Dans Dominique A, Solide, livre d'entretiens avec Grégoire Laville, qui est aussi un éventail ouvert sur ses œuvres et le va-et-vient d'un disque à l'autre, Dominique A s'y révèle sans chiqué et livre ses pensées dans l'ordre et les désordres du possible, l'auteur ayant semble t-il gardé le phrasé de la parole prononcée. De mon côté je n'aurai peut-être pas tout gardé ainsi, mais c'est aussi certainement l'intérêt d'un tel ouvrage, brut et sans tabou, je crois. Différents thèmes sont abordés tel son "engagement social" tardif, tant il en était méfiant et en retrait au début de sa carrière. On y découvre aussi son désamour pour le cinéma qui lui met pourtant la larme à l'oeil facilement. On accède également à l'intimité de son enfance ou à ses premiers émois scéniques, à 14 ans, torse nu, libéré de sa timidité. Car c'est bien à travers la musique que Dominique A forge aussi sa vie d'homme avec les premiers concerts, le premier 45T, puis la machine qui s'emporte et le succès qui arrive avec le Twenty-Bar et là encore sa défiance vis à vis du milieu. Dominique A n'a jamais voulu se laisser contrôler et dissèque subtilement ce milieu de la chanson française dans lequel il est possible de tomber au plus bas. On a affaire ici aussi au combat qu'il faut mener entre la vie d'artiste et celle de la paternité par exemple comme la période houleuse de l'album Remué où la séparation amoureuse se mêlait à une tournée abrasive. Dominique A y parle donc librement et n'a pas la langue dans sa poche. Son exigence, ses doutes, font de lui un musicien réfléchi qui travaille et pense "chanson " en permanence, mais paradoxalement, on le trouve ici à une période où il a envie de larguer les amarres pour un temps donné après les deux albums de 2018 : Toute Latitude et La Fragilité, puis la tournée qui a suivi. La suite, parce que suite il y aura, est envisagée d'une autre façon. Tout comme nous en parlions à ce propos dans le n°7 de Persona, on sent Dominique A basculer vers une autre forme d'écriture où la musique peut-être, prendrai plus de place que les textes. Le livre se situe donc à une nouvelle période charnière pour le musicien et auteur qu'il est. Cette série d'entretiens est également émaillée par la mort de Philippe Pascal qui depuis 2017 avait repris le chemin des scènes avec ses acolytes de Marquis de Sade, alors en plein enregistrement d'un nouvel album.
C'est donc tout naturellement que je glisse vers le petit recueil nommé Fleurs plantées par Philippe sorti en octobre dernier et par lequel Dominique Ané ( tous ses livres sont signés sous son vrai patronyme) revient sur son rapport au chanteur emblématique de la ville de Rennes, un an après son décès. Là encore, Dominique A nous délivre sans fard son attirance et également le rejet qu'il a pu ressentir envers cet homme au charisme exceptionnel, puis finalement son adhésion totale, aussi bien à la personne qu'était Philippe Pascal qu'à l'artiste qu'il est toujours resté, même si plus en demi teinte durant les dernières années avant le retour imprévisible du légendaire groupe rennais. Sous la plume sensible et les mots de Dominique A, on y apprend d'ailleurs la difficulté dernière du chanteur rennais à écrire, alors qu'un nouvel album était sur le feu et à sa possible participation pour lui venir en aide… en vain.
Fleurs plantées par Philippe, œuvre complémentaire donc, à son morceau hommage National 137 (sur Ursa Minor, disque bonus de Toute Latitude) qu'il avait réalisé lorsque Philippe Pascal vivait encore et dont il n'a jamais su s'il l'avait entendu, fait figure de dernier adieu. Très belle idée donc que ce portrait "sur le vif " dont la photo de couverture par Richard Dumas montre un Philippe Pascal au regard noir et incisif qui emporte avec lui la fougue qui aura fait tant d'émules et dont Dominique A fait partie.
Musicalement, Dominique A, avait donc prévu de prendre le temps et de laisser monter l'inspiration. C'était sans compter sur le confinement généralisé provoqué par la pandémie du Covid 19, emportant avec elle des élans de vie à foison. "Autarcie sur autarcie, ça commençait à faire beaucoup " susurre t-il dans son communiqué de presse et c'est ainsi qu'il se retrouva, guitare en main, à s'évader vers la lumière et à enregistrer une version de L'éclaircie, titre phare d'un groupe cher à son coeur : Marc Seberg et dont la disparition du chanteur, Philippe Pascal là encore, avait déjà déposé un " brouillard définitif " sur notre stupéfaction. La réception unanime de ce morceau le fit donc enchaîner sur un Ep numérique 4 titres : Le silence ou tout comme, arrivé en plein été comme une respiration face à un printemps morbide. Musicalement minimaliste, tout comme la reprise de Marc Seberg, on pouvait y entendre la pensée de Dominique A comme le ressac de souvenirs éparpillés revenants à la surface et avec le premier titre, Papiers Froissés, y lire peut-être même ces brouillons de vie jetés et les difficultés à ne plus pouvoir créer. Quant au morceau Vie étrange et sa psalmodie "Quelle vie étrange / Plus de mots bleus / No more ", on pourrait évidemment y entendre "nos morts ", nous renvoyant également et doublement au décès du chanteur Christophe, dû au virus. De confinement en déconfinement, Dominique A s'est alors mis compulsivement à composer comme pour tenir un journal intime sur la fragilité de l'époque, comme ces Wagons de porcelaine que sont nos vies, sans pour autant faire référence à la pandémie, mais de plutôt passer au crible les relations humaines, l'amitié, l'amour et ses fonds de constats ou reproches (Quand je rentre /Sols d'automne) et à enregistrer avec les mêmes moyens, sur le vif... Il faut d'ailleurs entendre au casque cette pluie qui martèle les carreaux de la fenêtre sur Vie étrange, justement, cette même fenêtre peut-être dans laquelle se reflète le visage du chanteur comme un double lointain dans la belle photo de Laetitia Bégou qui présente ce 10 titres qui sort ce mois-ci en vinyle et CD, sous ce même nom, comme une nécessité.
Disque de transition donc, comme pouvait l'être L'Amour Ep en 1994, également minimaliste avant la gifle glacée qu'allait être La Mémoire Neuve, véritable nouvel envol pour Dominique A en 1995, Vie étrange est comme un disque de recueillement avant ses futures compositions qui pourraient prendre donc un tout autre tournant.
Frédéric Lemaître
GRÉGOIRE LAVILLE
Dominique A, Solide
(Éditions Locus Solus) // Mai 2020.
DOMINIQUE ANÉ
Fleurs plantées par Philippe
(Éditions Mediapop) // Octobre 2020.
DOMINIQUE A
Vie Étrange
LP/CD (Cinq7 / Wagram) // Novembre 2020.
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