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Brian Lopez // Vague à l'âme

Dernière mise à jour : 28 janv.


© Marie Monteiro

Brian Lopez n'est pas un inconnu pour qui s'intéresse à la prolifique scène de Tucson, épinglée sur la carte du cœur des amateurs de rock depuis les années 90 grâce aux deux figures tutélaires que sont devenus Giant Sand et Calexico.

L'une des jeunes pousses les plus prometteuses grandie à l'ombre des deux "saguaros", Brian promène depuis une dizaine d'années sa voix d'ange et son élégance naturelle de troubadour des temps modernes, remettant en question à chacun de ses albums les clichés accrochés à ses origines hispaniques pour en tirer un style personnel mêlant sans complexe folk, pop, new wave et cumbia. Aussi convaincant lorsqu'il reprend The Killing Moon des Bunnymen que lorsqu'il défie la voix rocailleuse de son complice Gabriel Sullivan dans l'inclassable métissage heavy / psyché / tex mex concocté par Xixa, il fascine par son aisance à passer d'un style à l'autre, avec un désarmant petit sourire en coin.

Aujourd'hui, il revient nous présenter son quatrième album Tidal enregistré dans des conditions précaires au studio Dust and Stone de Tucson et magnifié par l'ajout de contributions venues des quatre coins du Monde au chant, à la batterie, au violon, à la trompette, au piano. Textes d'un romantisme assumé, mélodies magnifiques et arrangements délicatement psychédéliques : tous les ingrédients sont réunis pour nous emporter dans le tourbillon des esprits qui hantent et inspirent ce musicien né à la frontière des cultures américaine et latino, bien décidé à faire pleuvoir des larmes de compassion sur le désert de Sonora.




 


Malgré le succès de Genesis, le deuxième album de Xixa, Tidal a eu du mal à se matérialiser. Comment expliques-tu cela ?  

J'ai écrit toutes les chansons en 2020, Gabriel les a mixées en 2021, puis nous avons approché trois labels qui semblaient intéressés, mais qui ont tous lâché l'affaire l'un après l'autre. L'un d'entre eux a tout fait remixer à Los Angeles. Le résultat était plutôt pas mal, mais nous ne sommes pas allés jusqu'au bout. Je ne voulais pas à nouveau sortir un album par mes propres moyens, car je crois en Tidal et j'aimerais qu'il marche vraiment. Nous avons perdu beaucoup de temps en négociations et ce n'est que début 2023 que Cosmica Artists qui travaille avec des musiciens hispaniques m'a enfin proposé un deal intéressant  (relayé en Europe par Gates Pass Music).       


Eric Cox qui a réalisé tes deux dernières pochettes a écrit "L’un des thèmes éternels de l’art, peut-être LE seul véritable thème de l’art, est l’examen de ce qu’on appelle la condition humaine " Partages-tu cette opinion ?

J'ai rencontré Eric en 2018 par l'intermédiaire de mon ami Daniel Martin Diaz, lui-même artiste assez complet, puisqu'à la fois peintre et musicien et féru de mathématiques et d'ésotérisme comme tu peux le voir à travers les pochettes qu'il a réalisées pour Xixa. Comme cela ne correspond pas du tout à mon style de musique et qu'il connait beaucoup de gens différents, il a pensé qu'Eric et moi pourrions faire une bonne combinaison. Quand Prelude est sorti, c'était un moment très difficile pour moi car j'étais en rupture avec le patron de mon label, mon manager et mon attaché de presse, qui en fait étaient la même personne. Il s'était occupé de tout sur les premiers albums et EPs et il s'est avéré être un vrai con avec des idées débiles que je ne supportais plus, du genre, " Il faut que tu aies ton visage en gros plan sur le disque ! " Alors quand Daniel m'a proposé de s'occuper de l'artwork, cela m'a soulagé car je peux lui faire confiance. Non seulement c'est mon ami, mais il est graphiste de métier, donc il sait ce qu'il fait. Cela a marqué un nouveau point de départ pour moi. En fait c'est Daniel qui sait le mieux si Eric et moi partageons certaines valeurs et idées car je ne le connais pas si bien que ça. Tout ce que je sais, c'est qu'il est très empathique, qu'il écoute vraiment la musique et s'en inspire pour dessiner. Je ne sais pas si nous continuerons à travailler ensemble, mais ce qu'il m'a proposé pour ces deux albums est tout à fait approprié.


