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Dominique A // Quelques lumières

Dernière mise à jour : 24 mars



On a parfois entendu Dominique A exprimer des regrets sur certains de ses disques ou morceaux passés, dont le résultat n’était pour lui pas à la hauteur de ce qu’il espérait, ou trop éloigné des intentions de départ.

Insatisfaction propre à de nombreux artistes, certains allant jusqu’à ressortir leurs albums dans des versions corrigées. Quelques lumières, rétrospective 2 CD ou 3 LP de près de deux heures (l’une avec orchestre, l’autre en trio), offrait-elle au chanteur l’occasion de présenter sous un meilleur jour quelques-unes de ses créations considérées à tort ou à raison comme des canards boiteux ? Peut-être – et il aurait eu tort de se priver.



Pour certaines mauvaises langues, ce serait surtout une façon de pallier un manque d’inspiration. Opinion très discutable dans la mesure où le recueil offre trois beaux inédits (dans la partie trio), et par ailleurs monsieur Ané ne semble pas trop souffrir du syndrome de la page blanche. Voyons-y plutôt le bilan d’étape d’une riche carrière, un peu plus intéressant et attractif qu’un simple best-of. Un pas de côté, aussi, comme sa récente création autour de l’œuvre de Patrick Modiano, sur des textes de Jean-François Mondot.

L’exercice orchestral n’est pas nouveau chez lui. On se souvient d’un superbe concert il y a 10 ans presque jour pour jour à la Maison de la radio avec l’orchestre national de France.

 



 

Et l’utilisation d’instruments classiques sur ses disques ne date pas non plus d’hier : on pense notamment à l’album Vers les lumières, qui avait été enregistré avec une section de vents. C’est toutefois la première fois qu’il se repose entièrement sur un ensemble classique (l’orchestre de chambre de Genève, en l’occurrence), sans le soutien des habituels guitare, basse, batterie.

Le choix de certains morceaux n’étonne pas vraiment : La Mémoire neuve, Eléor, Au revoir mon amour, Rue des marais ou Immortels, par leurs atours classiques ou leur écriture ambitieuse, semblaient appeler ces efflorescences de cuivres, de bois et de cordes – plus que Mes lapins ou Pignolo sur sa barquette, disons. Les arrangements signés David Euverte (collaborateur de longue date), à défaut d’offrir de grandes surprises sonores, leur apportent une ampleur, une profondeur de champ qui ne tourne jamais à la démonstration de force ou au pompiérisme.

 

On sent aussi dans le chant la volonté d’incarner davantage les chansons, ou de plus les raconter – et en cela, Dominique A se rapproche sans doute moins du rap français que de grands anciens, même si on l’imagine mal atteindre un jour l’expressivité de Brel ou du Ferré de Monsieur William. De ce point de vue, Rue des marais, évocation sensible et embuée de l’enfance, est peut-être la plus belle réussite. L’instrumentation renforce la dimension narrative de la chanson et, par son côté rétro, accompagne finement cette plongée sans nostalgie dans le passé. Le procédé paraît un peu plus décoratif sur Vers le bleu, dont la mélodie plus affirmée laissait sans doute moins d’espace à une réinvention orchestrale. Mais pas non plus de quoi faire la fine bouche, pas plus que devant la pop symphonique classique mais parfaitement exécutée du Temps qui passe sans moi, l’une de ses compositions des dernières années qui aurait mérité un vrai succès populaire.



Le Twenty-Two Bar, morceau avec lequel son créateur entretient un rapport compliqué, ressort, lui, totalement transfiguré. On a l’impression d’être dans une vieille salle de bal plutôt que dans une arrière-salle de bar. Après celle, fameuse, des Victoires de la musique, chantée contre l’orchestre, contre la profession, et peut-être contre la chanson elle-même, serait-ce la version de la réconciliation ?

L’exercice se révèle particulièrement ludique dans le cas de morceaux particulièrement dépouillés au départ.

Dont bien sûr Le Courage des oiseaux, maintes fois revisité par Dominique A au cours de sa carrière, et qui se termine dans une furie stravinskienne. Quant au toujours impressionnant Corps de ferme à l’abandon, il perd un peu en tension, mais joue efficacement sur les contrastes sonores.


La partie trio (avec Julien Noël au piano, Sébastien Boisseau à la contrebasse et un peu de guitare) prend assez logiquement le contre-pied, en retranchant au lieu d’ajouter, en débarrassant certaines chansons de leur emphase (Ce geste absent, L’Océan, Tout sera comme avant…) pour les ramener à l’essentiel. Comme aux débuts de sa carrière, en quelque sorte, mais c’était alors par nécessité, tandis qu’ici c’est par choix. Et il suffit de comparer la version originale de Chanson de la ville silencieuse, bricolage lo-fi avec boîte à rythmes étique, claquements de mains et voix doublée au refrain par Françoiz Breut, et la nouvelle, aérée, épurée, aux allures de classique intemporel, pour mesurer le chemin parcouru en un peu plus de trente ans. Certains y verront une normalisation, une recherche d’un art anobli qui évacuerait les imperfections et l’anecdotique (dans les paroles, le saillant et très visuel « manger des biscuits » est ainsi devenu « manger quelque chose »). Peut-être, mais va-t-on reprocher à un artiste d’évoluer et, au fond, de s’améliorer ? Et de rechercher, la cinquantaine passé, l’harmonie plutôt que la dissonance (il est à cet égard révélateur qu’aucun extrait de Remué ne soit au programme) ?

On doute que Dominique A s’en soucie beaucoup, lui qui remet une pièce dans la machine sur l’inédit Chemise à fleurs : « Même si je ne suis pas triste / Dès que je chante ça devient sinistre ». C’est le destin de tout artiste populaire, ou du moins un peu connu : il doit accepter la vision souvent réductrice que le public a de lui et de son œuvre. Les plus talentueux savent s’en amuser, en jouer, s’autoriser des libertés sans forcer leur nature (Dominique admire son ami Katerine et sait qu’il serait incapable de faire la même chose). C’est sans doute la leçon à tirer de ces Quelques lumières qui éclairent l’un des plus beaux parcours de la musique d’ici.

 

Vincent Arquillière




 Quelques lumières 2 CD ou 3 LP (Label : Cinq 7 / Wagram Music) octobre 2024

 
 
 

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