Quand Frédéric Lemaître m’a demandé si je pouvais lui conseiller un fan susceptible de chroniquer le remarquable coffret anthologique des Tétines Noires, connaissant depuis très longtemps l’un des membres du groupe, Le Comte D'Eldorado, je lui ai évidemment proposé mes services. La première fois que j’assiste à une performance des Tétines c’est en 1990 en Avignon, je fini cette soirée déphasé, surexcité, ivre, couvert de plumes de poulet et de sucre fondu collé sur mes cheveux. Le concert en lui-même sera une véritable performance, et à chaque fois que j’aurais l’opportunité de voir jouer Emmanuel Hubaut en live avec l’un de ses projets (Les Tétines Noires, LtNo, Dead Sexy Inc, Pest Modern) ce sera toujours dans cet esprit visuel foldingue, empruntant à la fois au Théâtre de la cruauté d’Antonin Artaud, aux happenings surréalistes, aux délires dadaïstes, aux comptines d’épouvante et à la scène batcave anglaise. Une folie existentielle dissoute à l’acide dans un mix interlope d’images crues, de visuels scéniques abracadabrantesques, de machines et d’instruments d’enfants, de paroles tordues et de sons barrés, exprimés à travers un mur de décibels punk rock arty. A la fois proche visuellement du cabaret décadent des Virgin Prunes, et musicalement de la folie goth maniérée de Christian Death (qui reprendront en 1998 un titre des Tétines Noires Washing head, sous le titre Washing machine sur l'album Pornographic Messiah), les Tétines Noires seront le seul groupe batcave des années 80 à avoir signé sur un label de rock alternatif comme Boucherie Productions. En 1996 le groupe se sépare et Emmanuel 5 aka EHB fondera LtNO, puis Dead Sexy, et Pest Modern. Il prendra le large pour aller vivre à Los Angeles, New York puis Berlin. Au début des années 2000 EHB participe vocalement à mon premier album d’HIV+ (Hypnoise Movement, Divine Comedy records), je ferais ensuite venir LtNo pour une performance unique à une de mes soirées Armageddon au Trolleybus de Marseille. Ils joueront une deuxième fois lors d’une autre performance avec les membres du groupe assis nus dans un décor de salon installé sur le dancefloor. En 2004 nous ferons un concert ensemble à Los Angeles et par la suite nous nous croiserons à de nombreuses reprises dans des soirées et des festivals. En 2018, je croise à nouveau Emmanuel à la soirée hommage à Alan Vega (Suicide) organisée à Paris par Marc Hurtado et l’illustre Alain Lahana. Dans les loges Emmanuel m’annoncera ce soir-là qu’il reforme les Tétines Noires à l’occasion du coffret que veulent sortir les deux labels français Infrastition et Manic Depression. Le groupe culte français se réunira ainsi avec ses musiciens originaux Emmanuel, Entonie, Goliam et Nicolas Barrot (ex- Parallèles De Montségur) pour une tournée conséquente avec en invité spécial, l’artiste Made In Eric, jouant son rôle de support Microphone body Object comme à l’époque de LtNo.
Voyons maintenant ce que nous cache cet objet de culte constitué de quatre CD remasterisés par le fidèle Norscq (ex-The Grief) accompagnés d’un formidable livret illustré par le papa artiste Joël Hubaut, et une version vinyle comptant les titres les plus représentatifs de cette troupe de doux dingues. Reprenant les 3 albums officiels et la première cassette maxi (Crazy Horses EP, 1988 / Fauvisme & Pense Bête, 1990 / Brouette, 1991 / 12 Têtes Mortes, 1995). Le son ample et clair rend grâce à l’œuvre excitante et fêlée des Tétines Noires dont le leg musical a bien vieilli et a parfaitement survécu à trois décennies d’évolutions musicales et de revivals. Toujours aussi taré et pertinent ce coffret des Tétines est un témoignage sans précédent de ce qu’Emmanuel et ses musiciens ont pu accomplir depuis leur commencement à l’âge de 13 ans à l’orée des eighties. Ceux qui connaissent Emmanuel savent qu’il est adorable, mystérieux et éternellement jeune, au point qu’on se demande s’il n’a pas lui aussi vendu son âme au même diable qui transforma Robert Johnson en un virtuose du blues et de la guitare. L’œuvre n’est pas facile à appréhender, la maladie mentale est une constante dans chaque titre des Tétines, et malgré le tube Tête, fard et lombric dont l’excellent clip fera le bonheur des insomniaques sur M6 au milieu des années 90. Cinglant, industriel, punk, batcave, dada, tout est là ! Des murmures, des cris, des lignes de basse caverneuses, des guitares saignantes et contondantes qui se tourneront vers le son de NIN ou Skinny Puppy avec la production par Amadou Sall de leur meilleur album à mon sens, le stupéfiant 12 Têtes Mortes dont la pochette réuni 12 créations graphiques d’artistes aussi reconnus que Joël Hubaut, Ben, Orlan, Fabrice Hybert, Daniel Spoerri ou John Giorno. Mais la meilleure façon de redécouvrir l’univers étrange du groupe c’est de vous procurer ce fantastique coffret Anthomologies.
Pedro Peñas Y Robles
LES TÉTINES NOIRES
Anthomologies (1981-1997)
(Infrastition & Manic Depression Records) // 2020. https://manicdepressionrecords.bandcamp.com/album/anthomologies-1981-1997 Pour télécharger gratuitement les archives visuelles du groupe :
www.anthomologies.org
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