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DOMINIQUE A // Le Temps Retrouvé



©Jerome Bonnet


A l'automne dernier sortait le dernier album de Dominique A, Le Monde Réel ainsi que son premier livre de poésie Le Présent Impossible.

PERSONA s'était alors entretenu une nouvelle fois avec lui. Depuis, et une plaque de verglas qui l'immobilise, la jambe dans le plâtre, obligeant le chanteur à reporter les dates de la tournée, un nouveau disque 8 titres s'apprête à sortir le 3 mars prochain, nommé Reflets du Monde lointain. "Pas une ressortie bis de l'album avec des inédits 6 mois après, mais un disque à part entière, imaginé dès le départ comme tel. Il sortira bien sûr en cd, digital, et surtout, surtout, en Maxi 45 tours ! " précise Dominique.


Reflets du Monde lointain (Cinq7-Wagram) Mars 2023


PERSONA vous propose ici d'en découvrir un extrait et de vous offrir en bonus les parties inédites de notre entretien.



La guitare est ton instrument principal, mais ici sur Le Monde Réel on en entend peu. Il y en a pourtant, mais de façon déguisée et pas reconnaissable. En fait il y a beaucoup de nappes qui proviennent d'un seul et même effet, décliné sur pas mal de chansons. Pour Le manteau retourné de l'enfance j'imaginais un son très éthéré que nous n'arrivions pas à trouver avec les instruments acoustiques. En tombant sur un vieil ampli Vibratone que j'ai mêlé à une pédale de réverbe sur ma guitare, j'ai obtenu ce son que je recherchais. De fil en aiguille, on en a mis sur pas mal de titres au final. Après coup, ça m'a rappelé le travail que nous avions fait avec Gilles Martin sur La Mémoire Neuve : Il y avait un Moog qui traînait au studio qu'on avait utilisé pour s'amuser et qui finalement a coloré l'ensemble du disque. Je ne dirais pas que cet effet-là est prédominant sur Le monde Réel, mais il est quand même présent. Quand tu écoutes un morceau comme Nouvelles du monde lointain, tu le sens, mais ça n'est pas identifié comme une guitare. Ce sont des nappes fantomatiques qui donnent un peu d'étrangeté et qui permettent à l'album de ne pas sonner comme un disque purement acoustiques. C'est un son en filigrane, presque pas décelable.


Comment ces chansons ont-elles été composées au départ alors ? En guitare-voix. J'avais apporté les chansons au studio et les ai présentées aux musiciens. En fonction de ce sur quoi on avait travaillé, on variait les séances entre des morceaux simples et d'autres plus complexes. Si on avait travaillé la veille sur Nouvelles du monde lointain, le lendemain on travaillait plutôt sur Le manteau retourné de l'enfance qui est plus courte et plus classique dans sa structure. Ils me soumettaient leurs idées, ils tâtonnaient ensemble. Je les écoutais, je chantais avec eux et au bout d'un moment les choses se mettaient en place. Quand on avait quelque chose d'assez solide en mains on le jouait devant Yann et c'était un peu l'examen à chaque fois. Il nous aiguillait ensuite dans un sens ou dans un autre. Lui même est musicien et avait un langage très musical avec les autres. Ils lisent tous la musique et parlent donc des choses de façon très précise, j'étais même un peu paumé par moments. Comme j'étais délesté de mon rôle de guitariste (les effets à la guitare ont été ajoutés sur le tard) j'étais aux aguets et très réactif à toutes leur propositions. Je me saisissais de ce qui me plaisait pour orienter le déroulement.


Dans Highlands, titre de 2017, tu évoquais l'arrangeur de Nick Drake, Robert Kirby et son travail sur River Man

(me coupant) Et j'ai fait une grosse bourre. Il a bien travaillé sur le disque de l'époque Five leaves left, mais pas sur cette chanson, c'était l'autre arrangeur, Harry Robinson. Je me suis fait remonter les bretelles par quelques spécialistes d'ailleurs.


Et si je te dis que j'ai ressenti la présence de Nick Drake plusieurs fois sur ton disque, qu'en penses-tu ?

