Nous avions quitté le fascinant compositeur François Merlin l'année dernière avec Les Magnifiques. Nous retrouvons cet orfèvre, alchimiste, mélodiste, avec un plaisir non dissimulé pour vous parler du 1er volet d'un diptyque intitulé Nous Autres. Le projet, à l'éclectisme riche, développé à l'instar d'un ensemble de trois spectacles autour de l'autisme, ouvre des perspectives auditives et sensorielles d'une altérité nécessaire, tout en en soulignant la capacité créative captivante.
François nous en livre ici l'essence ainsi que quelques petits secrets de fabrication...
Après Les Magnifiques, tu reviens avec Nous Autres I, quelle était ta motivation pour réaliser ce nouveau disque ?
C’est amusant de revenir avec ce disque, parce que les titres de Nous Autres I ont été écrits à la même période que celles des Magnifiques mais dans un contexte bien différent. Nous Autres est le nom d’un triptyque théâtral de la compagnie Les Eduls (Emma Pasquer) autour de l'autisme et de l'expérience de l'altérité au sens large, qui rassemble donc trois spectacles : Ma fille ne joue pas, Atypiques (à partir de 10 ans) et Cabane (jeune public, à partir de 6 ans). Ce disque en est la trame sonore.
La sortie de l’album célèbre la programmation du triptyque qui s’achève tout juste au Théâtre du Chariot (Paris). C’était un moment important et une joie pour l’équipe de rassembler toutes les créations qui gravitent autour de ce projet titanesque : trois spectacles, un disqu,e mais également une exposition photo, une lecture et un podcast de dix épisodes. Je suis enthousiaste de participer à ce moment et de faire découvrir de nouvelles compositions aux personnes qui s’intéressent à ma musique à cette occasion.
Comment as-tu conçu les dix titres du volume 1 et avec qui as-tu collaboré ?
Il s’agit d’un travail de commande pour le théâtre, la composition a donc été travaillée en collaboration étroite avec Emma Pasquer, qui a conçu le triptyque. Nous avons fait des allers-retours constants entre la scène et le studio, et travaillé de manière assez variée pour chacun des trois spectacles, qui ont des univers musicaux différents, allant du post-rock à la musique ambient DIY. La clé musicale que nous avons trouvée pour voyager dans ces univers repose sur une architecture faite de thèmes récurrents qui évoluent, permettant de naviguer entre des compositions parfois enveloppantes, parfois menaçantes voire agressives, et qui créent un environnement acoustique caractérisé par la recherche inlassable d’une stabilité qui échappe constamment. Sans être illustrative, il me semble que la musique permet ainsi de faire résonner l’expérience de l’altérité. Les dix titres de Nous Autres I proposent un premier chemin d’écoute dans cet environnement musical conçu pour les spectacles.
Il y aura donc deux volumes. Pourquoi les scinder ?
Nous Autres II est disponible depuis le 12 novembre. Je suis impatient que l’on puisse le découvrir et retrouver, à côté de nouvelles compositions, des thèmes déjà présents sur Nous Autres I.
Le thème Diagnostic (réelle colonne vertébrale des spectacles et des disques) va par exemple trouver sa résolution dans le volume 2. A lui seul, ce thème est un bon résumé de la diversité des univers musicaux et des techniques d’enregistrements utilisés dans ce disque : composition et enregistrement pour une boîte à musique, manipulation d’un enregistreur à bande (changement de vitesse), piano jouet et manipulation sonore via dictaphone, écriture pour trio de cuivres. Le thème trouve sa résolution dans une ultime version post-rock, qui clôture ce deuxième volume.
Jongler avec une tel éclectisme n’était pas simple : il y a encore quelques semaines il n’y avait qu’un seul et unique disque de 20 titres dans mon ordinateur, mais l’écoute intégrale était assez exigeante, et l’un des titres ne trouvait définitivement pas sa juste place dans le tracklisting. En séparant en deux volumes, la répartition des titres est devenue une évidence, et propose un parcours d’écoute bien plus intéressant, digeste et équilibré.
Quelles étaient les attentes en fixant cette trame sonore ?
J’ai longtemps douté de la possibilité de fixer ces musiques dans un album, et c’était une recherche assez passionnante : comment compenser l’absence de la scène (la voix, le corps, le décors, les vidéos, les lumières) ? Comment rendre l’émotion des spectacles ? Comment faire sentir plutôt que de raconter ? Comment passer de l’écoute collective en salle à une écoute individuelle ? Pour le disque, certaines compositions ont été modifiées dans leurs structures, de nouveaux arrangements (cordes et cuivres) ont été enregistrés, quelques inédits ont été ajoutés.
J’ai ensuite travaillé le mixage avec Tristan Renet (Maps and Foils, Papas Corp, Venera 13) pour donner aux enregistrements extraits d’époques et de spectacles différents une cohérence, qui trouve son aboutissement dans le mastering de Sébastien Lorho (Matmatah, Octave noire, Dominic Sonic, Mermonte).
L’album est à présent autonome et fonctionne par sa propre structure, on y retrouve certaines des émotions des spectacles sans qu’il en soit une simple traduction.
Après autant d’années à faire de la musique dans de multiples projets et des ambiances très différentes, où trouves-tu cette envie de créer sans jamais t’épuiser ?
Le changement est justement le moteur : essayer au maximum de ne pas se répéter.
Pour Les Magnifiques : le deuil, une musique instrumentale orchestrale, le travail solitaire, apprendre de nouveaux instruments et de nouvelles techniques d’enregistrement, l’objet vinyle.
Pour Nous Autres : l’altérité, la musique de scène, le travail collaboratif, les samples, les musiques électroniques, l’écriture thématique, le CD DIY.
Chaque projet doit donc trouver son propre parcours… A une époque où il est aussi « facile » d’enregistrer de la musique et de la diffuser, il me semble essentiel de prendre le temps d’aller au bout d’une idée.
Pour la suite, trois pistes sérieuses s’offrent à moi. Je ne sais pas encore laquelle suivre mais le choix sera très probablement orienté par des éléments extra-musicaux : une rencontre, une envie de découvrir un nouvel instrument, enregistrer autrement, ailleurs, etc. Il faut que les choses s’alignent et dessinent un parcours intéressant. En attendant, je ne sais pas encore où je vais…
Au-delà de l’aspect purement artistique, ce projet Nous Autres retrace aussi une forte notion humaine qui semble occuper une part importante de tes préoccupations ?
Bien sûr, je ne l’imagine pas autrement. L’humain est l’objet, le moyen et la raison d’être de ma musique.
Tenter de communiquer (y compris sans mots) quelque chose à quelqu’un me semble un bel objectif.
En plus de ça, je crois composer de nouveaux disques avant tout pour passer du temps et travailler avec mes amis : Claire Besuelle (au chant), Tristan Renet (mixage) et Dylan Cozian (artwork) sont toujours présents.
Même si les thématiques sur lesquelles nous travaillons ne sont pas toujours joyeuses, c’est toujours un énorme plaisir de se retrouver pour chercher ensemble. C’est également un moyen pudique de prendre des nouvelles les uns des autres sur des sujets importants.
Pour Nous Autres, la dimension humaine était d’autant plus une évidence que, sur scène, Emma tire les fils de sa propre histoire. La moindre des politesses était de ne pas la laisser y aller seule et de l’accompagner encore par ce disque, en musique.
Stéphane Perraux
Nous Autres I (15 octobre) / Nous Autres II (12 novembre)
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