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KAS PRODUCT // Reloaded

Dernière mise à jour : 26 avr.


©Emmanuelle Margarita
©Emmanuelle Margarita

Kas Product est relancé. Reloaded, le nouvel album studio, est paru le 11 avril 2025 et sa release party a lieu le 26 avril à l’Ubu, à Rennes. Reloaded : une concoction organique et de sons de synthèse, signée par Mona Soyoc et ses deux nouveaux compères, Thomas Bouetel (machines, membre de Monty Picon) et Pierre Corneau (basse, ex-Marc Seberg / Sonic / Les Nus). Après le deuil et la défense de l’héritage laissé par le binôme que formaient Mona et feu Spatsz (la compilation Tribute et les dates live mémorielles), Reloaded s’avère bien plus que le titre d’un disque. Le futur s’ouvre. Entretien vérité(s).


Lors de l’émission Côté Club diffusée sur France Inter le 14 avril 2025, tu parles d’« urgence » à propos de ce moment où tu lances à Pierre Corneau et Thomas Bouetel cette idée de faire de Kas Product un nouveau groupe… avec eux ! Les mots de cette proposition jaillissent dans le feu d’une action partagée, ou sont-ils quelque chose que tu as réfléchi, mûri avant de lâcher les chiens ?

Non, c’est de l’ordre du spontané. Une parole issue d’un désir profond, une joie, quelque chose qui me semble alors pouvoir devenir une superbe aventure.


Quelle place occupe l’instinct dans ta vie d’artiste ? Te qualifierais-tu d’instinctive ?

Oui, je le suis. La place de l’instinct est énorme dans mon parcours : j’essaie de ne pas trop me raccrocher à la rationalité, je me fie à mon ressenti et, en l’occurrence, la perspective d’un album commun n’était qu’excitation et joie.


Comment te regardent les garçons au moment où tu leur dis ça ? Quelle est leur réaction ?

Ils en avaient envie aussi mais je crois qu’ils étaient dubitatifs sur le mode opératoire. J’étais moi-même occupée, je travaillais sur le film Les Reines Du Drame et ils ont voulu prendre de l’avance. Ils ont préparé deux titres, enfin, des bases. C’était drôle… Je n’ai pas vraiment voulu les écouter de mon côté et Thomas m’a dit : « OK, on va les écouter ensemble. » Et là, il lance le son, 5 secondes, et je leur dis tout de suite : « On va enregistrer les voix ! » Ça les a surpris tous les deux (rire). Instinct, spontanéité, j’aime travailler comme ça… Et puis j’écris beaucoup en parallèle, j’accumule, les choses m’habitent. Tu peux voir ça un peu comme… je ne sais pas, une magie, une sorcellerie, comment dire ça (rire) ? La musique me prend comme un instrument, et je dois raconter une histoire.


Ces deux premières ébauches ont fini sur l’album ?

Oui. Nous en avions de nombreuses et en avons gardé onze.


Vous en aviez vingt-cinq, en tout. Cela veut-il dire ou non que les vingt-cinq sont finalisées ?

Non, la plupart des autres que les onze formant Reloaded ne le sont pas. Il y avait un facteur temps, un facteur inspiration aussi, favorable à certains titres plus qu’à d’autres.


Du temps de ta coopération avec Spatsz comme aujourd’hui avec Pierre et Thomas, lorsque des ébauches restent sur une étagère, forment-elles un réservoir à idées pour plus tard ou est-ce plutôt de l’ordre de l’abandon pur et simple ?

Certains morceaux peuvent prendre plusieurs années avant que nous ayons le recul et sentions ce que nous pourrions en faire. Il y a blocage sur la forme et sans qu’on puisse vraiment l’expliquer, un jour le blocage disparaît. C’est assez étonnant. En tout cas, nous ne nous interdisons pas de revenir vers ces choses. Thomas parle souvent de « l’idée martyre » : une forme de base, une voix par exemple, autour de laquelle toute la matière va se transformer, se réarranger. Cette voix, ou cette matière autour elle-même, ou vice-versa.


Le Kas Product d’aujourd’hui s’ouvre aux sources organiques mais si ce phénomène prend forme aujourd’hui, la tendance ne date pas d’hier dans l’histoire du groupe. Vous aviez pu tenter de le faire avec Spatsz par le passé, tu as toi-même pu conter l’histoire de ce saxophoniste héroïnomane qui ne venait pas toujours aux répétitions… Du temps de ton binôme avec Spatsz, cette aspiration à l’organique était-elle verbalisée ?

C’était un désir, oui, mais les difficultés étaient multiples : pour réaliser cela il faut trouver les gens, le temps, l’endroit. Cela demande un investissement personnel et nous n’avions pas nécessairement les moyens. Thomas et Pierre, eux, ont donné beaucoup d’eux pour réaliser ce rêve de fabriquer un album ensemble.


Les circonstances de ta rencontre avec Thomas Bouetel me demeurent obscures.