C'est idéal parce que les arrangements sur cet album sont exemplaires. En passant je te remercie pour ce compliment, mais ça n'est pourtant pas une influence que je revendiquais pour mon disque spécifiquement. Finalement, je m'aperçois que les choses qui comptent vraiment pour moi dans la pop music sont souvent anglaises. Les trois référents principaux en sont Joy Division, Nick Drake et pour ce disque-là en particulier : Talk Talk. Tu me donnes ces trois-là, je fais une vie avec. Je vais de l'autre côté voir Léonard Cohen et je suis comblé. Le point commun à tous ces gens c'est l'espace dans la musique et la façon dont le son s'y déploie, y compris surUnknown Pleasure qui est un disque étrange plein de vide. On sent que le son des guitares pourrait être dix fois plus fort alors qu'elles sont en retrait, c'est ce qui déplaisait d'ailleurs à Bernard Sumner et Peter Hook. Il y a cette idée que la musique ne doit pas forcément s'accaparer tout l'espace. La musique doit laisser du vide pour être pleine et pour que l'auditeur se projette vraiment. Pour me sentir vraiment immergé dans la musique en tant qu'auditeur, il me faut de la place pour m'y glisser et je trouve qu'il y a beaucoup de projets musicaux où cette place n'est pas donnée. C'est mon credo et la musique que j'ai envie de faire jusqu'à la fin de ma vie fera une place à l'auditeur, non pas en pensant à lui en permanence, mais simplement en faisant en sorte que le son ne prenne pas toute la place, qu'il puisse s'insérer dans un cadre pré-existant et ne le phagocyte pas.


Oui, je comprends. D'ailleurs les musiciens parlent beaucoup d'habiter le silence.

Oui, mais alors comment lui accorder sa place, comment faire en sorte qu'il ne soit pas prétentieux car il y a aussi des silences qui sont très prétentieux et il faut aussi se méfier de ça. Il y a parfois des notes qui sont à côté et des silences qui sont à côté aussi. Dieu sait que j'adore Marc Hollis et son travail, mais ce qu'il disait du silence, oui, oui, ok, il faut lui faire sa part, mais aussi le mettre en scène et ne pas le laisser prendre le pouvoir non plus, on est quand même-là pour produire du son. Il faut trouver les moments où il est approprié ou pas et surtout laisser de la place, pour moi c'est l'essentiel.


Dans ce magnifique morceau de fin, Au bord de la mer sous la pluie, tu écris : "Je suis toujours seul où que j’aille. Que ce soit ailleurs ou ici, il n’y a que ce qui me travaille, ce qui me suit, que je confie au sable". Comme tu l'écris dans le livret, évidemment qu'un tel disque est réalisé avec de nombreuses personnes, mais c'est aussi j'imagine, une formule pour parler du besoin de solitude, vouée justement au travail.

Cette formulation est effectivement une façon d'évoquer les moments de solitude choisis et non pas subis. Et en même temps avec cette conscience qu'on peut être possédé par des choses qui n'ont finalement pas tant de substance ni de réel poids, mais qui peuvent nous obséder. Par ''ce qui me travaille, que je confie au sable ", c'est l'idée d'être immergé dans sa création tout en se disant "le vent nous portera ", comme disait la chanson. Il y a l'idée d'une quête dérisoire dont on ne se débarrasse pas et c'est aussi une façon de contrebalancer l'aspect collectif du disque dans sa première partie où l'individu fait partie d'un groupe et où les chansons embarquent tout le monde dans le même bateau. Là, quelqu'un en est sorti. C'est donc comme ça que je vois les phrases dont tu parles, une solitude dans laquelle l'artiste doit se plonger pour s'exprimer.


Le monde réel (Cinq7-Wagram) septembre 2022


Cette pochette en bord de mer est-elle liée à ce morceau ?

Non, en fait Sandrine ma manageuse m'avait aiguillé sur le travail de julien Samani et comme j'avais une liberté totale pour faire ce disque, nous avons pris le temps. La concession que j'ai faite était d'apparaître en couverture, mais "cochon qui s'en dédit ", à une ou deux exceptions près je n'apparaîtrais plus sur mes pochettes, je n'ai pas de plaisir à ça et je trouve que ça ne sert pas la musique. Alors, là, l'image est belle, même si je ne suis pas persuadé que ce soit un disque nocturne. On va faire un deuxième volet à cet album, un mini LP qui sortira cet hiver. Ce sont des chansons issues des mêmes sessions, mais qui ne trouvaient pas leur place sur le disque. Elles sont méritoires, je crois et je n'avais pas envie de les sacrifier à l'éternelle version du disque d'inédits qui accompagne chacun de mes albums. Sur ce disque, la pochette sera réalisée aussi par Julien, mais ce sera un paysage. A l'avenir, j'ai donc vraiment envie de ne plus figurer en devanture, sauf peut-être pour un portrait frontal extrêmement puissant.


