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©YANN ORHAN
AFFÛTÉ, par Stéphane Perraux
Si les géants ont déposé les armes il y a bien longtemps, certains ont apparemment tenu à garder un lien intime avec eux, notamment par la musique. En inventant, autour d'une mythologie transversale et en entretenant un goût immodéré pour la beauté fragile, Helmut (leader et chanteur) et sa tribu « La Maison Tellier », font leur retour avec un 7eme opus au nom évocateur d'Atlas.
Fait de secrets à demi révélés et de faces pudiquement cachés, ils apparaissent ici sous un nouveau jour aux mélodies toujours aussi affûtées, qui prolonge leur parcours passionné. Résolument folk rock, en nous plongeant dans un univers singulier, sobre, teinté d'une douce mélancolie, si cet état d'âme musical annonce un album sous le signe d’un certain désenchantement, celui-ci va s’exprimer de bien des manières. Colosse aux pieds d'argile Atlas pose un regard intrigué sur les blessures béantes du monde et sur une candeur infatigablement amoureuse de vitalité. L'ambiance, globalement introspective, reste cependant un savoureux mélange de chansons aux sonorités vibrantes et pour qu'elles vous emportent dans une danse étourdissante, il n’y a qu’un pas que nous franchissons volontiers. LMT, sonnant et trébuchant telle l’œuvre d’un chamane ivre d'un cœur trop plein de vins saturniens, tour à tour chaque titre fait la part belle à une poésie bien à eux, alliant subtilement le côté "chanson réaliste" aux variations allégrement surréalistes, le tout entrecoupé de rêverie onirique, pour mieux exorciser nos démons en musique. Bas les masques. Helmut, quelques heures avant la première date de la tournée (dans le cadre du Festival Mythos, organisé par Le Pôle Sud à Chatres-de-Bretagne) nous a accordé une entrevue pour justement lever le masque sur Atlas.
Depuis Primitifs Modernes et plus fortement avec Atlas, j’ai le sentiment que vous avez un attachement au symbolisme et à la mythologie. Est-ce une démarche volontaire ?
Rarement, dans la démarche créative, il y a une volonté au départ. C’est comme un puzzle qui se fait au fur et à mesure. Des choses se dessinent. J’aime bien voir un album comme une espèce de jeu de piste, qui n’est pas un point A qui nous amène à un point B, où on sait déjà où est l'arrivé. Non. C’est chacun fait son voyage dans cette espèce de labyrinthe. J’aime cette idée-là. Et la mythologie, c’est un réservoir inépuisable d’idées, de créations. En fait, que ça soit la mythologie chrétienne ou la mythologie grecque, j’ai souvent fait des allusions au Nouveau Testament, à l'Iliade, à l'Odyssée Homère avec toutes ces histoires-là. Quand on les balance sur des cerveaux de mômes c’est très impressionnant, ça marquent l’imaginaire. Et je me rends compte que ce sont des choses qui me touchent et qui ressortent presque spontanément au moment de concevoir les albums, d’écrire les paroles des chansons.
Pour toi, c’est un peu une source d’inspiration inépuisable. Mais est-ce que tu y retrouves aussi une forme écho avec la temporalité que l’on peut vivre maintenant ?
J’ai l’impression qu’on essaye d’écrire notre propre temporalité… Ca m’intéresse qu’on écrive nous-mêmes notre propre mythologie en tant que groupe. En tant qu’être humain, c’est ma manière de raconter ce que c’est que ce passage sur terre, en fait, comment je le ressens. D’où l’idée aussi de folklore, l’importance pour moi d’être en train de fabriquer notre folklore à nous. Et puis, on est forcément imbibés de l’époque dans laquelle on vit. En ce moment, elle prend beaucoup de place, c’est-à-dire que c’est dur de rester imperméable, au monde et à ce qu'il peut nous faire porter sur les épaules. Donc, oui, nécessairement, c’est des chansons qui sont en lien avec notre époque. Mais j’aime bien essayer de faire en sorte que, justement, il y a un état supplémentaire qui rende le truc un peu plus intemporel et qui fasse que certaines chansons sont tout aussi pertinentes humainement et individuellement dans 10 ans, dans 20 ans, plus tard.
A l'écoute d' Atlas j'ai le sentiment qu'il y a une souhait de mettre en perspective de la beauté du monde, dans quelque chose de peut-être plus humaniste que ce que vous avez abordé sur vos précédents albums. Est-ce un besoin de catharsis qui vous a amenés là?