Thomas est le fondateur d’IDO Spectacles (NDLR : structure mère de projets autour de Kas Product), qu’il avait montée pour son propre groupe Monty Picon. J’ai beaucoup aimé la personne et je savais Thomas banjoïste, mais j’ignorais totalement ses compétences d’informaticien. C’est quelqu’un qui va très vite en ce domaine et il a eu accès à un ancien ordinateur de Spatsz, ce qui lui a permis de comprendre son fonctionnement créatif. Ensemble, nous y avons recherché des sons… Un moment chronophage. Ce temps partagé a consolidé le lien. Un jour, nous testions le son dans une salle et un jeune était là qui pouvait jouer de la basse…. et là, je me suis dit : « Quand même, ce serait génial d’avoir un bassiste... » La rencontre avec Pierre a fait le reste.


Thomas parle de « retro-engineering » à propos de son exploration de l’ordinateur de Spatsz, processus au cours duquel se dévoile à lui une somme, un héritage. Les sons que vous avez utilisés pour faire renaître Kas Product sur scène ont-ils tous dû être refabriqués ?

Oui. Quelques-uns, rares, ont été samplés mais nous en avons refabriqué beaucoup (NDLR : Mona fait allusion ici à la disparition des sources originelles suite au cambriolage de la demeure de Spatsz suite auquel l’ensemble de ses ordinateurs a « disparu »). Nous n’étions pas obligés de refaire tout à l’identique, d’ailleurs Pierre n’a pas voulu coller nécessairement sa basse aux parties programmées anciennement par Spatsz. Je l’ai personnellement encouragé en ce sens.


Refabriquer, c’est s’approprier et, de facto, assumer un héritage…

Oui. Ça a sédimenté des choses entre nous et pour moi, c’était une expérience jubilatoire : je pouvais revivre ces choses et donner un second souffle à Kas Product, une autre vie, quand bien même je réinterprète aujourd’hui des titres comme Never come back : je ne les chante plus de la même façon, je change les mélodies, les paroles même parfois (rire). Ça m’a complètement libérée, je me permets plus de choses. C’est une richesse supplémentaire pour Kas Product, qui avait déjà la sienne en propre.


©Emmanuelle Margarita
©Emmanuelle Margarita

L’étape de la refabrication des anciens morceaux, qui a impliqué de réinvestir le passé par une dissection de sa matière propre, prend j’imagine une certaine énergie. Avec le recul aujourd’hui, penses-tu que ce processus t’ait, par effet boomerang peut-être, éloignée de la perspective de revisiter et finaliser les nouveaux morceaux créés avec Spatsz après votre comeback de 2012 ?

Oui, c’était en effet important pour moi d’enchaîner avec autre chose, de faire du neuf. Cette étape m’a donné à faire un deuil puis à repartir – et puis il y avait un désir chez les garçons de faire quelque chose de nouveau, de trouver légitimité dans le fait de composer ensemble, hors de toute nostalgie ou quoi que ce soit de ce genre. Et pour moi, c’était vraiment super de ne pas avoir à chercher à contrôler, imposer, diriger ou je ne sais quoi. Dans l’ensemble, je n’ai pas eu besoin de faire ça.


Le fait est que votre trio apparaît comme un groupe : dans son processus de travail, dans votre prise de parole. Aujourd’hui nous nous parlons certes toi et moi, mais tu n’es pas toujours seule en interview, et loin de là…

Cette dimension « groupe » est importante pour moi car je sens épaulée, accompagnée. Thomas et Pierre ont un talent fou et j’ai beaucoup de chance de les avoir trouvés et d’éprouver cette joie, renouvelée, à chaque fois. Franchement.


Ces dernières années, après la disparition de Spatsz, il se trouve que tu as créé de la chimie, plusieurs fois, avec d’autres musiciens : aujourd’hui avec Pierre et Thomas, hier avec Olivier Mellano… Cette chimie jalonne ton parcours. Penses-tu que ton expérience personnelle s’accompagne d’une ouverture plus grande et d’une soif susceptibles d’expliquer, en partie, cette récurrence du phénomène ?

Oui oui, je pense que c’est vraiment, quelque part (hésitation)... disons que je me suis autorisée à réaliser des choses que j’avais envie de faire, et que je n’osais peut-être pas auparavant.


Pourquoi ne t’autorisais-tu pas ces choses ?

Je ne sais pas exactement. Avec Olivier Mellano, il était question qu’il joue avec nous sur un projet. Après la mort de Spatsz, c’est moi qui suis allée vers lui, qui ai insisté pour que nous fassions quelque chose. Cette étape m’a permis de relever mon premier défi et d’aller de l’avant.


Olivier Mellano aurait joué avec Kas Product, c’est ce que tu veux dire ?

Oui, il aurait joué sur des morceaux que nous avions composés.


As-tu de ses nouvelles ? Restez-vous en contact ?

Oui. Olivier m’a proposé un projet spécial sur la musique de David Lynch dans un cadre théâtre national, avec deux autres chanteurs. Nous interpréterons ensemble une série de compositions sur scène (NDLR : L’évènement est programmé pour le 17 février 2026, au TNB, pour le festival de cinéma Travelling à Rennes).


