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Hyperrêve x Bill Pritchard // DELPHINE


©Richard Dumas

Tous ceux qui comme nous s'intéressent encore au sens d'aimer, ceux qui ont en eux cette nécessité d'exprimer leur flamme avec des mots, avec des chansons, ceux qui chérissent inlassablement un amour perdu comme un acte de bravoure face au destin, ceux-là seront certainement fort touchés par le nouvel EP de Hyperrêve aka Samuel Lequette Delphine. En orfèvre des mots, celui qui nous avait déjà charmés avec son 1er album Nos Absences Futures sorti en 2023, s'accompagne cette fois d'un autre tailleur de bijoux en la personne du compositeur Bill Pritchard pour nous concocter cinq love songs, où ensemble ils explorent les facettes de cet amour tant aimé par-delà la raison, au-dessus des concessions, parfois douloureures. À la croisée des univers de Crèvecœur de Darc et de Simplifier de Miossec, sincère, intimiste, plein de justesse, unissant la sagesse rougissante de la voix sensible de Samuel à la fougue rêveuse des mélodies de Bill, cet Ep Delphine se conjugue au singulier pour nous offrir une ode à l'amour véritable. 


Bonjour Samuel, pourrais-tu revenir sur l’origine de cet EP Delphine ?

Cet album répond à une envie, une tentation, une pulsion, celles de créer pour l’être aimé. Ce sont des chansons que j’ai écrites pour la femme avec qui je vis et que j’aime. Cet album est un cadeau que je lui destinais, je lui ai d’ailleurs offert l’unique exemplaire vinyl - un disque transparent - le jour de son anniversaire. Ce sont cinq chansons qui parlent d’amour mais aussi du discours amoureux, comme une cartographie intime de l’imaginaire amoureux…


La temporalité de cet ep ressemble à une urgence, une nécessité, puisqu'il sort quelques mois seulement après Nos Absences Futures. Pourquoi cette temporalité là ?

Je ne suis pas « musicien professionnel ». C’est une distinction à laquelle je tiens. Il y a le métier et l’activité de faire des chansons. Je suis assez libre. Les stratégies commerciales de développement m’importent peu, en tout cas elles ne conditionnent pas la production et la publication de mes œuvres. Nous avons enregistré ces chansons avec Bill Pritchard pendant l’été et nous avons sorti le disque trois mois après qu’elles aient été fixées. J’aime cette spontanéité.


Bill au piano

Que voulais-tu transmettre dans tes chansons ? Y cherches-tu une forme de réconfort ?

Je cherche une forme de simplicité. Tout doit tomber juste à la fin. Cette simplicité n'est pas nécessairement apparente, elle tient à la justesse qui a accompagné la chanson durant tout le temps de sa formation. Je ne sais pas si je cherche ainsi une forme de réconfort, mais j’y trouve peut-être au moins un allègement momentané à travers la tentative paradoxale de mise en forme d’une expérience de l’informe.


Quelle a été la chanson la plus difficile à faire ?  

S’il y a une difficulté à écrire une chanson celle-ci réside probablement dans l’écoute de ce qui venant du sombre donnera lieu plus tard à une chanson puis peut-être à un ensemble de chansons. Je vais donc répondre ici en donnant une image de l’idée que je me fais du processus d’invention d’une chanson. Je pense à un puzzle. Au début ce sont des bribes de phrases ou des bouts de mélodies qui viennent et lancent comme le ton de l’album (ou du mini album) à venir. Ce fragment, et c'est toute l'expérience de l’album (ou du mini album) futur, est inconnaissable au moment où il s'impose : sera-t-il la chanson clé ou un fragment de la cinquième chanson ? Je n'en sais absolument rien. C'est là qu'il y a un puzzle, à cette différence qu'avec un puzzle il s'agit de reconstituer un tout pré-construit. Lorsque je commence à faire des chansons j’ai seulement affaire à la voix et à l’esquisse de la mélodie sur laquelle va s'appuyer l’écriture de la chanson à venir. Ce qui me permet alors de penser que je suis dans le mouvement de ce qui va venir toucher à l'écoute des tonalités de la voix et des harmonies et au fait que j'ai à faire exister ces tonalités et ces harmonies. Il faut reconnaître son « grain » en permanence. Chaque chanson effectue ensuite cette reconnaissance et cette vérification.


Tu as convié Bill Pritchard à œuvrer avec toi sur les cinq titres. Pourquoi Bill en particulier et comment avez-vous travaillé ensemble ?

