Mirabelle Gilis, violoniste, multi-instrumentiste et compositrice, prend son envol en devenant une chanteuse à part entière avec son EP cinq titres Rivière. Elle y révèle toute sa délicatesse, ses fragilités et ses forces, dans une échappée belle au sein d'une pop sincère composée au violon, à l’alto, aux synthétiseurs et d'un cœur électrisant. Pour l'écriture de ses mots en chansons et révéler plus profondément ses racines, elle s'accompagne de valeurs sûres comme Christophe Miossec et Marcel Kanche. En résulte un disque aux enchevêtrements délicieux plein de douce amertume, d'échange authentique, de bout d'espérance, de détour rugueux sans compromis. Autant de magie mélodique où sa voix feutrée s'impose comme une évidence.
Qu'est-ce qui t'a mené à construire ce nouveau chapitre, ce nouvel EP ?
C'est un long cheminement. J'ai eu différents groupes que j'avais montés, en Turquie, à Paris, à Londres, puis ensuite à Brest où à chaque fois il y avait un chanteur ou une chanteuse. Pour des raisons diverses, les groupes se sont séparés, tout comme nos chemins. C'est un vrai besoin d'indépendance, je pense, et un besoin d'exprimer quelque chose de vraiment personnel. J'adore accompagner des chanteurs ou des chanteuses, j'ai fait ça pendant quasiment vingt ans, mais là, j'avais envie de m'exprimer, d'avoir mon chez-moi.
Ça te permet aussi de développer un univers plus intime ?
Oui, plus intime. Pas seulement j'espère, mais c'est aussi que j'avais envie d'explorer ma voix, je commençais à sentir des frustrations avec le violon, même si c'est un instrument très expressif. Je sentais qu'il me manquait quelque chose, que j'étais coincée et je savais qu'il fallait que ça passe par la voix pour avancer. En même temps, la voix, c'est extrêmement fragile. C'est beaucoup de travail, c'est encore plus à vif, à nu, que le violon, du coup. C'est incroyable la précision que ça demande. La justesse d'expression, et c'est un peu ce que je recherche.
C'est un projet en ton nom, ça t'implique donc beaucoup plus !
Oui, c'est pour ça que j'ai mis du temps avant de sortir cet EP. Je suis plus exposée avec ma voix et j'ai mis du temps avant de définir vraiment ce que je voulais dire. Je me rapproche de moi-même dans une démarche sincère, mais je collabore aussi avec deux artistes : Il y a un texte de Marcel Kanche et un texte de Christophe Miossec. Pour le morceau Rivière, c'est l’adaptation d'un texte que j'avais écrit en anglais, que je chantais en anglais au Vietnam, pendant ma résidence.
Le fait d'adopter des textes écrits par d'autres te donne plus de facilité à l'interprétation ?
Peut-être une forme de détachement, aussi. Mais Christophe qui avait déjà écrit pour Amirales et Falaises, a écrit La Prunelle de ses Yeux pour moi. C'est vraiment quelqu'un qui sait écrire pour nous, pour moi. Donc, je me sens vraiment très proche de ses textes. Je lis beaucoup de poésie en ce moment aussi.
Pour t'inspirer ?
Oui, j'ai mis en musique un texte que j'aime beaucoup de Charles Juliet, qui a disparu cet été, sur la question de l'indépendance, de la libération des femmes. C'est un questionnement qui me plaît.
On voit que tu as un rapport à l'humain très présent dans cet EP. C'est aussi une forme de combat que tu mènes ?
Depuis l'enfance. J'ai passé mon adolescence à essayer d'échapper à un père très possessif, très rigide et très dur. J'ai fait le mur beaucoup de fois. J'étais indisciplinée. Il y a chez moi un rapport très récurrent à la fuite. On m'a souvent dit d'arrêter de fuir aussi. Parce que je suis partie dans mille pays, j'ai eu beaucoup d'histoires avec une vie un peu aventureuse. Et en même temps, j'ai toujours aimé cette vie-là. Mais c'est aussi une question de libération. J'ai un besoin de liberté énorme en tout cas. Donc ma démarche musicale, ça a été forcément en rapport avec ça. Étudier le plus de styles de musique possible pour trouver un langage à moi.
Tu parles beaucoup de liberté, de la relation complexe avec ton père et cette envie de fuite. C'est aussi une façon de te frotter à des centres d'intérêt et des univers différents pour expérimenter de nouvelles choses peut-être ?
J'ai une vraie curiosité du monde. J'ai eu la chance quand même, je dois bien ça à mon père, de m'avoir fait faire de la musique à l'âge de 4 ans et d'avoir voyagé énormément. Lui, c'était un aventurier, il partait un mois, c'était génial. Il nous ramenait des cassettes de musique de tous ses voyages en Chine, au Pakistan, en Inde, au Yémen. Du coup, j'ai vraiment cette fascination pour les musiques du monde avec d'autres approches du violon.
