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CICATRICES // PERSONA #12


© JP Noguès


Depuis plusieurs mois, le thème de la cicatrice nous taraudait, et c'est tout naturellement qu'il s'est imposé au sommaire du n°12 de PERSONA, glissant subtilement à travers une crise sanitaire qui comportait déjà en elle des béances d'inquiétudes. Bien nous a pris de lancer une contribution à qui voudrait donner un peu de son intimité, sachant qu'il n'est pas toujours facile de s'y livrer. Et nous avons reçu beaucoup de témoignages, d'instants privés, de mots poignants, percutants, assumés. Les pages de la revue consacrées au thème étant comptées, nous ne pouvions donc pas tout montrer, mais nous voulions tout de même honorer les envoies de chacun, d'où cette publication sur notre site pour qui n'a pas été publié au sein de la revue papier. Alors merci encore à tous pour votre participation, c'est cela qui fait sens et donne envie de poursuivre ce bel élan de partage.


©Bertrand Dillies «Agrafdos» // ©Emmanuelle Sarrouy «Août 2012» // ©Elise Bergamini «Asplénie» // ©Helen Ferguson «Sur les vielles cicatrices, poussent des fleurs nouvelles... » // ©Fred Allérat «Béance du cardia» // ©Cathimini // // ©Jesús Dïaz Redondo «Cicatriz» // JP Noguès.

 

LA CICATRICE

Par Angela Lugrin


Ce devait être un lundi après les vacances de Noël, le 7 janvier 1980. Après l’école, la petite fille était allée jouer au bac à sable derrière son immeuble avec les autres enfants de la cité puis était rentrée chez elle. C’est à ce moment-là que ça s’était produit.

Son frère avait allumé la télé pour regarder Récré A2. Assis l’un contre l’autre dans le canapé, dans leur sous-pull Ucla et leur jean, ils grignotaient une tartine de beurre. Tout s’était passé en quelques secondes. Un infime instant, le choc de l’inouï.

L’impact avait été immédiat et triomphal. Jamais plus elle n’en connaîtrait de pareil. Ce n’était pas ses cheveux longs flottant aux vents cosmiques, ni le bandeau noir qui cachait son œil droit, ni son regard obscur et implacable, encore moins sa cape noire aux revers rouges ou les têtes de mort sur les boucles de ses ceintures qui avaient arraché violemment la fillette du canapé orange sur lequel elle était assise… Non, tout ça avait laissé l’enfant de marbre.

Ce qui était apparu là, sans crier gare, c’était la balafre, la balafre d’Albator.

L’enfant avait été engloutie puis régurgitée par la cicatrice, cette bouche d’ombre, ce mince filament de nuit, puis rendue au jour, totalement transformée. Sa chambre à la tapisserie rose et fleurie l’avait-elle seulement reconnue ce soir-là au moment du coucher ?

Les petits traits noirs hachuraient avec radicalité la joue et l’arête du nez du jeune homme. La beauté de son visage scandaleusement cisaillée, blessée, maltraitée. Un immense crépuscule avait envahi le salon aux odeurs d’encens. Bien sûr il y avait la danse du corps, de son corps à lui, à la barre de son vaisseau spatial, la ronde des astres, les combats, les magouilles, la fatalité, mais tout ça tournait autour de sa balafre. La balafre-soleil et ses milliers de satellites. La cicatrice, elle faisait peur, elle défigurait, mais elle était cœur vif. Elle disait la violence et la défaite, le silence et le triomphe. L’enfant ne pouvait plus décrocher ses yeux d’elle. La cicatrice grossissait, approchant si près d’elle, lèvres obscènes prêtes à s’ouvrir pour la dévorer peut-être, ou alors pour la sauver, l’arracher à sa petite cité de banlieue, à son sous-pull synthétique qui mettait une telle électricité dans ses cheveux qu’elle préférait parfois dormir avec plutôt que de l’enlever.

Cette cicatrice était venue lui chanter les écueils, les grands vents, l’ivresse des jours noirs, les périls qui faisaient battre le cœur, et elle avait fait le choix de ne pas avoir peur. Comme ça sans réfléchir. Elle était montée à bord du Death Shadow.

Dans la cicatrice étincelait quelque chose d’un temps révolu. Une étoile avait brillé là et ne brillait plus. La petite fille, à partir de ce jour-là, préféra le souvenir de la brillance à la brillance elle-même. Avec la cicatrice d’Albator était venue la trace, avec la trace, la pensée de l’absence, avec l’absence, le manque et le désir.

Capitaine Flam pouvait aller se rhabiller.

 

CICATRICE DE TRANSPLANTATION CARDIAQUE

Texte & photo : Jonathan Pelletier

J’ai compté pour l’occasion, et j’en ai facilement trois douzaines. Alors pourquoi choisir celle-ci ? Certainement pour l’histoire qui va avec, car derrière chaque cicatrice il y a une histoire non ? C’est là la magie (ou la tromperie) car on peut raconter ce qu’on veut sur chaque balafre.