Je sais que tu ne supportes pas la façon dont le terme « psychédélique » est utilisé à tout bout de champ, mais la manière dont tu fais sonner les guitares, les sons que tu as choisis pour créer ces ambiances chaudes et cotonneuses donnent un effet très psychédélique, comme le portrait en couleurs de Tidal qui est un réel prolongement de ce parti pris.

Le compliment est à mettre au crédit de Daniel qui a choisi parmi les différentes propositions d'Eric celle qui convenait le mieux. Il me donne beaucoup de bonnes idées et je suis très content de notre relation de confiance. Prelude était l'excuse pour briser mon contrat et repartir sur une nouvelle voie. J'ai écrit dix chansons en dix jours et les ai enregistrées dans la foulée. Je bossais la journée, je rentrais manger et je me mettais au travail de 19h à 4h du matin : je composais, j'écrivais, j'enregistrais… J'étais dans l'urgence, c'est pourquoi ça sonne aussi rudimentaire, car je n'avais pas le temps de me poser de questions. Tout le contraire de Tidal, pour lequel on a eu tout loisir de faire ce qu'on voulait puisque c'était le confinement. Quand on est entrés en studio avec Gabriel, on pensait faire un nouvel album acoustique. Mais au fil du temps on a essayé ceci, puis cela. On a envoyé des démos à nos amis autour du monde pour qu'ils y ajoutent leur empreinte et ainsi le projet a pris de l'ampleur. Nous n'avons pas empilé des sons pour le plaisir d'empiler, mais parce que les chansons avaient besoin d'être plus enrobées, que je voulais offrir une musique plus

travaillée.




J'aime beaucoup Prelude tel qu'il est, il tient la route et si tu me donnes à nouveau dix jours pour écrire un autre album, j'obtiendrai certainement un résultat similaire. Mais l'une des choses que j'ai découvertes pendant le confinement c'est le plaisir de la production. J'ai beaucoup appris et je pense être devenu bien meilleur songwriter. Avant je ne m'occupais que des compositions et des textes, maintenant j'ai pris du recul et pense qu'il faut avoir une vision plus globale de la chanson pour la rendre vraiment intéressante.




Tu pensais à des musiciens spécifiques pour les parties de voix ou les instruments, ou les as-tu simplement invités au hasard à jouer quand cela les inspirait ?

Gabriel s'est occupé de la rythmique tandis que je me suis concentré sur les guitares et les synthés. Nous avons quasiment tout réalisé seuls, mais il y avait des moments où j'avais envie d'entendre quelqu'un d'autre, comme le jeu de batterie de John Convertino ou la voix de KT Stunstall que j'aime beaucoup. En fait c'était plus une question de survie qu'autre chose. Nous étions trois personnes en studio, essayant de produire ce bel album avec les moyens du bord. Tu peux avoir l'impression qu'il y a des dizaines d'invités car nous avons fait des heures et des heures d'overdubs, mais c'est vraiment un projet de "famille". On ne s'est pas pris la tête pendant des heures à choisir qui serait le plus pertinent pour tel ou tel morceau, on a simplement demandé à nos amis un coup de main. Alors il ou elle se posait derrière un micro et nous envoyait le résultat qu'on incorporait au reste.   


Dans quelle mesure KT Stunstall s'est impliquée dans Road to Avalon ?

Elle avait décidé de déménager au Nouveau Mexique et s'est arrêtée sur le chemin à Tucson pour boire un café. Je lui disais que je me sentais super créatif, écrivant des chansons tous les jours. Ça l'a impressionnée et elle m'a dit que si j'avais besoin de quelqu'un pour les chanter, ça lui ferait plaisir que je la recontacte. J'étais en train d'enregistrer Tidal et je savais que j'avais envie d'une chanson à trois temps, quelque chose de fluide et de volatile comme une valse qui casserait la routine de mes autres morceaux à quatre temps. J'ai alors écrit un morceau avec sa voix en tête aux côtés de la mienne et la lui ai envoyée. Elle a ajouté ces super harmonies dans le fond, car elle a une sensibilité très pop. A côté d'elle, je suis un musicien expérimental, voire avant-gardiste. Elle m'a beaucoup aidé sur cette chanson, m'emmenant vers plus de simplicité et je la remercie vraiment pour cela.



