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TEREGLIO // Woven Eyelids

Dernière mise à jour : 22 mai


© Stéphane Zimmerli


Conserver nos larmes dans d’infinis mouchoirs


Parfois on se sent envahi par ce qu’on appelle le spleen. Faut-il toujours être joyeux, speed et déconneur ?

On peut l’être et connaitre malgré tous ces moments introspectifs d’où la beauté n’est pas absente. Se poser et écouter la pluie. Et, si elle se fait rare, conserver nos larmes dans d’infinis mouchoirs.

[Tereglio] est le premier album solo de Nicolas Puaux, la moitié de l’isotope de Narrow Terence (groupe en sommeil composé notamment de son frère Antoine - grosse voix, grosses guitares - l’autre moitié de l’atome) ou encore de Narco Terror (la version terrifique). Sans oublier WellBird.

Ici on parle de folk mélancolique, ou de dark-folk et cela me fait penser à certains de ces troubadours anglais, comme John Renbourn et son folk-baroque. Point trop d’enluminures dans cet album mais des landscapes brumeux, de l’orfèvrerie, des arpèges, du ciselé. Ce ne sont pas à proprement parlé des pop-songs mais de petites pièces musicales prompts à une sorte de recueillement. Des chansons bien évidement, en anglais avec cette magnifique voix de Nicolas, pure, emplie d’une profondeur, touchante.

Si la guitare semble parfois seule, elle est souvent rejoint d’un piano ou de merveilleux cuivres feutrés (Pierre Lerchmüller) qu’on avait déjà connu chez les frères Puaux et c’est alors presque la B.O. d’un film 70’s comme sur Woven eyelids  qui donne son titre à cet album ou encore sur le sublime  Right Beneath a Crazy Sky  dont vous pourrez découvrir le clip ici.

A d’autres moment ce sont des sons de Johan Guillon (EZ3kiel, Zero Gravity) qui habillent discrètement certains des neufs titres tout en langueurs d’un hiver retrouvé après ces étés trop chauds. Puisque nous avons évoqué le folk anglais, on retrouve une cover sublimée de Donovan Leitch, Jersey Thursday,  avec des glissandos de cordes nylon. Comment ne pas succomber !

Chacune de ces chansons est comme une perle, différente et semblable à la fois, le tout constituant un collier de brume automnales, aux couleurs jaunes, orangés, comme celles que j’aperçois dans mon jardin en écrivant cette chronique, arrosées d’une fine pluie et baignées d’un lumière crépusculaire alors qu’il est 15h ! De petites ambiances qui se suivent, nous entrainent dans nos rêves, loin des tourments. Un moment de bonheur, mélancolique et puissant, beau et enchanté. Mais gardons-nous de sombrer dans cette extase passagère et laissons un peu la parole à Nicolas Puaux et son univers.


Nicolas, depuis quand as-tu ébauché le projet [Tereglio] et pour quelle raison ?

L’idée de créer [Tereglio] est née quelque part dans les montagnes de Toscane dans le courant de l’été 2019. Cela faisait des années déjà qu’à côté de Narrow Terence - projet d’indie-rock à haute teneur cinématographique mené aux côtés de mon frère Antoine, ndlr - je m’essayais à fabriquer des chansons plus personnelles, plus simples et surtout affranchies de la direction artistique bicéphale avec laquelle nous avions coutume d’écrire et de composer dans Narrow Terence. Ainsi, [Tereglio] a eu plusieurs ancêtres : Oslö, Crush Tin Box… Mais, ces chansons sont toujours restées dans des tiroirs, à l’état de maquettes. D’une, parce que je n’étais pas réellement convaincu de la pertinence du propos - compositions trop fragiles, trop disparates - mais aussi car je souffrais du syndrome de l’éternel « second » pour qui il n’était pas légitime de naviguer de façon indépendante et autonome.