Les griffes acérées d’un tigre albinos pourfendant ma chair. La morsure profonde d’un serpent ailé et l’extraction douloureuse de son brûlant venin.

La balle reçue à la place de l’enfant orphelin en zone de guerre. Le poignard planté par trahison après un braquage difficile. Les contes et légendes peuvent commencer n’importe où, n’importe quand, et les cicatrices peuvent en être des preuves irréfutables,

surtout si l’on souhaite devenir mythomane. Mais qui voudrait raconter des conneries sur l’origine de sa cicatrice ?Elles sont toutes uniques et je revendique la préservation de leur authenticité.

Il y en a des douloureuses, d’autres sont insipides, celle que je montre aujourd’hui, je l’aime fort. Lorsque j’avais 18 ans, j’ai été attaqué par un virus inconnu et mon coeur s’est fortement affaibli. Atrophié de moitié et ne remplissant plus sa fonction, il irriguait mal tous mes organes qui s’épuisaient à leur tour. Le temps s’écoulait très lentement, je me déplaçais moins vite que les p'tits vieux sur la promenade en bord de mer, jusqu’à ne plus me déplacer et rester à contempler pendant des semaines le plafond d’une chambre d’hôpital bordelais. Loin des miens, loin des soirées amusantes avec les amis, loin des concerts de punk-rock qu’on donnait avec mon groupe, loin des douces soirées ardentes avec ma copine de l’époque, loin de tout, loin de toute vie.

Les jours passaient, l’espoir disparaissait. Fallait-il se résoudre à souhaiter la mort de quelqu’un qui serait fortement

compatible avec moi pour lui piquer son coeur ? Aurais-je un oncle caché qui pourrait user de son influence afin d’obtenir

un organe pas trop crado et pas trop cher sur le marché noir ? Ou fallait-il se laisser mourir car là était mon destin ?

L’espoir s’était barré et me laissait seul avec l’ennui. Tout me dégoutait alors : les livres, la musique, les films, l’art, les gens, la nature… Toutes ces formes de vie ou de création qui suscitaient des émotions m’écoeuraient, jusqu’à ce jour où j’ai fini par accepter ma propre mort. Etrangement, tout redevenait beau. Le vent, l’arbre, les fleurs, l’enfant qui s’amuse, la chaleur du soleil provoquant ce doux frisson sur ma nuque. Et puis, un jeudi matin de décembre de l’an 2002, comme un conte de Noël, un coeur était là pour moi. La preuve : ma cicatrice.


Albums qui m’ont accompagné pendant cette cicatrisation :

Sigur Ros - Agaetis Byrjun / Cake - Fashion Nugget / Calexico - The Black Light /

Air - Moon Safari / Mahavishnu Orchestra - The Lost Trident Sessions /

At the Drive-in - Relationship of Command / Jimi Hendrix - South Saturn Delta

 

CLAVICULA SONATA

Par Emmanuelle Sarrouy

sous le clavicorde désarticulé le corps danse les membres désaccordés sous le clavicorde le corps danse dans un déhanché claviculaire ensoleillé de matières premières sous le clavicorde la clavicule ondule serpente s’allonge s’étend s’élève et se suspend au-dessus du clavier qui martèle joyeusement quelques notes hypnotiques sous le clavicorde danse petite clavicula danse jolie sonata étire ton os déforme ton S empare toi de la forme dessine reconstruis le sens invente de nouvelles formes réorganise l’espace au-dessus des notes enflammées qui s’échappent à l’infini de l’hystérique clavier

 

UNITÉ

Par Yan Kouton

Parfois cela

Reste ainsi

Plein ciel

Évaporé

Mémoire

Intacte

A peine

Effarouchée

Par l’approche

D’une pluie

Errante

Qui ressemble

A des cicatrices

Infimes


Parfois cela

Se règle à

L’inspiration

Un truc sanguin

Et tapageur

Comme un

Accident singulier

Le genre d'

Hémorragie de

Mémoire en

Fuite

 

PERSONA #12

AU SOMMAIRE DE CE NUMÉRO : REBEKA WARRIOR// MINIMAL COMPACT // JEHNNY BETH // CYRILLE LATOUR // OLIVIER MELLANO // BRUNOÏ ZARN // VERSARI // THOMAS HOWARD MEMORIAL // KENT // LOVATARAXX // ADRIEN M & CLAIRE B // LUNATRAKTORS // BÄRLIN // BLIND SEATS // MY CONCUBLINE // LANE // COMPLOT // ARNAUD POLLET // ANGELA LUGRIN // PASCAL PACALY // THEO HAKOLA // ARRACHE-TOI UN ŒIL // MAUD BERTHOMIER // JAMES ELEGANZ // GIL RIGOULET // HOMMAGE À CHRISTOPHE AINSI QU'À GENESIS P-ORRIDGE…

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