© Cathimini

Le titre de l'album fait référence à la " marée ", pourquoi ?  …

Le titre original du dernier morceau était Tidal Wave, ce qui veut dire " raz de marée ". La prise de drogues et de champignons hallucinogènes me donnait l'impression d'être sur une grande vague et j'ai retranscrit les différentes sensations de cette expérimentation dans ce morceau. Tidal Wave traduisait aussi mon envie de tourner la page, suite à la rupture houleuse avec mon manager. C'est pourquoi j'ai conservé ce titre pendant un long moment. Mais ce disque est aussi ma manière de faire la paix avec moi grâce à ce long temps d'introspection rendu obligatoire par le confinement et la "réclusion" associée. J'étais arrivé à un point de fatigue et d'automatisme qui m'avait éloigné des raisons profondes pour lesquelles je faisais de la musique. Cela faisait tellement d'années que je répétais la routine de "j'écris des chansons, je fais un album, je tourne et je recommence ", que je ne savais plus si cela me rendait heureux. Pour la première fois de ma vie, j'ai pris le temps de réfléchir sur ma relation avec la musique et cela m'a permis de me rendre compte que je voulais retomber amoureux de cet art. Mais que cela allait me demander beaucoup de travail ! C'est pourquoi je me suis d'avantage intéressé à la production. Je me suis discipliné à passer au moins deux heures par jour à écrire des textes et le plaisir est revenu. C'est ce que devrait faire tout musicien professionnel, mais on n'a plus le temps avec tous ces e.mails qu'il faut écrire au titre de notre administratif, de notre promotion, ou simplement s'assurer que l'argent qu'on gagne aille bien dans notre compte en banque. J'adore la vie de musicien, mais j'avais besoin de trouver le moyen d'être plus heureux que je ne l'étais. Daniel a enlevé le mot "wave " lorsqu'il a fait l'artwork de la pochette, sans me demander mon avis et en fait il avait tout à fait raison. Ce côté dangereux et pressent du raz de marée n'avait plus lieu d'être, compte tenu de la musique et l'image de la "marée" est beaucoup plus appropriée.


C'est la première fois qu'on sent une telle sincérité et une telle humanité dans tes textes. Quand dans Face to Face tu dis "il faut tomber amoureux tant qu'on le peut," ou dans Magic, tu écris "c'est de la pure magie l'amour que je ressens pour toi "… Tu as l'air de vouloir te battre contre le défaitisme et le cynisme ambiant, en opposition à ce que dégage Xixa.

Oui, ce n'est pas gagné dans le monde où nous vivons, si divisé en surface. J'avoue que j'ai pris conscience de cela à travers mes expérimentations avec la drogue mais je reste persuadé que fondamentalement, nous sommes juste des corps flottant à la surface de la Terre, reliés les uns aux autres par dessous. L'humanité ne pourra s'en sortir que si chacun d'entre nous arrive à se reconnecter aux autres. Il faut donc retrouver le sentiment d'amour que ce soit pour les autres, nous-mêmes, la nature. C'est tout ce que nous avons ! Chaque morceau a été conçu comme une lettre d'amour…



Une connexion que l'on visualise dans le clip video de 3000 Stories, ton Crystal Frontier à toi (chanson phare du répertoire de Calexico) qui évoque le sort de tous ces migrants morts dans le désert avant de pouvoir rejoindre les Etats Unis sur une musique très douce, presque entrainante. C'est le premier album qui ne comprend aucune chanson en espagnol, mais on sent l'influence de tes racines latines partout.