A cette époque, faire de la musique nécessitait que je puisse m’appuyer sur un binôme fort ou tout simplement que je joue en groupe. Ce voyage en Italie, la beauté simple de ce que j’ai pu y voir et des rencontres que j’ai pu y faire, le tout à un moment où tout dans ma vie m’indiquait de faire des sauts dans le vide, d’essayer autre chose, de faire des choix a donc été le catalyseur de cette envie sourde refoulée depuis tant d’années pour enfin proposer un projet musical à l’image de ce que je suis : quelqu’un de profondément calme et anxieux à la fois. Par ailleurs, avec Rumble-O-Rama, le dernier album en date de Narrow Terence, commençait à poindre un réel antagonisme entre les envies de plus en plus « loud-rock » de mon frangin et mes aspirations à aller vers une musique davantage soustractive, sensible et faite de grandes amplitudes dynamiques. Cet écart de vision artistique nous a conduits à de longues conversations esthétiques, parfois usantes, et a nécessité un gros effort de production artistique pour parvenir à un disque qui satisfasse à la fois les envies de l’un et celles de l’autre. Même si, a posteriori, je suis très content du résultat et qu'il m’arrive de réécouter cet album avec plaisir ; comme quoi l’équilibre instable du départ a tout de même fini par se stabiliser !

Toutefois, il faut le dire, cette expérience a nourri mon élan à créer un sas de composition autonome, sans partenaire de jeu (en tous cas, pas à l’origine), afin de renouer avec le plaisir d’écrire et composer tout seul, de faire mes erreurs et d’aller au bout de mes idées sans passer par la case « concertation » avec un groupe.


Est-ce que Narrow Terence est juste en sommeil ou faut-il considérer que c’est une histoire terminée ?

Narrow Terence, cela a toujours été un duo de frangins, porté au cours de son histoire par des musiciens brillants et sincèrement impliqués. A mes yeux, le moteur de ce groupe - ou tout du moins l’une de ces grandes richesses - fonctionnait pour beaucoup sur le contraste des natures humaines, des influences musicales, des aspirations et des lubies des frères fondateurs. Antoine et moi avons toujours été terriblement différents et complémentaires dans notre envie de faire de la musique. Cela a pour le reste eu pour effet de créer une émulation saine dans la direction de nos disques, chacun voulant dans une certaine mesure « convaincre » l’autre du bien-fondé de sa vision et l’embarquer avec lui dans son geste musical.

D’ailleurs, avec le recul, je m’étonne que cet équilibre sensible, né de forces contradictoires agissant avec la même passion, n’ait pas cédé en une explosion de toute beauté digne des frères Gallagher ! Quoiqu’il en soit, comme je le disais plus haut, et même si l’histoire n’a pas été aussi spectaculaire que pour Noël et Liam, il est arrivé un moment où nos envies et visions artistiques à propos du groupe se scindent partiellement. Moins de compréhension mutuelle, moins de confiance aussi, peut-être…

Puis, sur cet état déjà fragilisé des choses en interne, le succès très relatif rencontré par le dernier album Rumble-O-Rama nous a également porté un sacré coup. Cela nous a alors invités à prendre un temps de pause indéterminé dans l’optique d’arriver à se retrouver plus tard dans la naïveté, l’intensité et les contrastes qui donnaient son harmonie au groupe à l’époque. Aujourd’hui, et après d’autres événements plus personnels survenus ces dernières années nous ayant tenus loin de l’autre, nous évoquons à nouveau enfin avec Antoine la perspective d’une suite pour Narrow Terence. Nous y allons prudemment pour l’instant car bien des choses nous sont arrivées musicalement à lui et moi entre-temps, ; notre relation n’est plus parfaitement la même et nous sommes certains qu’il nous faudra renouveler en profondeur notre façon de procéder pour que le groupe se relance. Notamment en brisant l’autorité tacite du duo fraternel fondateur au profit d’un mode de composition et d’écriture plus collégiale impliquant autant les autres musiciens du groupe (à savoir Alexandre Viudes et Patrik Lerchmüller) que mon frère et moi-même. 


Tu avais ce groupe également, Wellbird, avec Sammy Decoster, dont un EP est paru en 2017. Y-aura-t-il une suite ?

Wellbird, c’était effectivement un quartet composé de Sammy Decoster, Jim Paillard (Retriever, Erevan Tusk, Starboard Silent Side…), Alex Viudes (Viudmoth, Narrow Terence, Erevan Tusk, Sammy Decoster…) et moi-même. Menü, le premier mini-album sorti en 2017 que tu évoques, avait été globalement créé et orchestré par Alex dont la particularité à l’époque était de jouer dans les projets des trois autres membres du groupe (en tant que batteur de Sammy, Erevan Tusk et Narrow Terence).

Ce groupe, c’est franchement un projet d’instinct, de respect et d’admiration mutuels mais surtout de franche camaraderie. Le groupe le plus cool du monde dans lequel jouer, honnêtement. Tout est simple, l’écriture rapide, la compréhension plutôt immédiate. Et ça rigole, par dessus le marché  : certains de nos échanges de mails en vue d’organiser les répétitions sont parfois partis très, très loin sur le baromètre Monthy Python ! Et à la fin des discussions, on ne savait toujours pas vraiment à quelle période nous allions répéter.