Je connais Bill Pritchard d’abord à travers ses disques. J’aime l’extrême mélancolie de ses chansons, leur dimension politique, et une sorte de légèreté très singulière qui n’exclut pas une certaine gravité. Ses textes à la fois se confrontent à la réalité rude, au monde social, et se distinguent par leur raffinement simple. Je trouve sa voix extraordinaire. Avant de découvrir les albums solo de Bill Pritchard, j’ai écouté l’album qu’il a réalisé avec Daniel Darc, Parce que (1988), que j’aime beaucoup. Puis l’album produit par Étienne Daho Three Months, Three Weeks & Two Days (1989) et tous les albums qui ont suivi.

Nous avions échangé l’année dernière. Nos emplois du temps ne s’accordaient pas. Et puis nous avons finalement trouvé un moment cet été. Au départ nous ne savions pas exactement combien de titres nous allions retenir. J’avais des chansons, quelques-unes assez abouties, d’autres à l’état de brouillon. Nous nous étions donné un mois pour l’enregistrement et le mixage. J’ai choisi une première chanson avec les textes que j’ai envoyée à Bill. C’était je crois le titre Ô mon amie. Dans la version démo, les orchestrations reposaient sur une guitare électrique et un arrangement de cordes joué avec un Mellotron. Bill a écouté, il est très attentif aux mots, au langage et à la voix, à son rythme, à ses inflexions, à son grain, puis il m’a envoyé en retour une trame guitare/piano/voix. J’ai alors enregistré ma voix, ici à Dunkerque, dans mon studio personnel, et je lui ai renvoyé plusieurs versions avec des intentions différentes. Dans un premier temps Bill a travaillé dans son studio puis dans celui de son ami Ralph Scott (producteur et ingénieur du son) pour arriver au résultat final. Nous avons procédé de la même façon pour les titres suivants. L’idée de Bill et la mienne, était d’aller au nerf des chansons, afin d’atteindre une forme de simplicité, qui convienne aux textes et à la voix. Une voix que nous voulions sans effet. Sur l’album, la plupart du temps on entend une guitare et un piano. Parfois un lap-steel, une basse fine (souvent à peine perceptible), un orgue ou une trompette. Pas plus. Ce sont des éléments de dramatisation qui introduisent des événements subtils ou modifient la perspective. Ce processus de création était aventureux et très agréable. C’était comme une correspondance, les chansons étaient des lettres que nous nous envoyions.


La narration de tes chansons m'évoque Jacques Rivette, Maurice Pialat ou Alain Resnais. Est-ce une de tes sources d'inspiration ?

Les cinéastes que tu évoques font bien entendu partie de ma famille mentale, ce sont des artistes qui ont contribué à former ma sensibilité. J’ajouterai peut-être, dans cette même « génération », Chantal Akerman, Jean-Luc Godard, Chris Marker, Éric Rohmer et Jerzy Skolimowski… En tout cas, ce côté « cinéma pour l’oreille » est en effet présent dans mes chansons. Et j’aime l’idée qu’une chanson raconte une histoire. Dans le mini album Delphine les chansons tiennent aussi du journal intime, de la méditation, du portrait…



La musique, le cinéma, la littérature, tout ce qui a trait à l’art semble nourrir ton inspiration. Serais-tu un artiste insatiable ?

Je rêve autant sur la musique d’Anohni, les films de David Lynch que sur les récits d’Alain Damasio. Il y a pour moi en effet une circulation entre la musique, le cinéma, la littérature mais aussi les sciences et la question écologique au sens large qui font partie de mon univers de pensée et de vie. M’intéressent les relations. Les relations entre les humains et les animaux, les montagnes, les océans, le climat, les relations entre les genres, les relations entre les générations... La crise écologique nous amène à considérer autrement ces relations et cela implique de nouvelles propositions qui s’appuient sur les multiples expérimentations en cours, engagées aussi bien par des scientifiques, des économistes, des activistes ou encore de artistes qui se mêlent de ce qui n'est pas censé les regarder. Si je suis « un artiste insatiable » c’est à cela que je tiens.


Quels sont tes futurs projets ?

À l’automne prochain sortira un deuxième album réalisé par Yann Arnaud intitulé Un seul matin doux.

J’ai travaillé avec les mêmes musiciens que pour le premier album (Yan Péchin, Bobby Jocky, Arnaud Dieterlen) et quelques invités : Lee Ranaldo sur deux titres, Marc Ribot sur deux autres, Julien Noël (claviers) et Mirabelle Gilis (choeurs & cordes).

Je travaille également en ce moment sur un album Léo Ferré avec Mirko Banovic (compositeur, réalisateur et bassiste pour Arno). Ce n’est ni un album de reprises ni un hommage mais plutôt un travail de décomposition et de recomposition au cours duquel je rêve les chansons d’un autre.


Stéphane Perraux




Delphine ( Édition Pihis) novembre 2023





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