Palem Candillier, ex-leader de So Was The Sun, chanteur des Reines du Baal et aussi écrivain, incarne un nouvel avatar musical : L’Ambulancier ! Tous les soirs, sauveteur solitaire, anti héros de l'ordinaire, au volant de son ambulance customisée, gyrophares et sirènes hurlantes, Palem sillonne les méandres malfamés d'une ville imaginaire nommée French Manhattan, en affrontant ses angoisses, hanté par tous ses rêves d'ado qu'il n'a pas encore réalisés, ses amours à sens unique, ses crash tests, ses pannes de karmas vers l'IOWA, ses sauvetages chaotiques. Un univers mélangeant ambiance comics book, film à suspens horrifique à la John Carpenter ou à la Scorsese, sonorité catchy, guitares no-wave, beats rétros et synthés krautrock. Tambour battant et à tombeau ouvert, à travers les refrains entêtants des dix titres de French Manhattan, le 1er album de L’Ambulancier, réalisé par Hugo Cechosz (Eiffel, Bernard Lavilliers, Gurl), Palem nous parle de son aventure intérieure en nous invitant à le rejoindre dans cette chevauchée pop-rock fantasmagorique.
Comment présenterais-tu ton identité musicale en quelques mots ?
Je compose la musique qu’écoute John Carpenter dans son autoradio quand il part en vacances à Bagnolet : du rock synthétique, avec un chant en français. En fait, je fais comme si les Etats-Unis parlaient la langue de Catherine Ringer : des riffs de Seattle avec des sons eighties et des textes influencés par Souchon et les Rita Mistouko.
Tu as choisi un nom étrange, pourquoi ?
Parce que j’arrive après « Cascadeur » ! Plus sérieusement, au moment où j’ai commencé ce projet, j’ai trouvé dans une friperie la chemise bleue d’ambulancier que je porte sur les photos et sur scène. C’est une chemise US authentique des 70s et ça m’a tout de suite évoqué l’univers des thrillers qui se déroulent la nuit à New York et les films catastrophe où on voit ces figures d’urgentistes en arrière-plan. Et puis c’est arrivé plus ou moins au moment du Covid aussi, donc la question médicale revenait au premier plan. Pendant des mois, je n’ai pas arrêté de recevoir des signes qui me disaient d’endosser ce costume, plutôt que de signer les chansons sous mon nom. Aujourd’hui, j’ai développé tout un univers qui est plutôt bien condensé dans mon album.
" Une fois, j'ai ramené un barman à la vie sur son bar, au son d'une musique irlandaise. Les habitués s'étaient écartés, mais personne n'avait cessé de boire ". C'est un texte extrait du 1er roman de Joe Connelly "Ressusciter les morts" (adapté au cinéma par Martin Scorsese) J'y vois une certaine analogie à tes textes dans l'urgence et la désillusion que tu exprimes. Qu'en penses-tu ?
J’aime beaucoup Scorsese et c’est vrai que cette ligne de Connelly me ressemble beaucoup. Ca serait encore mieux si c’était la toute première phrase du roman, parce que je vois ce que j’écris comme ça : une entrée en la matière directe, brutale, à la fois dramatique et drôle, peut-être fataliste sur certains aspects de la nature humaine mais toujours avec un recul de narrateur. J’aime aller directement au sujet, même dans une chanson comme « La Ligne de Partage », qui parle justement d’éviter d’aborder un sujet. Mais le grand problème dans tout ça, c’est que je suis un optimiste forcené. Ça ne se ressent peut-être pas encore bien mais j’aimerais le communiquer davantage.
Tu es par ailleurs toi-même écrivain, avec à ton actif un livre sur Les Beatles et sur Nirvana. Ces deux groupes sont-ils des influences majeures dans ta culture musicale ?
Complètement, on peut même dire que c’est ma famille musicale. Et comme avec toute famille, parfois on y retourne pour interroger ses origines, se demander d’où ça vient tout ça, et parfois on s’en éloigne presque violemment parce qu’on s’est trouvé une autre tribu. Ça a été le cas par exemple avec Sonic Youth, qui a déclenché un vrai truc chez moi d’aller chercher l’électricité, de casser des codes, d’accepter de me faire secouer sans pour autant lâcher l’envie de créer des mélodies fortes. Les Beatles et Nirvana sont toujours des pôles et des références dans ma façon d’écrire des chansons. Après je pense faire une musique plutôt lointaine d’eux, encore que Paul McCartney ait tenté des choses electro dans son album McCartney II ou avec Youth dans leur duo The Fireman. Aujourd’hui je citerais surtout Carpenter Brut, Gilla Band, La Féline, The Guru Guru, Zaho de Sagazan, Neu ! et Can…
Ton 1er album sortira est sorti le 22 novembre et j’ai vu qu’il avait été réalisé avec Hugo Cechosz. Peux-tu nous en dire plus sur votre collaboration ?
Hugo a été le réalisateur parfait pour French Manhattan, il a vraiment eu un regard de directeur artistique, en plus d’être ingé son et de se charger du mix des dix chansons. Il a eu assez vite une vision d’ensemble de cet album. Le défi de départ de faire sonner des guitares avec des boîtes à rythmes n’était pas si évident et il s’est battu pour que tout s’articule. Il m’a fait aller au bout de mes idées et il m’a permis de clarifier pas mal de choses qui étaient encore juste des intuitions pour moi. Je pense par exemple à la place des guitares dans ma musique. On a passé trois jours en tête à tête aux Studios La Kapsule uniquement pour ces parties-là, on a réfléchi à toutes nos options d’amplis et d’effets pour les rendre dynamiques, teigneuses et en même temps les désaturer, les dé-rockiser. Il m’a fait jouer de façon aussi robotique que possible. Résultat : elles sont moins omniprésentes, mais elles ont leur rôle dans chaque titre. Un très bon réalisateur c’est comme le prisme de Dark Side Of The Moon : tu arrives avec ta création, un petit rayon de lumière pur et très concentré, mais un peu malingre, et quand cette personne arrive, tes chansons révèlent leurs couleurs et leurs nuances en passant à travers son regard et ses compétences.
