souvent qu'on l'a co-composé parce qu'on s'est tellement bien entendus, que c'est un coup de foudre amical et musical comme je n’en avais jamais eu. On s'est vite rendu compte qu'on avait la même sensibilité.
Mais sans prévenir, mon corps m'a lâchée. Burn-out. J'ai fait trois mois de clinique. A ce moment-là, on a continué à travailler tous les deux, en s’envoyant des chansons quasiment quotidiennement. Et ça m'a vraiment aidé à passer cette épreuve-là. J'avais mon petit home studio dans ma chambre. C'était drôle au final.
A une période, j'avais des partenaires qui s'attendaient à ce que je fasse autre chose, à ce que je chante qu'en français par exemple, mais je n'en avais pas envie. J’ai un peu envoyé balader tout le monde pour faire l'album que je voulais avec Robin. Et j'en suis très heureuse. L’album n'aurait pas du tout la même émotion, sans ce qu'il a fait. Il y a des arrangements qui sont tellement forts, qu’en fait, ça fait partie intégrante de la compo.
Cet album-là a donc été conçu en partie pendant cette période de souffrance ?
Ouais, c'est ça. Une fois que j'étais sortie de la clinique, en septembre 2022, je suis allée chez lui. Il habite au bout du monde à Camaret-sur-Mer, un coin magnifique. J'étais censée rester cinq jours. Mais avec sa femme, son fils, on s'est tellement bien entendus que je suis restée dix jours. On a vraiment beaucoup avancé à ce moment-là. Après, on a fait une autre session en décembre 2022. Et puis après, on s'est revus. Parce que de toute façon, c'est un peu comme une deuxième famille. On ne se quittera plus. Avoir Robin pour cet album, c’est une chance incroyable et c'est finalement l'une de mes plus belles histoires.
Au-delà de l'asset psychologique est ce que tu penses que c'est aussi ce qui donne cette couleur particulière à ton album, très différent de ce que tu as fait auparavant ?
Oui, c'est vrai que ça change complètement. Au début, je me suis dit que c'est peut-être que ça leur fait un peu bizarre de prendre un autre angle. J'avoue que tout ce que fait Robin, j'adore ce qu'il fait. Il a son projet solo. Et il a aussi beaucoup bossé avec le groupe Archive. J’en suis absolument fan. Cette façon qu'il a de composer, ce côté un peu rageux, je ne savais pas le faire. Et c'est la musique que je rêvais de faire finalement. C'était vraiment génial, il a su apporter sa patte et y mettre cette couleur sur l'album. On a réussi à trouver une entente parfaite. Il n'y avait pas d'histoire d'égo entre nous. On a vraiment aimé faire de la musique ensemble. C'est sûr qu'il y en aura d'autres. Je ne sais pas sous quelle forme, mais on continuera quoi qu'il arrive.
Cette rencontre et cet investissement que tu as mis dans cet album, c'est aussi ce mélange de douleur et de sérénité. Toute cette ambivalence qui crée une atmosphère unique. Est-ce, quand tu l'écoutes, tu as le sentiment qu'il reflète quelque chose de très personnel en toi ?
Oui, complètement. Un album, c'est tellement long à faire. Une fois que tu l'as enregistré, le temps qu'il sorte, on peut avoir quelques doutes qui naissent sur certaines chansons. Du style :" j'aurais dû le faire comme ça ou j'aurais dû remplacer ça sur une chanson ". C'est la première fois d'ailleurs que ça me faisait ça. J'ai mis tout mon cœur dedans en fait. Même dans les duos, j'ai décidé de ne travailler vraiment qu'avec des gens que j'aimais. Et c'est aussi en ça qu'on retrouve ce côté très intime. Cet album a été mon espace de liberté que je ne m'étais jamais accordé auparavant.
Tu disais tout à l'heure que tu avais invité des personnes que tu aimais sur cet album. Tu as notamment un titre avec Lonny. Comment l'as-tu vécu ?
En général, c'est vrai que j'aime bien avoir des duos avec des gens dont j'aime la voix, en tout cas, même si je ne les connais pas forcément à la base. Cette fois ça me paraissait important d'avoir des gens qui faisaient partie de mon entourage proche. Lonny est une amie, j'adore ce qu'elle fait et humainement c'est quelqu'un que j'admire beaucoup. On a la même sensibilité toutes les deux. D'ailleurs, on vient de manger ensemble. Elle vient juste de partir.