©Renaud Monfourny


Nouvelles du monde lointain semble aussi marquer notre époque. Le monde lointain, ce sont les grands médias, les décideurs ? Ceux qui rient, quoi qu'il arrive comme tu dis ?

Oui, pour moi c'est le monde médiatique, mais le monde lointain ça peut-être celui filtré par ton téléphone, c'est cette sensation là encore d'irréalité qui peut te saisir en regardant des images triviales. On entend souvent cette expression : "Dans quel monde vit-on ? ". Littéralement c'est ça, dans quel monde évolue t-on ? Mais je refuse d'apporter une réponse définitive parce qu'avec cette chanson je suis parti avec une idée en tête et la perception majoritaire est tout autre. Il y avait un côté innocent dans la formulation telle que j'imaginais la chanson et son sujet et puis finalement les gens ont tous réagi en se disant que c'était une attaque du monde des écrans. Très bien. Naïvement je n'avais pas vu ça comme ça, mais plutôt un constat du monde médiatique loin de toute réalité. La focale s'est élargie avec l'interprétation des gens, et c'est très bien. Quand on a pensé au clip, beaucoup de projets qui nous ont été soumis mentionnaient les smartphones. Pour le coup ça aurait été d'une lourdeur absolue car il ne faut pas se leurrer : à quel média est destiné un clip ? La contradiction serait énorme, ce serait tendre le bâton pour se faire battre. Au delà de ça, être moraliste, très peu pour moi. Je ne veux pas donner dans ce travers-là. Après, rien n'empêche de dire les choses, et puis parfois on se plante, on va trop loin dans ce qu'on veut dire, on adopte à son corps défendant la position du sachant ou du moraliste et c'est toujours délicat. C'est pour ça que dans cette chanson le personnage évoque les choses de façon assez neutre. Il dit simplement qu'il est surpris de ce qu'il voit, mais il ne dit pas vraiment ce qu'il en pense.


Quel est ton rapport à l'écran et comment réagis-tu face aux messages sur les réseaux sociaux de ceux qui te disent "Il va absolument falloir qu'on se voit un jour pour discuter de certaines choses " ?

C'est le genre de messages qui m'effraient un peu, mais il n'y en a pas beaucoup qui réagissent comme ça envers moi.

Après, j'ai l'impression que c'est un peu le cas de tous les gens qui se manifestent sur les réseaux sociaux. Ils ont envie de rencontrer l'artiste. Moi j'interviens quand on me demande de le faire pour que ce soit un peu personnalisé. J'essaie de trouver le juste milieu, mais sans masquer le fait que je n'accorde pas beaucoup de crédit à ça. Les oeuvres restent, les réseaux passent, hahaha. Moi ce qui m'intéresse ce sont les traces et le numérique c'est un peu l'ennemi de la trace, même s'il reste des traces de tout car les serveurs centraux gardent celles de tes agissements, de tes passages, mais nous non, on ne garde rien de ces moments-là car quelle trace gardes-tu des heures que tu passes sur les écrans ? Tu peux te souvenir à quel moment tu as découvert un livre ou écouter tel disque, mais les quatre heures où tu surfes sur les écrans ne cristallisent aucun moment, il n'y a pas de récit, pas d'histoire qui se crée, c'est de l'évaporation. Je me fais avoir aussi, comme tout un chacun. Je peux passer des journées entières à regarder mon écran en attendant que quelque chose se passe avant d'éteindre l'appareil. Vis à vis des écrans on est comme des gosses, ils nous infantilisent.

Pour les générations à venir, il faudra qu'elle éduquent leur propres enfants par rapport à ça, sinon ça va créer des vies sacrifiées.


En écoutant La maison, j'ai ressenti ce souci du petit détail comme chez Proust avec cette idée d'être toujours émerveillé. Es-tu un observateur attentionné ?