Donc, remettre le couvert avec Wellbird, on serait franchement tous bien d’accord pour le faire. Nous avons d’ailleurs une douzaine de titres en démos qui sommeillent à cette heure.

Le grand obstacle de ce projet, c’est les agendas de chacun. Quand l’un est libre, l’autre est sur le pont… Alors, on peine à trouver le moment opportun même si nous parlons régulièrement d’une suite. J’ai en tous cas bon espoir que 2024 soit l’année du prochain opus, justement car nous avons le matériau et qu’encore une fois, les choses peuvent aller très vite avec cette équipe.


© Jean-Marie Villeneuve

[Tereglio] est donc ton projet solo. On parle de « passé douloureux » à propos de ce qui t’a conduit à l’écriture de ces chansons, peux-tu nous en dire plus ou est-ce trop personnel ?

Au risque d’abattre un cliché immense, j’ai passé l’âge des 40 ans récemment et, comme beaucoup avant moi, j’ai connu quelques bouleversements en profondeur, essentiellement sur les plans sentimental et familial. Quand ton système s’effondre de cette manière, tu regardes naturellement ton passé avec un oeil plus aguerri et critique. Tu reviens loin en arrière et tâche de faire des ponts entre différents éléments de ta vie que tu imaginais sans rapports les uns avec les autres mais qui t’ont en fin de compte mécaniquement conduit dans une situation d’inconfort peu supportable. Et ce, alors même que tu pensais avoir toujours agi de façon pondérée, respectueuse et univoque avec tes proches et qu’eux-mêmes en faisaient autant.

J’ai longtemps réussi à vivre heureux en me lovant dans des mouvements ou des réflexions collectives que je finissais par croire miens. Une personnalité remplie d’absence visant obstinément à maintenir l’harmonie autour d’elle.

A vivre ainsi, on rencontre finalement assez peu d’antagonisme car la question du positionnement propre, de la décision claire est sans cesse renvoyée à plus tard. Et l’on perd alors avec le temps en densité pour ne devenir qu’une forme souple et un peu molle, indifféremment satisfaite par n’importe quel contexte. En luttant pour me réveiller de ce mode de fonctionnement, j’ai fini par comprendre qu’il me fallait tout simplement faire davantage de choix francs et ainsi m’essayer à des audaces jusque-là toujours contournées. D’ailleurs, si l’on devait n’en retenir qu’un, c’est bien la question du choix - et du renoncement qu’il implique fatalement - qui constitue le thème pivot de Woven Eyelids

Remuer toute cette tourbe a fait remonter son lot de douleurs et de fantômes que j’ai eu besoin de regarder un peu mieux dans les yeux. Dans ce contexte, créer [Tereglio] s’est imposé comme une nécessité. Une sorte de catharsis toute en mélancolie entrant en résonance avec les sentiments ultra-contradictoires qui se bousculaient à ma porte.

Rien de bien nouveau sous les tropiques, en fin de compte, sinon une énième tentative dans l’histoire de la musique de sublimer la souffrance pour y trouver un peu de lumière.


Quel as été l’accueil de ce répertoire sur scène lors des premières dates en novembre dernier ?

A vrai dire, les chansons de Woven Eyelids, je les joue sur scène depuis quelques mois maintenant. En formule solo jusque-là. L’accueil public est globalement bon. Je suis même surpris de découvrir, en discutant avec les gens après les concerts, à quel point la musique que je cherche à proposer est à ce point-là bien comprise, entendue.

Dans les commentaires que je reçois de la part du public, que ce soit sur les références citées ou la manière avec laquelle je « fabrique » mes chansons, les commentaires sont souvent très justes et cela ne manque pas d’animer mon enthousiasme à poursuivre tout ça et à continuer à jouer autant que possible. Les concerts ont souvent lieu dans des endroits intimes, tout du moins à jauge réduite. Et, chose réjouissante, même dans les lieux où les publics ne seraient pas censés être a priori si « captifs », l’attention portée au set est souvent religieuse et respectueuse.