« Irrévérence », par le passé, est un terme revenu dans ta bouche à diverses reprises. Quelle place occupe-t-il dans ce que tu fais aujourd’hui ?

(Petit rire) « Irrévérence », reste pour moi l’idée que nous ne sommes pas obligés de répondre aux attentes ou d’obéir aux diktats de la société. Le rôle de l’artiste, en plus d’éveiller ou d’amener du bonheur ou de l’élévation, reste de casser les codes, les règles, de montrer des chemins différents, des possibilités.


Cette idée se traduit-elle dans ton approche de la guitare ? Quelle guitariste vois-tu en toi aujourd’hui ?

(Elle rit encore) Je ne me décris pas comme guitariste justement, mais les garçons m’encouragent à jouer davantage. Le chant est plus mon terrain de jeu naturel, j’ai juste appris la guitare pour m’accompagner à la base. Je progresse, mais j’ai encore du travail (rire). Cela dit avec la guitare, je cherche aussi à produire des choses qui expriment une différence.


En 1987, dans Les Enfants Du Rock, sont évoquées tes racines familiales multipolaires. Tu exprimes alors ce ressenti d’un état qui échappe à tout bon autochtone : « Partout où tu vas, tu es chez toi. » Ressens-tu toujours cela ou une part de toi s’est-elle enracinée quelque part ?

J’ai eu beaucoup de mal à m’enraciner, mais je ressens aujourd’hui la Bretagne comme terre d’accueil et de cœur. Dans certains lieux se découvrent l’attache, les atomes crochus avec les gens, la culture qui résonne en nous et installe une forme de bien-être. J’ai beaucoup déménagé enfant et il n’était pas toujours évident de s’adapter, de trouver un environnement humain qui nous fasse nous sentir bien, quand ailleurs se produisait ce même quelque chose qui rendait les choses beaucoup plus faciles.



Le terme « comeback », outre sa présence marquante dans votre fond de catalogue, marque lui-même le parcours récent de Kas Product : d’abord via les résurrections successives avec Spatsz, dans les années 2000, puis aujourd’hui à travers ce nouveau Kas Product avec Thomas et Pierre. À la première reformation, Spatsz semble avoir été la manœuvre, ce qu’il était déjà dans les années 1980, dans tes propres termes. Et aux Enfants Du Rock, encore, tu disais en substance : « C’est lui qui m’a amenée à faire tout ça, moi je ne voulais pas »… Au moment où il te propose de refaire ça dans les années 2000, qu’est-ce qui le motivait, lui ?

Ça dépend quelle année, mais il avait une nostalgie de ce que nous avions créé. Il est un fait : il est difficile de trouver des gens avec lesquels développer une compatibilité, un instinct dans le travail. Moi j’aimais beaucoup l’univers que nous créions et ces choses que Spatsz pouvait offrir. En 2005, lorsqu’il m’a proposé de revenir, je sortais d’une longue maladie et je n’avais pas tellement envie de le faire. En 2012, j’habitais aux Etats-Unis, et il m’a dit « On va te payer le billet d’avion, viens ». Alors lorsque je suis arrivée, que j’ai vu tous ces gens aux concerts… Quelle transition ! Moi aux Etats-Unis, je vivais par des jobs à droite à gauche, et là je me suis : « Mais merde, je veux chanter ! » La fin de Kas Product avait été une errance. Je devais trouver ma voie.


Mais le nerf de la sollicitation de Spatsz, en 2012, penses-tu que c’est essentiellement la nostalgie ?

Je ne sais pas si ce n’est que ça, en fait. C’est un contexte, plutôt. Je reviens et l’histoire de ma famille était dans un moment délicat, mon père n’allait pas bien. Il est décédé en 2013, ce qui explique aussi le fait que je sois restée en France. Aujourd’hui je me dis que tout cela explique aussi que j’aie suivi ce chemin.


Mais si on suit le fil que tu viens de tirer, et si nous considérons aujourd’hui l’entreprise de refabrication de Kas Product pour ce qu’elle est, nous ne parlons plus juste d’un groupe, nous parlons d’un projet de vie non ?

Là, c’est un projet de vie, oui. On peut dire ça.


Je souhaiterais terminer par un éclaircissement sur The Changing Of The Seasons, l’une des perles pour moi de Reloaded. Quelle est l’histoire de la naissance de ce morceau ?

On délirait avec Thomas et je lui disais que j’aurais aimé chanter des voix bulgares. Et là il pose des choses. Je suis inspirée immédiatement. Une histoire s’est comme tramée dans ce titre autour de la souffrance de quelqu’un d’autre, la souffrance qui te laisse spectateur, impuissant face à son état. Lorsque tu es pris dans le drame, que tu penses éventuellement au suicide, tu oublies simplement qu’il y a des saisons. Les choses changent. D’autres saisons arriveront.


La preuve, d’ailleurs ?

Ouais. La preuve (rire) !


Emmanuel Hennequin



Reloaded (Verycords) 2025
Reloaded (Verycords) 2025




 
 
 

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