En fait, la marche du monde, elle accompagne mon mouvement à moi et notre mouvement à nous en tant que groupe, c’est-à-dire notre évolution d’humains et de musiciens, et qu’en fait, cette quête de la beauté et cette volonté de trouver la joie, elle a été accélérée par les deux années qu’on vient de vivre. On est obligés de mettre les bouchées doubles, pour que ça existe, justement à cause au du poids du monde qui est tellement lourd…
Mais aussi, en vieillissant tout simplement, personnellement, individuellement, il y a un peu de ça. On fait le choix, soit on s’allège, soit on s’alourdit. En tout cas, il faut se muscler pour tenir le choc. Donc ça participe un peu de ce mouvement-là, le fait de se dire : " Oui, on a une musique mélancolique mais, en même temps, allume les infos et explique-moi comment tu fais pour être dans la joie absolue du matin au soir ? " Ça veut dire que tu es un psychopathe, en fait, si c’est ça, c’est que tu n’es pas foutu de te dire qu’il y a autour de soi des choses qui… Et donc, faisant en sorte qu’au moins à l’intérieur de nous, ça soit joyeux et paisible et ensoleillé, et qu’on fabrique un territoire dans lequel on a envie de rester parce qu’on y est bien, c’est ça aussi. Encore une fois, ce n’est pas réfléchi, mais je pense qu’il y a ça dans la démarche de faire un disque. Alors que faire un disque maintenant, il faut s’accrocher, il faut vraiment vouloir. C’est un parcours long, c’est sinueux, c’est compliqué. Je le fais parce que je ne sais pas faire autres choses et que j’en ai besoin pour vivre. Mais il y a quand même aussi quasiment un côté action désintéressée et action gratuite, littéralement gratuite puisque maintenant les gens vont écouter notre musique sans avoir à nous acheter les disques. Par contre, il y a moyen de se connecter avec des gens et de se dire des choses cool.
Donc si je comprends bien tout ce que tu me dis, il y a aussi une sorte de volonté de devenir son propre héros, de pouvoir se muscler soi-même pour acquérir sa vie ?
Oui, c’est très dans l’ère du temps. Mais, c’est plus le fait d’être conscient de ce qui se passe à l’intérieur de moi quand je crée, quand j’éprouve ce besoin-là de créer quelque chose. C’est mon septième album, mon neuvième si je compte Animal Triste. On a fait je ne sais pas combien de créas différentes. Donc je sais que la création est nécessaire, c’était tout l’objet de notre spectacle 1.8.8.1 qu’on a fait en duo avec Raoul. La création est indispensable dans le monde mais, en tout cas, dans le mien. Et donc, je commence maintenant à avoir plus conscience des processus à l’œuvre, quand je repars sur un nouvel album, qu’il faut écrire des chansons, une vingtaine, une trentaine pour en garder une dizaine à la fin, et que tu dois aller creuser, il faut bien trouver des trucs à dire. Donc au bout d’un moment, le rapport au monde, c’est une source inépuisable de créations, de fait. Moi je ne sais pas trop faire des chansons à la Thomas Fersen ou à la Renan Luce qui sont des tranches de vie, des histoires complètement imaginaires. Donc oui, développement personnel, ça peut être un baromètre de mes états intérieurs, je pense. En fait, je l’ai remarqué que plus on va aller sur de l’individuel, plus ça prend une portée universelle paradoxalement. Et donc, ça c’est mystique aussi, en gros, entre le côté micro et macro, ça fait une espèce de correspondance, une universalité dans ce truc si spécifique à l’expérience de chaque humain.
Et Là, vous utilisez en plus une imagerie forte puisque vous avez mis en avant le masque dans votre nouvelle iconographie. Sont-ils la représentation de votre nouveau totem, votre folklore ?
Ouais, j’imagine que ça tourne toujours autour du même truc. Sauf que là, la horde, c’est vraiment la structure première au-delà de l’individu. Et là, j’ai l’impression qu’on est dans un truc plus vaste, c’est-à-dire qu’on va devenir peut-être un village, une vraie tribu. Et une tribu, elle doit avoir son folklore, elle doit avoir ses rituels et ses peintures de guerre. Mais encore une fois, les choses se sont faites par hasard. Il y a surtout Yann Orhan derrière, qui en est a l'initiative. Nous lui avons donnés quelques indications et il est arrivé assez vite avec cette idée des masques qui reprenaient les lettres d’Atlas. Atlas qui est un mot de cinq lettres, et nous sommes comme tu le sais cinq dans La Maison Tellier. C’est donc un hasard qui n'en est pas un (rire)…
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©YANN ORHAN
Notamment dans Kim Jong X il y a ce thème avec une dimension un peu revendicative que vous pouvez avoir. Il y a comme une sorte d’engagement, pas dans le sens de l'appel à la révolte, mais plutôt dans un appel à l’apaisement, et dire «on va se calmer, réfléchir, et puis on avance ensemble ».
Ouais, je pense que c’est plus positif de voir les choses comme ça. Parfois, la confrontation est nécessaire et le conflit inévitable. Mais je ne me suis pas posé cette question-là. En revanche, je comprends ce que tu dis, c’est-à-dire qu’il y a un truc d’engagement avec trois degrés de séparation. Je me dis que le combat commence, de fait, on est dedans. Et puis, je me contente juste d’insinuer que la victoire est possible. Quitte à ne pas savoir, autant mettre son énergie dans le truc. L’action, c’est un très bon remède à l’angoisse. Donc je considère que ce qu’on fait là, le fait de faire de la musique et d’avoir la chance de pouvoir la jouer, c’est un remède à nos angoisses à nous dans le groupe. Déjà, aux miennes, c’est bien suffisant. Et puis, oui, dans Kim Jong X, je suis intimement convaincu que pour gagner ce combat, il faut renoncer à vaincre. C’est ma conclusion d’homme de tant d’années, conclusion provisoire qui va sûrement évoluer en même temps que moi. Mais pour le moment, c’est là que j’en suis.
