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DANIEL CARLSON






LES RÊVERIES DU CHANTEUR SOLITAIRE

PAR MATHIEU DAVID BLACKBIRD

PHOTOGRAPHIES OLGA GINZBURG


Les fidèles lecteurs de Persona se souviennent certainement que nous avions consacré cinq pages au New Yorkais Daniel Carlson dans le numéro 22 de notre édition papier – titré de façon manifestement prémonitoire Dream Baby Dream - et voici que son Caught In A Dream de nouvel album se voit publié moins de deux ans après le très réussi Cartoon Babylon. L’homme est décidemment du genre prolifique puisqu’à l’été dernier paraissait This Week's Special Guest Stars #1, un disque en édition très limitée signé Daniel Carlson & Friends et ne comprenant que des reprises – dont de superbes versions du Be With Me écrite par Dennis Wilson pour les Beach Boys et de She’s Leaving Home – que l’on doit comme vous ne l’ignorez pas à Sa Sainteté Paul McCartney with a little help from John Lennon.

Si Caught In A Dream fait comme toujours la part belle aux claviers de toutes sortes – Harpsichord, Vox, B3, Moog et autres Rhodes - la présence d’une pedal steel ici et là apporte une couleur jusqu’ici inédite dans la discographie de l’Américain. Ne fuyez pas – Daniel Carlson n’a pas totalement tourné country ! Il s’agit plutôt d’un parfum légèrement différent – comme lorsque Martin Stephenson & The Daintees ou Lloyd Cole & The Commotions lançaient au siècle dernier des regards appuyés vers le grand ouest mais sans jamais se départir de leur sensibilité pop.

"Au départ, ce disque devait être très différent des autres et les origines de ce projet remontent à vingt (!) ans. Je venais de terminer mon e.p.  Now et je donnais mon premier concert en solo dans un minuscule espace à Brooklyn. Je me souviens qu'il y avait des lumières au plafond qui ressemblaient à des étoiles. Le concert n'était pas génial, loin de là, mais je m'amusais bien et, après le concert, un type très sympathique est venu me voir. Dans mes souvenirs, il ressemblait un peu à un cow-boy, mais je pense que je me fais des idées. Il s'est présenté, m'a dit qu'il s'appelait Gerald Menke, qu'il était joueur de pedal steel, qu'il aimait mes chansons et que je n’hésite pas à l'appeler si jamais je voulais faire quelque chose ensemble - c'est ce que j'ai fait. Bien que je n'aie jamais donné beaucoup de concerts, je pense que Gerald était présent sur presque chacun d'entre eux. C'est un excellent musicien et un homme très intéressant et amusant à côtoyer, et j'ai adoré jouer avec lui. Cela a donc définitivement planté une graine.

Mais, pour une raison ou une autre, la pedal steel ne s'est pas retrouvée sur les disques que j'ai faits dans les années qui ont suivi. Pour les deux premiers albums, j'étais produit par quelqu'un d'autre et je m'en remettais donc à lui - et, apparemment, il ne pensait pas à la pedal steel. Ensuite, j'ai fait quelques autres albums - que j'ai produits - et il n'y avait pas de pedal steel sur ceux-ci non plus. Je ne sais pas pourquoi. Je dirais que j'étais tellement intéressé par les instruments que j'utilisais - guitares, Moogs, Mellotrons, etc. - que je ne pensais pas qu'il pouvait y avoir de la place pour autre chose. Peut-être qu'au fond de moi, j'avais aussi du mal à dissocier la pedal steel de la musique country, et la musique country n'était pas vraiment au cœur de mes préoccupations. C'était peut-être même une chose sur laquelle j'avais des idées rétrogrades, comme quoi ce n'était pas sophistiqué ou quelque chose comme ça – ce genre d’idées stupides.

A l’été 2022, je terminais Cartoon Babylon - mon travail était fini et Neal Ostrovsky achevait les mixages. Cet album avait pris tellement de temps à réaliser ! J'avais commencé le mois précédant l'arrivée du COVID et, bien sûr, tout s'est arrêté pendant près d'un an et demi. En conséquence, j'ai eu l'impression d'un processus très long. Mais une fois cette étape franchie, je me suis dit que je pourrais commencer à écrire les chansons du prochain album et quelques idées m'ont traversé l'esprit. La première était que je voulais écrire rapidement cette fois-ci - ce qui n'est pas mon truc d'habitude. Mettre les chansons sur papier rapidement et écrire les paroles en même temps que la musique - ce qui là non plus n’est pas mon habitude. L'autre chose, c'est que j'ai eu une sorte de prise de conscience fulgurante. J'aimais beaucoup les chansons proches de la country mais, pour une raison ou une autre, je n'avais jamais vraiment plongé dans ce genre de disques. Il y avait deux albums des Everly Brothers que je connaissais bien et que j’aimais - It's Everly Time et A Date With the Everly Brothers - mais en dehors de cela, je ne possédais vraiment rien. En fait, j'ajouterai I Am Shelby Lynne, qui, je le sais, n'est pas un disque de country, mais il y a certainement un peu de cet ADN dans cet album et c'est un disque que j'ai écouté en boucle pendant des années. J'ai donc commencé par me lancer immédiatement dans des choses que je ne connaissais pas du tout. Les deux premiers albums de Michael Nesmith, les albums de Gram Parsons, Sweetheart of the Rodeo des Byrds, lesmorceaux des Flying Burrito Brothers, les deux albums de Dillard & Clark, ce genre de choses. J'ai rapidement pensé qu'il serait amusant d'écrire des chansons en s'inspirant de ces disques. D'être vraiment intentionnel à ce sujet. C'est ainsi que toutes ces nouvelles chansons ont jailli de moi en l'espace d'un mois environ. Les mélodies et les paroles sont venues rapidement. J'ai fini par écrire des paroles beaucoup plus littérales que ce que j'écris habituellement. Je ne sais pas, peut-être que je les avais mis en bouteille pendant des années. Qui sait comment tout cela fonctionne ? 