Qui sont les autres compagnons de L'Ambulancier ?
J’ai avec moi des brancardiers et brancardières pour jouer ces morceaux sur scène : Wilson Raych, Baptiste Rigaud, Joy Buckley et Emile Cooper Le Play. Ils et elles ne sont pas tous là en même temps, parfois il faut adapter le set en duo, parfois on peut se lâcher en groupe complet, ça dépend des contraintes de chaque date. Mais j’ai de la chance de les avoir dans l’ambulance avec moi. Chacun et chacune a des projets de qualité à côté (La Zoy, LIQR, Pink Noise Party, Komodo Salé). Autrement je travaille de longue date avec Yann Landry, mon manager aux précieux avis, pour mener cette barque. Alice Nicolas nous a rejoints cette année pour les médias et il y a d’autres collaborateurs plus ponctuels mais importants dans cette histoire, comme Hugo ou le graphiste Olivier Laude, à qui je dois le superbe visuel de l’album.
Après tes autres aventures musicales So Was The Sun et Reines du Baal, tu marques là une nouvelle étape importante dans ta carrière. J'ai l'impression que tu fais évoluer ton univers dans une direction encore plus poussée et assumée ?
Merci ! Toutes ces expériences m’ont donné envie d’affirmer mes envies et d’être plus clair avec moi-même, quitte à être radical et à assumer de ne pas s’adresser à tout le monde. So Was The Sun était un laboratoire très fatigant mais important pour ça. J’y ai beaucoup oscillé entre noise, stoner et pop sans savoir sur quel pied danser ni par où s’adresser à un public. Ça a duré dix ans. J’ai compris qu’il fallait que je me défausse d’idées toutes faites et que je reste moi-même, et surtout qu’il n’y a pas de complexe à nourrir quand on a beaucoup de facettes musicales. Le fait que mon projet principal soit aujourd’hui le « mien », et non une unité créative comme un groupe, en dit long. J’aime que dans ce disque on ait une phase un peu blues, une autre plus pop, et puis tout d’un coup de l’auto-tune et un final electro-punk. Avec Les Reines du Baal, avec qui je fais trois à quatre prestas par mois, j’ai mis un pied dans le monde des reprises et de l’animation musicale et ça m’a mené à travailler ma voix et mon jeu de scène. Là aussi, on forme une super équipe d’interprètes et on grandit ensemble, alors qu’à 19 ans j’avais beaucoup de désintérêt pour les cover-band. Tous mes projets, antérieurs ou actuels, m’apprennent quelque chose.
En écoutant ta musique, on ressent une réelle recherche de connexion avec l'Autre. Peux-tu nous parler de ce que représente cette démarche pour toi ?
Merci de le remarquer, c’est vrai que c’est un sujet important pour moi. Je discutais des textes récemment avec une amie et je me suis rendu compte que l’album parlait aussi beaucoup de « ma » place dans le monde, et quelque part c’est en lien avec la connexion qu’on essaie d’établir avec autrui. Toutes mes chansons posent d’une façon ou d’une autre la même question : " Je suis où, je suis quoi dans tout ça ? " Je pense qu’on partage largement ce sentiment d’avoir du mal à se situer. Il faut exister çà et là en public et en privé, il faut avoir une vitrine numérique de soi et il faut même avoir forcément un avis sur tout. Je revendique totalement le fait d’être perdu, de ne pas savoir et d’interroger ces injonctions. Quand on est artiste, c’est même pire à certains niveaux, et ça brouille le rapport avec l’Autre. Un jour tu es un grand créatif, le lendemain tu dois faire ta pub en suivant la dernière « trend » en date sur les réseaux. C’est une angoisse d’être déconnecté des gens, qui se sent dans mes textes. Il y a aussi quelques histoires sentimentales malheureuses que j’exorcise dans ce disque. La rupture, c’est le mode le plus brutal de déconnexion entre deux personnes et aussi avec soi-même. Le remède que j’ai trouvé pour le moment, c’est de nouer un contact plus direct avec ceux et celles qui me suivent, et ma dernière campagne Ulule pour aider à financer l’album a été déterminante. J’ai appris à mieux connaître mon public, j’ai développé un système de cartes postales pour avoir un lien plus privilégié avec chacune et chacun, je me suis fait mon petit monde, en somme, et je pense que je suis plus heureux comme ça qu’en dialoguant avec un public anonyme et lointain.
Tu signes cet opus avec le soutien du label indépendant Tadam Records. Qu'est ce que ça représente pour toi d'avoir un label comme celui-là à tes côtés ?
C’est un label associatif qu’on a monté avec Yann, et qui trouve petit à petit sa marque de fabrique après plusieurs essais d’en faire une plaque tournante d’émergence. On a finalement gardé le plus important de tout ça : créer un espace de conseil et de développement pour les projets musicaux, en comité plus réduit mais ouvert et inclusif. Il y a par exemple la chanteuse Lucie Folch qui, en plus d’être une artiste du label, communique beaucoup autour du statut de " créatif " et propose de réfléchir à nos parcours dans le monde indépendant et aux moyens de l’améliorer. Donc pour moi l’intérêt principal est dans le fait d’être dans un collectif qui véhicule des valeurs paritaires et écologiquement conscientes et qui remet en question ce drôle de système dans lequel on est embarqués.
Stephane Perraux
French Manhattan (Tadam Records) 22 novembre 2024
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