J'ai toujours aimé jouer sur des cordes en nylon car j'ai appris la musique sur une guitare classique. Je compose sur mon piano et sur ma guitare acoustique. Même si j'aime la new wave et les trucs plus endiablés, j'avais envie de ne pas m'engager dans un genre qui serait dérivé d'une culture qui m'est étrangère, alors je me suis inspiré de ce qui m'a façonné. Ce n'est donc pas étonnant que certaines chansons te fassent penser à un bolero mexicain et d'autres à un pur produit tex-mex. All souls a été inspiré directement par la mort d'une de mes amies et rappelle les processions du jour des morts. Il est important pour moi de ne pas faire toujours le même disque et d'évoluer. Si les gens n'aiment pas tout, ce n'est pas grave, c'est mon histoire ! Tidal reflète 100% mes idées, avec la complicité de Gabriel certes, mais c'est ma personnalité. Tu ne dois pas le comparer avec Xixa qui est le compromis ente six personnalités.


Dans Black Moutain, tu évoques la mémoire de la Montagne Noire. Qu'est-ce ?

Tucson est un mot issu de la langue Tohono O'odham, le peuple indien qui vivait dans le désert de Sonora avant l'arrivée des colons. Il veut dire "montagne noire" et ce morceau évoque par petites touches mes souvenirs de gamin élevé dans la banlieue de Tucson dans les années 80. Quand on devient adulte, beaucoup de choses deviennent chaotiques, on oublie la simplicité, on se laisse embarquer par la spirale infernale du quotidien qui nous détourne de nos rêves d'enfants. C'est de ça que parle la chanson. La vidéo, elle, n'a rien à voir avec le sujet, car je voulais quelque chose d'un peu surréaliste, sans être complètement avant-garde, avec une ambiance à la Twin Peaks, pour un budget très limité. Nick Duarte a trouvé cette incroyable maison de style "mid-century modern" des années 50/60 au cœur de Tucson où nous avons tourné en un jour avec une équipe réduite et cette merveilleuse actrice Adrianna Acedo Campo. Je ne voulais pas être au centre de l'action, mais bien sûr il fallait que j'apparaisse à l'écran, alors je suis devenu un fantôme. Il m'a impliqué dans le montage et on s'est envoyé des notes pendant des mois. C'est encore une expérience très intéressante que m'a offerte le confinement. 




Pourquoi as-tu écrit une chanson à propos de Margot Kidder, surtout connue pour avoir incarné Lois Lane dans la saga Superman ?

C'est aussi lié à mon enfance, car j'ai vu tous les films avec mon frère. Mais ce n'est pas tant à cause de son rôle dans les Superman qu'à cause de sa vie que j'ai eu envie de lui rendre hommage. C'était une activiste politique à Hollywood qui a beaucoup milité contre la guerre, a aidé à faire reconnaitre les droits des LGBTQ… Mais elle était aussi bipolaire et c'est pour cela qu'elle s'est suicidée. Cette tragédie m'a inspiré. Sur l'écran elle incarnait des personnages héroïques, elle était très belle donc la moitié de la chanson est en D majeur. Dans la vraie vie c'était une personne beaucoup plus complexe, avec des côtés très sombres que j'ai voulu suggérer par la juxtaposition de l'autre moitié en D mineur. 


Avec Xixa, vous avez déjà fait référence aux drogues mexicaines. Psilocybin Dream, la dernière chanson de Tidal évoque ta consommation de champignons magiques. Pourquoi l'avoir mise en dernière position ?

J'ai beaucoup réfléchi à l'ordre des morceaux. Pendant un an et demi, j'ai essayé toutes les combinaisons possibles avant d'arriver à un résultat satisfaisant, celui que tu peux entendre sur mon site. Et finalement le label a sorti un tracklisting différent pour le disque vinyle vendu en Europe !


Comme c'est dommage ! Il y avait une logique imparable dans l'ordre que tu avais choisi pour ce voyage d'un désert à l'autre, de l'évocation des morts de 3000 Stories qui ouvre l'album et qui n'ont même pas été enterrés proprement à All Souls, comme si tu leur offrais cette parade du Dia de los muertos… avant de toi-même les rejoindre dans le rêve lysergique de Psilocybin Dream

Waouh, j'adore ton interprétation ! Merci d'avoir écouté avec autant d'attention cet album. Je n'ai rien à ajouter.


Cathimini




Tidal LP (Gates Pass Music) 2023







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