Pour en revenir aux duos en fait, je me disais qu’on m'avait toujours proposé de faire des duos avec des gens dont les voix avaient à peu près le même timbre. La voix profonde de Lonny est assez différente mais on se complétait assez facilement, donc, ça me paraissait évident de lui demander. Après, il fallait bien sûr que la chanson lui plaise, c'était hyper important, même si on est amie. Sinon, ça ne sert à rien… Heureusement la chanson lui a plu (rire).
Comme avec Chris Garneau que j'ai rencontré il y a super longtemps. En 2007, à l'époque de Cocoon. Je suis très, très fan de sa voix. Pour moi, c'est l'une des plus belles voix du monde. Depuis tout ce temps, on est devenus amis . Et pour mon premier album, Amazon, je lui avais déjà fait faire un duo. Je réalisais ça un peu comme un rêve.
Je me souviens, à l'époque, on me disait « Vous aimeriez faire un duo avec qui ? » Et à chaque fois, je disais « Chris Garneau ». Je veux chanter avec lui un jour. (rire) Et finalement, ça marche très bien tous les deux. Pareil, pour la chanson Nothing's Real de mon dernier album, il a beaucoup aimé. Et je suis trop contente de ça aussi. Je me dis que c'est de la chance, en plus d'avoir des gens qu’humainement je trouve géniaux. Je suis fan de ce qu'ils font, de leur travail. Je vois vraiment la musique comme un partage. J’ai vraiment envie d'avoir un autre point de vue sur ma musique. Ça apporte vraiment une autre lecture, une autre écoute, une fraîcheur aussi. C'est comme ça que je le ressens, en tout cas.
Au-delà de la musique, tu as aussi tes textes ou tu switche à la fois avec de l’anglais et du français, tout en gardant cette même ligne intime et poétique. Comment trouves- tu ce juste équilibre ?
Quand je compose une chanson en anglais, je fais toujours une espèce de yaourt qui ne ressemble à rien avec quelques mots qui peuvent ressortir. Si ça sonne bien, je compose en fonction de ces mots-là. Mais effectivement, ça à changé, pour cet album, où il y a des chansons qui me venaient directement en français. C'est un travail complètement différent. Mais une fois que j'ai une chanson en anglais j'ai beaucoup de mal à la traduire en français. Je trouve qu'on perd l'émotion de la chanson, ça change tout son message. Avec le français, il y a quelque chose d'assez difficile, surtout dans les sonorités. Mais c'est passionnant. Après, ce qui m'a aidée, c'était toute ma collaboration avec Jean-Louis Murat. Il a été un père musical dans les conseils qu'il a pu me donner et la façon de prononcer les mots en studio aussi. C'était hyper formateur. L'anglais reste une langue beaucoup plus chantante. C'est un vrai instrument.
Avec le français, il y a quelque chose de plus immédiat. Il fallait que j'arrive à faire des choses un peu secrètes, comme me disait Jean-Louis. Il y a des chansons ou je mets une part très secrète de moi, que personne ne saura jamais décrypter, bien évidemment. Mais comment faire pour que chacun puisse s'identifier et ressentir une émotion.
Pourquoi avoir choisi de nommer ton album The Lake ?
J'ai la phobie de l'eau depuis toujours et en même temps elle me fascine.
En composant les chansons de cet album, on s'est fait la réflexion avec Robin que je faisais souvent référence à l'eau, à la mer. Et en fait avec The Lake, je pensais au Lac de Servière en Auvergne, qui est un lac que j’aime beaucoup. C'est un lieu refuge, très sauvage, juste à côté du lac de Guéry. En y réfléchissant, il y a quelques années j'avais un projet de conte musical co-écrits avec Jean-Louis Murat Les Songes de Léo et il n'y a pas longtemps je suis retombé sur le dossier qu'on voulait présenter et qu’on avait appelé The Lake. C'est quelqu'un qui me manque beaucoup, je me demandais comment lui rendre hommage, Je crois qu'inconsciemment, il y a de ça en fait dans cet album. Je trouve ça assez beau.
Ça te permettrait de lier un peu ces deux choses en même temps ?
Oui exactement, parce que je n'ai jamais trop su parler de la peine que j'avais par rapport à lui, chacun gère son deuil comme il peut. Je ne me sentais pas légitime d'en parler. Mais j’y pense très souvent, quasiment tous les jours, donc The Lake finalement, c'était parfait.
Stéphane Perraux
The Lake (Roy Music / Believe) Mai 2024
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