Pas tellement. Je passe souvent à côté des choses. Je suis peut-être un peu plus attentif qu'avant car j'étais encore plus distrait, mais je suis dans ma tête donc mes observations sont les fruits de mon imagination. Dans cette chanson il y a pas mal de descriptions liés à des moments vécus comme le passage sur la petite gare. Par contre, la partie avec l'enclos et le chêne aux larges branches est un décor imaginaire. Quand tu ponctues les textes de détails assez précis, il y a une possibilité pour l'auditeur ou l'auditrice de créer son propre monde avec ce que tu donnes comme indications. L'idée d'émerveillement me fait penser à deux auteurs : Robert Walser et un norvégien Karl Knausgaard qui a écrit le cycle des saisons (tétralogie en 4 volumes). Il se saisit d'un thème (un meuble, une mouche, du vomi) et il essaie de voir les choses comme si c'était la première fois. J'adore ça car c'est comme retrouver une innocence par rapport à la réalité, mais sans jouer le naïf, simplement d'essayer de voir les choses telles quelles sont. J'aime beaucoup cette approche-là qui demande du temps, encore. Là on se rapproche un peu de la sagesse.


Dernier appel de la forêt fait référence à un passage du roman La soustraction des possibles de Joseph Incardona. Ton texte donne le sentiment d'avoir envie de disparaître des radars…

Ah oui, c'est encore une fois la fuite en avant, la tentation Rousseauiste de retrouver la forêt. Je suis citadin, je ne pourrais pas vivre à l'année à la campagne, je ne pense pas que je m'y épanouirais parce que je connais d'expérience les rigueurs de l'hiver (ou de ce qu'il en reste), dans un cadre rural. C'est dur. Ça n'est pas quelque chose que j'ai envie de retrouver dans ma vie présente et à venir. Dans ce texte il y a cette interrogation de l’existence dans les villes et à ce qu'on y a fait de nos vies. Il évoque aussi l'enfance et ce qu'on est devenu par rapport à ce qu'on imaginait. Ce grand souffle qui semble se déployer quand on pense à l'avenir et qu'on est enfant, en se disant qu'on fera ci ou cela… Là pour le coup c'est La soustraction des possibles. Le décor qui est dressé autour de nous et dont nous sommes en partie responsables est aussi une résultante de ce qu'on a abandonné en tant qu'adulte de nos rêves d'enfance. Si on vit dans un cadre qui n'est pas à la hauteur de ce qu'on pourrait espérer c'est aussi parce que, chemin faisant, de nous-même on a abandonné beaucoup de choses : un esprit d'enfance et quelques aspirations. Si les vies sont sales c'est parce qu'on a laissé la saleté nous gagner. C'est un ensemble de choses. Quand j'écris le texte pourtant je ne me dis pas ça. Je le constate seulement à la fin. En m'interrogant je me demande pourquoi je parle d'enfance alors qu'au début je parlais de jardins. Chemin faisant, possiblement c'est peut-être ça. Je ne donne pas des clefs, c'est juste ma propre interprétation, a posteriori.


Quel lecteur es-tu et jusqu'à quel point la littérature t'influence t-elle ?

Je ne sais plus. A part pour la chanson dont on vient de parler, mais qui n'est pas une référence à ce dont il est traité dans le livre (j'aurai pu ne pas le citer, mais j'adore ce bouquin, alors si ça peut amener des lecteurs, c'est parfait). Je ne me sers plus de mes lectures pour écrire des textes de chansons. Maintenant j'ai vraiment envie de me laisser porter par ma propre imagination et les thèmes que j'ai envie d'aborder, quand je les identifies, mais il n'y a plus cette prégnance répondant aux lectures que j'aurais eu. En écrivant des livres, j'ai la sensation de pouvoir aussi dissocier les deux et d'être toujours dans une dynamique d'écriture sur des terrains différents. Pour moi il y a trois terrains principaux : celui de l'écriture des chansons, l'écriture en prose et maintenant celle de poèmes. Ce sont trois façons différentes d'appréhender l'écriture et avec cette dissociation, je ressens peut-être moins le besoin d'injecter de la littérature dans mes chansons.


Frédéric Lemaître


Retrouvez le reste de l'entretien dans le n°21 de Persona :

https://www.personaedition.com/product-page/persona-n-21-automne-2022



Le Présent Impossible (Editions de L'Iconoclaste) septembre 2022






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