©Gilles Crampes
LE FEU VIBRANT, par Stéphane Perraux
Métaphore d'un rite créatif où deux phases se croisent pour épouser les mêmes accords dans un espace de poésie, cathartique. Karen Lano et Marie Lesnik explorent ensemble en acoustique, sur un principe de liberté des raccords égaux en accord avec leurs sensibilité propres. Sortilèges offre ainsi une place propice à l’installation d'une union farouche, précieuse, mordante comme le feu, dans une édition limitée qui revisite trois titres du précédent album de Karen Muses (sorti Le 5 Février 2021) accompagné d'un titre inédit. Clairement consciente de l'esprit partenaire qui les unis et pour en tirer le meilleur parti, les aspirations et les bienfaits sonores infiniment valorisés qu'elles procurent sont autant de pouvoirs magiques que l'on écoute l'esprit ouvert. En parcourant de frissons nos cortex et nos peaux, elles explorent un itinéraire riche et nouveau, hors des sentiers, des sources et des abris, mettant en abîme une intimité sobre au premier plan, qui ne pouvait que nous séduire. Karen nous accorde un savoureux temps d'échange pour nous livrer quelques-uns des ingrédients de leurs Sortilèges.
Quelle était votre motivation initiale pour composer cet EP avec Marie Lesnik ?
C'est parti de chansons que j'avais écrites et auxquelles j'avais envie d'apporter une vibration féminine, avec une esthétique acoustique pour les instruments. Je voulais faire un disque de sorcières, comme un rituel au coin du feu.
Comment vous êtes vous rencontrés avec Marie Lesnik ?
Par l'intermédiaire de la regrettée Nathalie Réaux et son projet Pagan Poetry, dont Marie faisait partie . J'ai tout de suite aimé sa voix et son jeu, elle a une sensibilité à fleur de peau, c'est une merveilleuse chanteuse et musicienne.
Et qu'est ce qui selon toi provoque cette alchimie prégnante entre vous ?
Marie et moi avons beaucoup d'aspirations communes : le lien à la nature, au conte, au sacré. Nous sommes toutes les deux sensibles au fait qu'il existe une autre façon d'être au monde, au delà de son aspect matériel. Nous cultivons la croyance en un monde invisible, ancestral et spirituel.
Karen, au niveau esthétique aussi bien qu'au niveau des textes il y a toujours cette dimension mystérieuse qui plane au-dessus de tes chansons. A quoi cela tient-il selon toi ?
J'aime la poésie et le mystère, deux choses qui vont à l'encontre du monde tel qu'il évolue actuellement. L'immédiateté et l'intimité sont les deux mamelles du monde numérique. Cultiver un regard poétique ainsi que le droit au mystère devient un véritable engagement. C'est le mien.
Dans les ingrédients de ce Sortilèges, (presque plus que dans Muses) il y a une réelle douceur sensuelle qui s'accompagne d'une poésie abyssale. Comment avez-vous aménagé/arrangé l'acoustique autour des 4 titres que compose l'EP ?
Nous sommes parties des voix, l'instrument le plus sensuel. Faire transpirer sa sensualité sans verser dans la séduction. J'aime cela. Nous avons habillé les voix petit à petit, en ajoutant juste ce qu'il fallait à mon goût. Nous avons fait du sur mesure
Ophélie est un titre fort, presque mystique, intrigant. Y'a t'il une référence au personnage de William Shakespeare et par déformation à la toile de John Everett Millais ? Que représente t'il pour toi ?
Oui tout à fait, pour les deux. J'avais adoré lire Hamlet. J'avais aussi été très impressionnée par la folie de Kate Winslet dans l'adaptation de Kenneth Branagh. Enfin, le tableau de Millais m'a bouleversée. Ce personnage me hante par sa quête d'absolu et son romantisme profond. Il y a quelque chose de l'ordre du deuil impossible qui me touche.
Le titre Vagabonde possède une séduction intime qui frise le rêve ou le fantasme nocturne. C'est aussi ton côté sensuel qui s'exprime là ?
Je crois qu'il s'exprime un peu partout car la sensualité est un fil conducteur, elle permet l'expression du souffle, un élément essentiel au chant. J'adore l'entendre sur les enregistrements. J'ai imaginé Vagabonde comme une caresse en réponse à la lourdeur des questionnements qui tourmentent nos existences.
L'esthétique du clip de Vagabonde est par ailleurs particulièrement subtil et en souligne encore la poésie. Avec qui l'avez-vous réalisé ? Pourquoi avoir choisi l'animation comme support visuel ?
C'est Selena Fontaine, une réalisatrice avec laquelle j'avais fait deux clips pour mon album Muses. Elle a beaucoup de talent et un grand enthousiasme. Toutes les deux, nous avons un langage commun qui passe par la joie de créer. Comme la pochette de Sortilèges est un dessin original, je trouvais beau que le clip associé à l'EP soit aussi en animation. J'adore cette dimension de conte que ça lui donne. J'ai été troublée de découvrir le clip d'Anne Paceo Reste un oiseau, qui je trouve, fait un jeu de miroir avec Vagabonde.
Chez toi, Karen, il y a deux facettes qui ressortent à mi-chemin, entre féérie traditionnelle et modernisme électrique que vous équilibrez avec subtilité (présent sur Sortilèges, comme sur Muses par ailleurs). Si je ne me trompe pas, tu te situes juste au milieu ? Mais as-tu un peu plus d'attirance pour l'un ou l'autre facette ?
Non, je crois que ce qui me caractérise le plus, c'est d'aimer les paradoxes, je suis très yin-yang, masculin-féminin, lune-soleil. Un jour, une femme m'a dit que mon signe astrologique et mon ascendant sont les deux signes les plus opposés du zodiaque, cela ne m'étonne pas. Je me sens construite sur ces forces contraires et complémentaires. Je ressens la même chose en musique. J'ai toujours composé à la fois des chansons de structure dite classique et des chansons au format plus éclaté, voir progressif.
Pour autant, malgré une écoute successive j'ai du mal à déterminer si chez toi c'est le côté sombre ou lumineux qui prime. Ce côté ambivalent te ressemble-t-il ?
Même chose. Les deux. Nous sommes toutes et tous constitué(e)s d'ombre et de lumière. Le vinyle est d'ailleurs pensé comme ça : Face A : coté sombre, Face B : coté lumière.
Si tu devais décrire ton univers en un mot quel serait il ?
Vibrant.
Karen Lano // Marie Lesnik - Sortilèges - 15/06/22
Comentarios