J'ai également écrit tous ces morceaux avec l'idée qu'il y aurait des harmonies à deux ou trois voix sur tout. Tant de disques que j'aime sont baignés d'harmonies et j'ai pensé que ce serait une façon amusante de travailler – et je voulais bien évidemment de la pedal steel sur l'album. Puis, alors que je m'apprêtais à commencer l'enregistrement, j'ai eu du mal à trouver qui pourrait chanter les harmonies avec moi. Et je n'avais pas vraiment d'idée sur l'approche non plus : Je ne savais pas à quoi devait ressembler ce mélange de voix dans ma tête. Après tout, il y a des disques d'harmonies où toutes les voix se fondent en un magnifique nuage vocal et d'autres où c'est le contraste entre les voix qui les rend spéciales. J'ignorais totalement comment procéder.

J'ai donc contacté mon ami Rick Moody qui, en plus d'être un auteur brillant, est aussi un grand musicien et - ce qui est le plus important dans ce cas - une véritable encyclopédie de la musique. Il a de grandes oreilles et il écoute tout. Je lui ai donc envoyé les démos des nouvelles chansons en lui disant HELP ! et il a été génial. Sa première remarque a été que, bien qu'il ait entendu les influences, les chansons n'étaient certainement pas pures en termes de genre. En d'autres termes, oui, elles sonnent comme des chansons de country rock. Mais elles sonnent aussi comme des chansons de Daniel Carlson. C'est pourquoi il m'a suggéré de ne pas l'aborder comme un exercice de style et d'assouplir un peu les choses. Oui à la pedal steel, mais il n'était pas nécessaire qu'elle soit présente sur toutes les chansons. Oui à ce que quelqu'un chante avec moi, mais peut-être pas sur tous les titres. Cela m'a permis d'entamer le processus d'enregistrement. J'ai trouvé Tyler Lieb - qui a ajouté de magnifiques parties de steel à quelques chansons - et ensuite Sassy O'Toole, qui a chanté d'excellentes parties sur d'autres chansons. En repensant à l'album de Shelby Lynne, je me suis dit que des cordes pourraient convenir à certains endroits et Kyleen King a effectué un travail formidable sur les deux chansons qu'elle a arrangées et sur lesquelles elle a joué. C'est ainsi que mon disque de country rock s’est transformé en quelque chose qui sonnait un peu comme les disques que j'avais écoutés, mais qui sonnait aussi un peu comme mes précédents disques."



Lock And Key et le moog crève-cœur de Like A Flower ravissent l’oreille et l’atmosphère générale est merveilleusement cotonneuse – comme il sied à une rêverie. Si Sooner Or Later convoque un violon à faire pleurer les pierres, l’épatant Hide And Seek ravira les aficionados du grand Richard Hawley – écoutez-moi ce grain de guitare !

"A mon avis, les éléments qui font le gros du travail sont les guitares de Chris Bruce et les claviers de Glenn Patscha. Ces deux-là ont vraiment pris la balle au bond. À part le Hammond B-3 sur I Wouldn't Miss My Way - que j'avais demandé - tous les claviers ont été choisis par Glenn. Même chose pour Chris avec la plupart des guitares. Les parties, les sons, c'était eux. Et c'est leur jeu tout au long de l'album qui l'élève vraiment."

 

Notons que c’est la première fois que Daniel Carlson réalise lui-même l’artwork de son disque.

"J'ai eu l'occasion de travailler avec des artistes visuels dont j'aimais le travail sur mes précédents albums. Je veux dire, j'adore travailler de cette façon. Mais cela n'a pas fonctionné cette fois-ci et j'ai dû me débrouiller tout seul. Il se trouve que j'avais récupéré une vieille caméra Braun Nizo Super 8 et que j'ai tourné quelques images avec. Elles semblaient vraiment correspondre à l'ambiance de l'album fini. Pour le prochain, je prévois de travailler à nouveau avec d'autres artistes, mais je suis content d'avoir fait cet album moi-même."

 

Voici donc un rêve bleuté dont on n’est pas pressé de s’extirper.

"Je suppose qu'il s'agit d'une sorte de monde de rêve pour les personnages des chansons que j'écris, et ce sont tous des gens que j'ai connus dans ma vie, depuis l'enfance jusqu'à aujourd'hui. Le luxe que l'on a en tant qu'auteur de fiction - et je considère l'écriture de chansons comme une solide fiction - c'est que l'on peut rassembler tous ces personnages et créer de nouveaux scénarios, de nouvelles issues. C'est vraiment une façon adulte de jouer.

Mais pour ce qui est de Caught In A Dream en particulier, elle est amusante parce que j’ai trouvé le titre en premier et que j'avais toute une histoire à raconter. Et cette idée - écrire à partir du titre d'une chanson - n'est pas quelque chose que j'avais fait auparavant. L'histoire était la suivante : le protagoniste de la chanson est maintenant très heureux avec une femme qui a été larguée par son meilleur ami. Il s'agissait donc de l'histoire d'un rêve qui tourne mal, puis d'un autre qui s'épanouit vraiment. Mais j'ai commencé à écrire la chanson et les paroles ont pris une direction totalement différente. Je vais donc écrire une autre chanson avec le même titre à un moment donné, pour voir si je peux réaliser l'idée originale."



Daniel Carlson Caught In A Dream (AptZero Recordings) 2024


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