C’est un plaisir car la nature profondément mélancolique des titres pourraient avoir sur le papier tendance à faire décrocher au bout d’un certain temps d’écoute. Mais non, paradoxalement, il m’est plutôt souvent dit que cette musique « fait du bien ». Comme quoi, un répertoire bien neurasthénique sait parfois soulager les âmes ! A côté de ces concerts en solo, j’ai aussi beaucoup joué aux côtés de mon ami-musicien Benjamin Nerot aka The Healthy Boy. Nous avons monté ensemble une création scénique sous forme de conversation musicale intitulée « Correspondances ».

Voix sépulcrale et guitare électrique, pour lui ; chant diaphane et guitare acoustique de mon côté. Le principe est que nous soyons tous deux sur scène et que le concert alterne du répertoire de l’un à celui de l’autre pour notamment mettre en contraste nos deux voix, si diamétralement opposées (chez Ben, le fantôme de Tom Waits rôde…).

Pour autant, en cours de concert, nous nous mettons peu à peu à jouer davantage l’un avec l’autre, en venant progressivement « se taquiner » à coup d’arrangements discrets, et les dernières chansons nous voient alors carrément finir sur quelque chose qui s’apparenterait presqu’à un duo.

J’ai par ailleurs monté plus récemment, dans le cadre d’une tournée Italienne, une formule un peu similaire avec mon frangin Antoine qui joue lui sous le pseudonyme de Ronin Jun. Cela a été une manière douce de se re-côtoyer sur scène, chacun avec ses propres chansons, avant de vraisemblablement aller plus loin avec Narrow Terence à l’avenir.

Enfin, au mois de février prochain, nous rentrerons en résidence avec deux anciens de Narrow Terence justement pour charpenter une formule trio, dans l’optique de proposer, après tous ces concerts faits seul ou presque, une version live plus à l’image des arrangements qui figurent sur l’album. Patrik Lerchmüller y jouera cuivres et piano, Alex Viudes percussions et claviers.


Que signifie [Tereglio] et quelle symbolique attribues-tu à l’utilisation des crochets ?

Tereglio, c’est tout simplement le nom d’un petit village Italien dans les collines, en Toscane. C’est donc là, au cours d’un voyage avec ma famille, et dans une période de recul personnel un peu existentiel, que l’idée de faire ce projet m’est apparue comme nécessaire.

Dans le mot « Tereglio », il y a le « Ter » qui renvoie sans doute aux « Terence » et « Terror » de Narrow Terence et Narco Terror. Et puis, il y a ce « g » muet, si spécifiquement Italien qui incarnait mon envie de relier ma musique à ce pays que j’aime chaque jour un peu plus. Tereglio, c’est ce genre de village, un peu isolé, à côté duquel l’on pourrait très facilement passer toute sa vie car il n’a en soi rien de singulièrement exceptionnel. Pourtant, lorsque l’on s’y rend et s’y promène, on est émerveillé par la vue sur les montagnes alentours, la précieuse tranquillité des rues et l’authenticité qui y règne.

J’ai ainsi eu la prétention de penser que la musique de [Tereglio] pouvait être comme ce village, un monde à côté duquel l’on peut très bien passer toute son existence, sans caractéristique fondamentalement exceptionnelle, mais qui, quand l’on s’y arrête, peut faire du bien et donner la sensation d’avoir trouvé un endroit caressant.

Quant aux crochets, ils révèlent à la fois l’intention très prosaïque de pouvoir être plus facilement identifiable sur le net et les réseaux mais aussi mon désir de faire une musique « étanche », cohérente, avec un périmètre, n’ayant pas pour ambition de tout explorer mais plutôt de s’inscrire avec la plus grande sincérité possible à un endroit choisi, précis et délimité : celui d’une dark-folk en empreintes refusant l’urgence moderne environnante. Des crochets aux intentions plutôt contradictoires, donc, voilà qui me va bien, il me semble.


Voici trois bonne nouvelles au moins : un très probable retour de Narrow Terence, une suite déjà écrite de Wellbird, et la poursuite de ce travail plus solitaire, introspectif et juste sublime.


Max Well



Woven Eyelids

Disponible en ligne sur l’ensemble des plateformes mais aussi au format LP 33t et CD.( Araki Records ::: ) 2024






Nous vous espérons nombreux & nombreuses le VENDREDI 7 JUIN à L'ARCHIPEL - PARIS (10è)

L'Archipel : 17 Boulevard de Strasbourg 75010 Paris  Résas et billetterie 


On pourra aussi compter sur NICK WHEELDON en " So Low ", pour assurer une première partie aussi délicate qu'écorchée.

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