Quand tu parles du violon, on sait que c'est un instrument qui demande beaucoup de rigueur, mais qui transmet une grande panoplie d'émotions avec un aspect plus électrique parfois chez toi. C'est pour t'inscrire dans un mode plus contemporain musicalement ?
Oui, complètement. Ça fait des années que je fais des recherches de sons de synthés égalerment. Je n'avais pas vraiment de culture pop. C'est venu vraiment bien plus tard et ça a mis du temps avant de savoir ce que j'aimais... ce qui me plaisait. Avec mon ami François Joncour, avec qui je joue beaucoup en Bretagne, je joue des synthés modulaires et avec cet EP j'ai essayé d'imiter les synthés avec mon violon, avec toutes sortes de pédales et d'imiter aussi les guitares électriques. Forcément, pour moi, avec mes goûts c'était complètement logique d'avoir ce mélange-là. Comme je compose de manière générale sur la route, loin, je fais avec ce que j'ai : un ordinateur, une carte son, un clavier maître ou un petit synthé et mes cordes, mon violon et mon alto. C'est comme ça que je travaille.
On sent vraiment chez toi qu'il y a une sorte de cheminement intérieur avec une place importante pour la rencontre.
Tu sais, j'ai changé de pays, de ville, de cercle d'amis plusieurs fois. À chaque fois, il faut tout recommencer, tout reconstruire, retrouver des groupes, des liens. Il y a une forme de solitude dans cette vie-là, même si c'est la vie que j'ai choisie et la vie que j'aime. Mais il y a une envie de me faire du bien, je crois. De me rassurer, d'amener de la douceur, d'enrober tout ça, parce que je trouve que le monde est assez violent. J'essaie de composer et de faire des chansons qui tiennent chaud, en créant des familles, en fait. C'est un peu ce que je suis en train de faire en ce moment, en revenant un petit peu à Paris, rencontrant de nouvelles familles amicales, de nouvelles familles de musiciens... c'est enrichissant, et il y a une envie de travailler plus au féminin aussi. Je commence un duo avec Alice Lewis, c'est une aventure, c'est génial de travailler comme ça, entre femmes et actrices. J'adore, c'est passionnant. Et j'ai envie de continuer à explorer ça, parce que dans la musique actuelle, j'ai passé 90% de ma vie à travailler avec des hommes. Maintenant, j'ai envie d'explorer autre chose.
Maintenant, on voit de plus en plus de groupes 100% féminins qui émergent, et ça, c'est très bien. Ça ouvre les sensibilités !
Je ne suis pas forcément pour que ce soit des groupes avec uniquement des femmes ou des hommes. La mixité c'est beaucoup plus simple, comme en Angleterre. J'ai passé deux ans à Londres, les groupes sont mélangés, ce n'est pas un problème, ce n'est même pas un sujet, en fait. Les femmes ont accès à la musique, dans tous les styles de musique depuis l'enfance, beaucoup plus que chez nous, et de manière beaucoup plus naturelle. En France, on est encore très en retard sur ce sujet. C'est assez fou.
C'est une question de culture, et de mentalité ?
Oui forcément, il faut bousculer tout ça.
Ton album est maintenant disponible. Vas-tu préparer la scène et avec qui ?
Oui, j'ai une sorte de résidence à Vendôme. Je suis accompagnée d'un guitariste incroyable, Jeff Dijoud, qui est notamment un des guitaristes d'Archive, mais aussi de Guillaume Rossel. Ils ont un son incroyable. Les morceaux sur scène vont être beaucoup plus rock, même si l'EP ne l'est pas vraiment. C'est parfait pour moi, ça me ressemble.
Je t'avais vue aux Transmusicales, et aussi avec Miossec, bien sûr, et on voit bien que la scène c'est quelque chose d’important pour toi.
Oui, j'ai toujours été sur scène. J'ai commencé l'orchestre symphonique à 9 ans, et pendant toute mon adolescence. Je ne pourrais même pas comptabiliser le nombre de gens avec qui j'ai joué (rires) mais j'adore ça. En même temps, ça m'effraie, parce que j'ai beaucoup de trac en moi. Je me fais toujours des montagnes de stress avant de monter sur scène, mais une fois que je monte sur les planches, c'est terminé, et je me sens vraiment bien là. Je me sens bien parce que je me sens protégée, c'est hyper bizarre. Je me sens chez moi, en fait.
Stéphane Perraux
Rivière (LVP Records) 2024
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