Les débuts de la science-fiction sont souvent résumés à trois œuvres littéraires, d’origine britannique et française : Frankenstein ou le Prométhée moderne de Mary Shelley (paru en 1818), De la Terre à la Lune de Jules Verne (1865) et La Guerre des mondes de H. G. Orwell (1898). C’est infiniment réducteur, tant la production a été riche et variée dès l’apparition de ce nouveau genre, galvanisée par la déferlante de découvertes scientifiques au début du XIXe siècle, en astronomie, en physique et en mathématiques. Innombrables sont les histoires qui ont imaginé des inventions et des progrès qui rythment nos vies modernes, voire des évolutions comportementales qui ont marqué notre société.
L’exploration spatiale fait partie des thèmes de la SF où nombre de trouvailles et de visions sont passées du rêve à la réalité, à commencer par la conquête de la Lune. Improbable avec son obus lancé par un canon dans le roman de Jules Verne, le grand voyage démarrait cependant depuis la Floride, comme les véritables fusées du programme Apollo américain 104 ans plus tard ; et quand l’auteur, aidé dans ses calculs par des vrais mathématiciens, imaginait un périple de 97 heures et 20 minutes pour rallier l’astre des nuits, les astronautes d’Apollo 11 firent le trajet en « seulement » 51 heures et 49 minutes…
Aujourd’hui, les techniques spatiales sont tout simplement indissociables notre vie courante, sans pour autant que l’on s’en rende compte : sans satellites, pas de vision instantanée et à large échelle des phénomènes météorologiques et climatiques terrestres, pas de télécommunications sans câble entre les continents (finies, les retransmissions en direct des Jeux Olympiques), pas de positionnement au mètre près n’importe où dans le monde (qui permet par exemple l’atterrissage des avions par temps de brouillard)… Sans oublier la recherche scientifique, sur l’environnement cosmique, sur les modifications des organismes ou des matériaux en absence de pesanteur, sur la recherche de traces de vie passée sur d’autres astres (et donc le processus d’apparition de la vie sur notre propre planète), ou encore sur la compréhension des origines de l’Univers… Qui a conscience que, depuis plus de vingt ans, des hommes et des femmes vivent et travaillent dans discontinuer à bord d’une station orbitale qui fait seize fois par jour le tour de la Terre, à un peu plus de 400 km d’altitude ?
D’une certaine manière, c’est probablement la nouvelle américaine The Brick Moon (La lune de briques) qui, avec un peu plus d’un siècle d’avance, a anticipé deux utilisations de l’espace aujourd’hui quotidiennes : les systèmes de positionnement par satellite (qui permettent à vos smartphones de calculer vos itinéraires – le GPS américain depuis 1978, Galileo aujourd’hui en Europe, BeiDou en Chine…), mais aussi la Station spatiale internationale, bien connue pour avoir accueilli à deux reprises notre astronaute national Thomas Pesquet. The Brick Moon a été écrite par Edward Everett Hale, un… pasteur unitarien et réformateur social, auteur de quelques 150 livres et pamphlets, dont The Man Without a Country (L’homme qui n’a plus de patrie), devenu un classique de la littérature américaine. La nouvelle a initialement été publiée entre novembre 1869 et février 1870 en quatre parties dans le très respecté mensuel culturel The Atlantic Monthly. Sans dévoiler en détail l’histoire, celle-ci démarre sur la réflexion d’astronomes qui cherchent à offrir aux navigateurs un système de repérage céleste permanent, et lancent pour ce faire l’assemblage d’une lune artificielle, constituée de briques. Or une mauvaise manœuvre va expédier prématurément l’instrument autour de la Terre, avec des ouvriers et leurs familles en visite, formant la première colonie de l’espace… involontaire. Un peu désuète mais fondatrice, la nouvelle était connue de longue date des amateurs de SF et de spatial… sans jamais avoir été publiée en français. Depuis cet été, à l’initiative de l’association Histoires d’espace et des éditions Ginkgo, l’injustice est enfin réparée, le texte désormais traduit se voyant accompagné d’un appareil critique et de notes, qui permettent de resituer le texte dans son époque et de mesurer les véritables progrès effectués depuis par l’astronautique. L’introduction est signée par l’ancien président du Centre national d’études spatiales, Jean-Yves le Gall, tandis que le dessin de couverture a été confié au chanteur, écrivain et illustrateur Kent, grand amateur de science-fiction.
Pierre-François Mouriaux
La lune de briques – D’après les mémoires du Capitaine Frédéric Ingham
De Edward Everett Hale
Traduit de l’américain par Mary-Christine Pons-Vurpillot
Ginkgo éditeur, 146 pages, 13 x 21 cm, juin 2021, 12 €
ISBN 978-2-84679-476-3
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