Tu parlais à l’instant de la notion aussi de création, question un peu inévitable, la covid, est-ce que ça a chamboulé justement votre façon d’organiser la création entre vous avec une sorte de distanciation obligatoire ?
Non. Ça, on l’avait de toute façon puisque Raoul, avec qui je co-compose, n’habite pas au même endroit que moi. Donc c’est déjà ce qui se passe depuis pas mal de temps. On a eu plus de temps pour faire de la musique, plus de temps pour nourrir la bête comme dit Miossec, donc bouquiner, regarder des films, écouter de la musique, plutôt retourner sur les classiques parce qu’il n’y avait pas tant de nouveautés qui sortaient pendant cette période-là. C’est bien des trucs spécifiques. Nous, les intermittents, on a été pris en charge. Donc il n’y avait déjà pas ce souci-là. Oui, ça fait chier de ne pas pouvoir faire les concerts, d’avoir annulé la fin de la tournée Primitifs Modernes, mais c’est pour mieux reprendre maintenant. De toute façon, c’est comme ça.
Une question qui touche un petit peu tes deux projets. Cette volonté aussi d’aller vers Animal Triste avec quelque chose de plus instinctif, là aussi, on y retrouve une certaine forme de codification similaire. Est-ce que c’était aussi une façon de respirer un peu, et puis se dire « On va reprendre quelque chose de plus live, plus instinctif », et puis pour repartir sur quelque chose de plus réfléchi ?
Oui. La tête et les jambes, ça me va bien. Ce n’est pas réfléchi du tout, c’est assez circonstanciel. Animal Triste, ça a démarré de manière sensiblement identique à La Maison de Tellier, c’est des rencontres de mecs, des rencontres ou des retrouvailles, et puis on se dit « ouais, en fait, ça marche bien », et puis une chose en amène une autre. Et à l’arrivée, c’est deux véhicules différents d’une même envie pour moi de… je ne sais pas. Ça me fait du bien de chanter, de chanter en anglais. On ne pourrait pas faire ce qu’on fait dans l’un avec l’autre, ça ne marcherait pas.
De la même manière que le spectacle à 1.8.8.1, c’était important pour moi parce que c’était posé, assis, très cérébral, pour le coup. Et j’adore ça, juste pouvoir envisager les deux.
Et justement, le fait de retourner tous les deux sur scène l’année dernière, est-ce que ce n’était pas une certaine forme de retour aux sources ?
Ouais. En fait, tout est dans la façon de te raconter ton histoire.Tu peux le voir comme des cycles. Mais c’était complètement la démarche. Et encore une fois, ça parle d’un truc très, très pragmatique, c’est que j’en avais marre d’avoir des périodes de presque deux ans, un an et demi, deux ans sans rien. Entre la fin d’une tournée et l’album suivant, ce temps, il faut en faire quelque chose, on n’a pas une réserve inépuisable. Et donc, il fallait monter un spectacle. Et puis, encore une fois, c’est une manière d’écrire notre propre mythologie en faisant ça parce que si on ne le fait pas, une autre personne va le faire, de toute façon. Donc au moins, ça fait un témoignage de ce que c’était que d’être à La Maison Tellier.
En 2019, vous chantiez Fin de race, et là aujourd’hui, c’est Tout l’univers. C’est quoi ? La vision, c’est l’optimisme avant tout ?
Ce n’est pas réfléchi, je n’avais pas fait le lien entre les deux chansons. Ou du moins pas consciemment. C’est pareil, c’est des cycles, il y a des moments où c’est le même air que tu respires mais il te parait plus parfumé tout simplement.
Et puis, Primitifs Modernes, même dans la musique, il y a un côté un peu en colère, pas revendicatif, pour le coup, mais du dépit. C’était très tourné vers le passé, vers l’adolescence. Là, celui-là, Atlas, c’est quelque chose de plus ancré comme ça, je trouve. Et le spectacle de ce soir qu’on va démarrer, on le ressent aussi. Primitifs Modernes, la tournée c’était là on pouvait aller le plus en termes de truc punchy. Et même si on fait mieux avec Animal Triste, en fait, ce truc de faire du rock, La Maison Tellier ce n’est pas un truc de rock, mais moi j’avais des fantasmes comme ça, j’avais envie d’une tournée où j’avais une guitare électrique. Et en vrai, ce n’est pas là où on est le plus à l’aise, le plus dans nos chaussures. Donc il y a ce côté-là, et c’est ce qu’on a essayé de rendre sur scène, d’avoir quelque chose de chaleureux, de cosy, parce qu’on a pris l’habitude sur la tournée en duo d’avoir une petite bulle comme ça, où pendant une heure et demie on emmène les gens avec nous dans un lieu qu’on pense être vraiment, vraiment cool. C’est même ça l’idée, c’est comme ça que je vois les choses.
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- ATLAS - (Verycords) 04/03/2022
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